Alors que des dizaines et dizaines de milliers d’élèves du Nord, depuis trente ans bénéficient du dispositif « Collège au cinéma » – près de 30 000 en 2023-2024 – le Département vient d’en annoncer la fin pour raisons budgétaires. Tout autant que cet arrêt brutal, ce sont les propos tenus par le Président divers droite, Christian Poiret, pour s’en expliquer, qui choquent l’ensemble de la communauté éducative du Nord, et au-delà, tant ils témoignent d’une méconnaissance des enjeux et objectifs de ce dispositif.
Un dispositif qui a fait ses preuves
Mis en place par les ministères de la Culture et de l’Education nationale, en partenariat avec les collectivités territoriales et les professionnel·les du cinéma, chapeauté par le CNC, le dispositif « Collège au cinéma » existe depuis 1989. Il permet aux élèves de la 6ème à la 3ème de découvrir chaque année « des œuvres cinématographiques lors de projections organisées spécialement à leur intention dans des salles de cinéma et de se constituer ainsi, grâce au travail pédagogique d’accompagnement conduit par les enseignants et les partenaires culturels, les bases d’une culture cinématographique ».
Le dispositif, qui s’inscrit dans le parcours « Ma classe au cinéma », se décline de la maternelle à la terminale, et bénéficie d’un catalogue d’œuvres d’une grande richesse. Chaque année, selon des protocoles variés en fonction des départements et des régions, un comité se réunit pour définir un programme de trois séances, une par trimestre, constitué d’œuvres cinématographiques de formats divers. Pour l’année 2024-2025 les équipes ont ainsi pu piocher dans 117 longs métrages et 3 programmes de films courts. 12 hommes en colère de Sidney Lumet y côtoient Bienvenue à Gattaca d’Andrew Niccol, Quatre cents coups de François Truffaut, Chantons sous la pluie de Stanley Donen, Johnny Guitar de Nicolas Rey ou encore Wadja de Haifaa Al-Mansour …
« Vous ne pensez pas qu’ils peuvent y aller avec leur parents ? »
Ces propos du Président du département ne manquent pas de faire réagir, tant ils témoignent d’une méconnaissance des habitudes de fréquentation des salles obscures par les adolescent.es, plus souvent friands, et c’est bien normal, de blockbusters formatés que de cinéma art et essai ; tant ils semblent aussi ignorer qu’une place de ciné, ça coûte cher, et qu’une salle de cinéma c’est parfois géographiquement, ou culturellement, beaucoup trop loin, pour qu’y aller en famille soit possible.
Pour un certain nombre d’élèves « Collège au cinéma » c’est donc l’occasion tout simplement d’aller au cinéma et de voir un film sur grand écran, dans une grande salle avec ce que tout cela comporte en termes de concentration et d’intensité. C’est parfois aussi l’occasion de découvrir des salles de cinéma de proximité, parfois à ambition « Art et essai », qu’un public adolescent ne fréquente quasiment jamais. C’est enfin l’occasion de découvrir des formats courts, ou des documentaires, peu diffusés, ou des films auxquels bien souvent, à moins de vivre dans une famille de cinéphiles, on n’aurait pas accès. Ils sont parfois en noir et blanc, parfois sous-titrés, parfois muets, souvent assez différents de ceux que l’on a l’habitude de voir à la télévision ou sur les plateformes ; un peu lents, un peu plus compliqués, ils ne racontent pas seulement une histoire, ils obligent à débattre, à réfléchir : ils ont besoin d’accompagnement…
Avant, pendant et après
Car « Collège au cinéma », ce n’est pas seulement une projection en salle, mais c’est aussi et surtout des ateliers d’éducation à l’image dans les établissements. Les projections sont en effet préparées en amont par les enseignant·es, eux-mêmes et elles-mêmes formé.es par des professionnel.les, et les films font l’objet de séances pédagogiques en classe, parfois même de projets interdisciplinaires et d’ateliers de pratique artistique.
C’est là le cœur du dispositif. On s’initie au langage filmique, on apprend à regarder, à décrypter, à aiguiser son regard : pourquoi un générique est-il souvent intéressant ? que traduit une échelle de plans ? pourquoi une musique peut-elle changer le sens d’une scène ? le montage nous influence-t-il ? … On accepte d’aller vers du plus compliqué : pourquoi c’était important, finalement, de voir le film en V.O ? On développe sa sensibilité esthétique et son esprit critique.
En bref, on construit de la citoyenneté…
Claire Berest