Quelles conditions de rentrée pour les collèges de l’académie d’Aix-Marseille ? Plusieurs enquêtes convergentes menées par plusieurs organisations syndicales d’enseignants ou de personnels de direction ont montré que les groupes de besoin rejetés par la majorité de la profession au printemps dernier n’ont pas vraiment été mis en place dans les établissements à cette rentrée (60 % des collèges auraient interprété les textes dans un sens contraire à celui voulu par le pouvoir politique). Cette situation reflète la volonté d’une profession de refuser les réformes libérales en cours et sa capacité de résistance. Le Café pédagogique entreprend un travail de collecte de témoignages sur ce sujet. Aujourd’hui il donne la parole à trois collègues de l’académie d’Aix-Marseille.
Entretien avec Julien Weisz professeur de Mathématiques au collège Massenet à Marseille (REP+), Mélanie Le Guilloux professeure de SVT au collège Anselme Mathieu à Avignon (REP+) et Nicolas Bernard-Hayrault, professeur de Lettres Modernes dans un collège du nord des Bouches-du-Rhône.
Julien
Les élèves sont pour le moment en classe entière en Mathématiques et nous avons trois semaines devant nous pour définir ce que seront les groupes en fonction des premiers constats des collègues. Nous avons eu de nombreuses discussions l’an dernier sur le sujet des groupes de niveau, une large majorité s’est dessinée contre mais nous ne sommes pas tous d’accord.
Les élèves en difficulté, présents en grande majorité dans l’établissement, seraient particulièrement pointés du doigt. Regrouper entre eux les profils les plus complexes ne résoudra rien, bien au contraire. Depuis longtemps nous expliquons quotidiennement dans nos classes qu’il ne faut pas baisser les bras et que tous peuvent trouver un chemin vers la réussite. Cette réforme va à l’encontre de tout ce que nous essayons de transmettre.
Une petite partie des collègues considère que le fait de regrouper entre eux les élèves en grande difficulté va libérer ceux qui travaillent plus rapidement, ceux qui ont plus de facilité pour pouvoir aller plus loin.
Ce n’est pas la manière de penser de la majorité de la salle des profs. Vouloir dégager un espace privilégié pour une minorité signifie de fait que l’on abandonne tous les autres. Enseigner en REP+ c’est considérer que tout élève peut progresser. Nous sommes encore à échanger pour élaborer ces fameux groupes.
Mélanie
Nous avons vécu les mêmes débats. Ce qui me marque le plus, c’est ce temps passé depuis le printemps à discuter de cette réforme que l’on refuse majoritairement pour son idéologie de tri social dans un contexte où les élèves qui ont un fort sentiment de discrimination viennent chercher en toute confiance dans l’école un soutien pour grandir, pour réussir leur vie scolaire, leur vie en général.
On se retrouve maintenant à discuter d’une application en demi-teinte de cette réforme pour en atténuer ses effets néfastes.
Dans mon établissement comme dans beaucoup d’autres avec lesquels je suis en contact, nous avons essayé de contourner la question du tri social. J’ai l’impression que chacun fait un peu comme il le sent en fonction de la spécificité de ses élèves. Aucun établissement ne fait comme le voisin, il y a autant de façons de faire que de collèges. Cela pose la question de l’égalité de traitement pour les enfants d’une même génération sur le territoire national.
Cette réforme a mis les chefs d’établissement en grande difficulté cet été pour constituer les emplois du temps dans lesquels les barrettes sont apparues nombreuses, très contraignantes pour les professeurs concernés (lettres et math) mais aussi pour tous les autres. Dans certains cas les emplois du temps ont dû être refaits le week-end avant la rentrée, des élèves ont dû changer de classe au cours de la première semaine.
Dans la mesure où nous travaillons à moyens constants, et où on nous demande de réattribuer des heures de la DGH sur les dispositifs du choc des savoirs, nous nous sommes posé la question, de comment faire perdurer les dispositifs qui avaient fait leurs preuves et qui nous paraissaient efficaces. Ils permettaient aux élèves de surmonter leurs difficultés avec une aide personnalisée faite sur mesure à l’échelle de l’établissement.
Un collège voisin du mien s’était auparavant concentré sur les « petits lecteurs » par exemple, pour des gamins arrivant avec de très faibles niveaux de compréhension. Ces aides particulières leur permettaient de raccrocher les wagons et de réintégrer plus facilement leur classe de référence. Ces dispositifs qui existaient depuis plusieurs années donnaient de bons résultats. Ils ont dû être supprimés pour récupérer les heures. C’est ce qui a contribué à la mobilisation des équipes contre la réforme Attal. Nier aux collectifs de travail, leurs capacités à réfléchir eux-mêmes aux actions à mettre en œuvre en leur demandant d’appliquer quelque chose d’homogène dans tout le pays a été très mal vécu et très mobilisateur.
Ce début d’année est très compliqué, ce qui avait été prévu avant les vacances d’été n’était pas forcément applicable à la rentrée. Cela a nécessité de nouvelles discussions, de nouveaux ajustements.
Faire coïncider la réalité de la mise en place de ces groupes avec les choix d’options des familles relève souvent de la gageure. Il y a des incompatibilités qui créent beaucoup de frustrations chez ces élèves qui ne peuvent pas suivre les enseignements souhaités.
Les élèves de 6ème constituent le public le plus fragile. Ils doivent être entourés au mieux pour apprendre à devenir des collégiens. Cette réforme leur a rajouté une difficulté monstrueuse. Je vois des enfants anormalement stressés avec l’approche des évaluations, ils sont très conscients du rôle qu’elles vont jouer pour la constitution des groupes. Sur cette question, aussi, les pratiques vont être très différentes d’un collège à l’autre : prises en compte ou non des évaluations pour la confection des groupes, boycott pur et simple de celles-ci… toute la palette sera disponible.
Nicolas
Notre histoire est un peu différente. Quand ces groupes ont été annoncés par le Ministre, nous avons formé des collectifs de travail. L’ensemble des équipes, lettres et math, ont rejeté en bloc ces propositions. Ce qui est tout de suite ressorti, c’est la désorganisation qui allait s’en suivre et cela a convaincu tout le monde. En 6ème nos groupes sont constitués pour toute l’année, ils ne changeront pas en cours de route et ils sont hétérogènes ! En fait on travaille à effectifs réduits en français et en mathématiques.
Cela devait être la même chose en 5ème, mais cet été nous avons eu connaissance de l’ouverture d’une division supplémentaire. Le Chef d’Établissement n’a pas fait de nouvelles mises en barrette et donc en 5ème il n’y a pas de groupe. Les heures qui nous ont été attribuées en plus pour cette classe ont été utilisées pour des dédoublements. Lors de sa dernière réunion au mois de juillet, le Conseil d’Administration a voté à la quasi unanimité le principe de groupes fixes et hétérogènes.
De ce fait nous avons gardé notre liberté pédagogique. Si les groupes avaient changé de composition durant l’année scolaire, en français par exemple, il aurait été extrêmement compliqué d’imaginer que tous les collègues étudient en même temps, au même rythme les œuvres au programme. Cela aurait atteint notre identité professionnelle. Finalement nous faisons une rentrée où les collègues sont plutôt contents, l’emploi du temps est correct, il n’y a pas de problème pour les installations sportives. Leur utilisation aurait été fragilisée avec la généralisation des barrettes.
Julien
Ce que certains établissements arrivent à faire en gardant le principe des groupes en y adjoignant l’hétérogénéité nécessaire me semble une bonne perspective pour tous. Si nous arrivons à évacuer la dimension de tri social, ce serait une réforme qui reviendrait à diminuer les effectifs en français et en math.
Mais tout cela se fait au détriment des autres dispositifs et des autres disciplines car cette réforme n’a pas été du tout budgétée. Les établissements ont besoin de prendre sur leur dotation pour constituer ces groupes. Dans mon collège, la co-intervention dans les classes disparaît.
Depuis « la réforme du collège » (rentrée 2015) , les moyens alloués diminuent. À chaque rentrée, la suppression de telle ou telle action pédagogique est programmée. Les résultats au Brevet cette année sont en nette baisse et le passage en force du Ministère ne va pas améliorer la situation à terme. Nous savons bien que ces groupes vont évoluer a minima. Les IPR sont venus nous expliquer qu’avec les groupes composés des élèves les plus en difficulté, il fallait revenir à des fondamentaux et reprendre les éléments du début du cycle trois (CM1) voire avant. L’exécution du programme pour ces élèves ne serait donc plus la priorité.
Comment imaginer alors que les élèves les plus fragiles puissent réintégrer une classe et atteindre les objectifs attendus à la sortie du collège ? Surtout si les autres groupes avancent à une vitesse plus rapide ? Le décalage ne pourrait que s’accentuer au fil des années.
Ce système s’il est réellement mis en œuvre créerait des dégâts énormes que l’on ne soupçonne même pas. Ce serait la fin du collège unique et cela aurait aussi des conséquences sur le lycée.
Mélanie
Dans un collège voisin du mien, un dispositif conçu pour aider les élèves de 3ème à réussir le Brevet a été supprimé. C’est paradoxal.
Ailleurs, les matières scientifiques, les langues vivantes qui étaient dédoublées ne le sont plus. L’heure de remédiation en français et en math en 6ème, attribuée l’année dernière a disparu (cette heure avait été retirée à la technologie, il y a deux ans).
Nicolas
Avec les groupes en 6ème, les collègues de français et de math ont refusé de devenir professeur principal. Comment faire quand on n’a pas la classe entière ? La proposition a été faite pour trouver quelques HSE pour un/une collègue qui n’a pas la classe aujourd’hui et qui accepterait d’occuper cette fonction. Chez nous, le latin et le provençal, options fortement demandées dans l’établissement ont été les premièrs impactés. En résumé nous perdons 9 heures dans la DGH (cela aurait été le double si les groupes avaient été mis en place en 5ème).
Deux enquêtes récentes du SNES-FSU et du SNPDEN-UNSA montrent qu’il manque au moins un enseignant dans globalement 60% des établissements. Qu’en est-il dans votre collège et dans l’académie ?
Julien
Je ne pense pas qu’il nous manque des enseignants par contre il est clair que nous avons de plus en plus de collègues contractuels. Ils n’ont reçu aucune formation et vivent des conditions de travail exécrables, à cheval sur plusieurs établissements, à devoir faire des services partagés avec la contrainte des emplois du temps accrue par ce dispositif. Ils se retrouvent parfois à faire une heure de transport pour une heure de cours.
La loi dite de « transformation de la fonction publique » de 2019 facilite le recours à des agents non titulaires avec paradoxalement une priorité dans l’affectation des contractuels par rapport aux Titulaires sur Zone de Remplacement (TZR), ce qui est un souci de mécontentement supplémentaire. Tout cela se mélange, nous entamons la deuxième semaine de cours et il y a déjà des profs qui craquent et qui sont en arrêt de travail face à des services qui ne sont pas faisables matériellement.
Mélanie
C’est la même chose dans mon collège. Il n’y a pas pour l’instant de manque à Avignon, mais ce n’est pas le cas quand nous allons dans les établissements des villages du Vaucluse éloignés des centres urbains. Dans notre académie, on retrouve en moyenne le même chiffre que celui annoncé nationalement.
Un établissement cela ne tourne pas qu’avec des enseignants, il y a de nombreux autres métiers administratifs, de santé, techniques, AED, AESH… Ces derniers sont spécialement en déficit et pas grand monde en parle.
Pour finir, il faut bien prendre conscience du fait que la rentrée est une image à l’instant T. Plus le temps avance, plus les besoins en remplacement se feront jour (démissions, problèmes de santé, congés prévus longtemps à l’avance). Le Ministère communique sur l’état des postes au début de l’année, mais la galère va commencer dans un mois. Le pourvoi des postes va se dégrader au fil des semaines. Les rectorats auront le plus grand mal pour recruter de nouveaux contractuels en cours d’année.
Nicolas
C’est un bilan de rentrée où la désorganisation à tous les niveaux côtoie le manque de moyens. Je dirai une chose : il faut stopper la désorganisation issue des mesures du choc des savoirs.
Nous avons besoin de nouveaux moyens et non pas de dispositifs qui s’empilent les uns sur les autres comme un mille-feuilles et rendent les politiques publiques incompréhensibles. Il nous faut des profs recrutés sur concours, bien formés et formant correctement les élèves, des AED, des AESH, des CPE… des heures en quantité suffisante, des effectifs allégés. Nous avons besoin que l’on nous laisse travailler.
Mélanie
Il ne s’agit pas d’inventer l’eau chaude chaque année. Certains dispositifs ont fait leurs preuves. Je pense en particulier dans le premier degré aux Rased qui permettaient de prendre en charge les gamins en difficulté scolaire quelques heures par semaine et de les faire réintégrer sereinement leur classe de référence. Je pense aussi au « Plus de maîtres que de classes » plébiscité par les collègues. Tout cela a fonctionné.
Ces dispositifs ont disparu et on mesure maintenant ce qu’ils apportaient au système scolaire en général. Inspirons nous de ce qui a déjà existé et qui a marché.
Propos recueillis par Alain Barlatier
Pour écouter l’entretien dans sa globalité et l’épisode du podcast « Docs sur l’Éduc, la parole à celles et ceux qui font l’école »