Le Conseil Scientifique de l’Education Nationale (CSEN) publie une synthèse de la recherche dont l’enjeu, important, est de « rationaliser l’orthographe du français pour mieux l’enseigner ». Les « spécificités lexicales et grammaticales » de notre langue « rendent l’apprentissage de l’écriture bien plus difficile que celui de la lecture » : faut-il pour autant se contenter de lamentations sur la « baisse du niveau » ?
L’étude s’appuie sur l’évolution de l’orthographe française : s’il s’agit d’être fidèle à cette histoire, tumultueuse, il convient d’être fidèle à son esprit, celui d’« une longue réforme ». Les études quantitatives actuelles s’avèrent édifiantes : par exemple, « à l’école élémentaire, comme au collège, ou même postbac, les francophones sont peu sensibles, à l’oral comme à l’écrit, à l’accord du participe passé avec l’auxiliaire avoir » ; cet accord qui « va à l’encontre de la règle générale : accord sujet-verbe » est « tombé en désuétude chez les adultes » ; « le non-accord n’est pas perçu comme une erreur ; en fait on ne le remarque pas du tout ».
D’où Liliane Sprenger-Charolles, Anne Abeillé et Bernard Cerquiglini, au nom du CSEN, recommandent en particulier de changer cette règle obsolète. « Il est en effet inutile de s’acharner à enseigner des orthographes maitrisées par une minorité de francophones. C’est entre autres le cas de l’accord du participe passé avec l’auxiliaire avoir et le complément antéposé. (…) Nous proposons une mesure simple qui reprend, en les généralisant, les arrêtés ministériels de 1901 et 1976 (toujours en vigueur) à propos de l’accord du participe passé : avec l’auxiliaire avoir, invariabilité du participe passé ; avec l’auxiliaire être, accord systématique avec le sujet. Ces deux choix libéreraient énormément de temps en classe, qui pourrait être consacré à des enseignements portant plus généralement sur la production écrite. » Rappelons que de nombreuses associations comme le Conseil international de la langue française, la Fédération internationale des professeurs de français ou encore l’AFEF demandent elles aussi que la règle soit modifiée en ces termes : « tout participe passé conjugué avec l’auxiliaire être (pronominal ou non) peut s’accorder avec le sujet et tout participe passé conjugué avec l’auxiliaire avoir peut rester invariable. »
Le rapport émet d’autres recommandations : utiliser surtout des mots réguliers au début de l’apprentissage de la langue ; focaliser l’enseignement de la morphologie du français sur les différences entre l’oral et l’écrit ; intégrer dans la formation enseignante une meilleure connaissance des statistiques pour saisir « ce que la majorité des enfants s’avèrent capables de maitriser au moins au milieu et à la fin du CP, puis à la fin des autres niveaux du primaire » ; mettre à disposition des manuels et livres « qui suivent au mieux l’orthographe rectifiée de 1990 aussi bien au niveau élémentaire qu’au collège ou au lycée » ; inciter « les éditeurs à éditer leurs publications en orthographe rectifiée ; créer une nouvelle commission susceptible de se lancer avec « une sage fermeté dans la poursuite des régularisations de l’orthographe française » Car, souligne le rapport, « l’orthographe du français comprend toujours de nombreuses incohérences qui n’ont pas été corrigées par l’Académie, notamment les doubles consonnes et les pluriels en x. Comme l’a rappelé Maurice Druon, secrétaire perpétuel de l’Académie en présentant les Rectifications de 1990 au premier Ministre d’alors, Michel Rocard, la langue évolue et, disait-il, « il faudra recommencer le travail, dans trente ans, sinon même avant. »
S’il y a le feu, n’est-il pas urgent d’agir ?
Jean-Michel Le Baut
Télécharger le rapport du CSEN