Dans cette tribune, Bruno Devauchelle revient sur la question du l’inclusion et de l’accessibilité sous l’angle du numérique. Au regard d’une décision du tribunal administratif de Paris qui impose à l’Etat de faire respecter la loi de 2005, il interroge la responsabilité, le rôle et l’action de l’Etat.
Le développement du numérique scolaire depuis le début des années 1980 a été porté par des enthousiasmes et des déceptions. Dans la société, en général, le numérique a transformé la vie professionnelle d’abord puis la vie familiale, personnelle ensuite. Cette évolution qui s’est massifiée à partir des années 2000 a révélé aussi des problèmes qui sont loin d’être encore résolus. Si l’on parle souvent d’illectronisme ou de fragilité numérique de manière globale, on laisse souvent de côté les difficultés rencontrées par certains publics spécifiques et en particulier handicapés. La somme de ces difficultés doit amener à des transformations importantes si l’on veut qu’elles s’estompent. D’un côté la dimension que l’on peut qualifier d’ergonomie cognitive et utilisateur, d’un autre la dimension dite d’accessibilité. Ces deux dimensions rentrent dans le cadre plus général de la notion d’inclusion : comment faire en sorte que l’emploi des moyens numériques ne creusent des différences, voire des fractures au sein de la population. Le cas du monde scolaire est d’autant plus intéressant à analyser que dans ce milieu, les moyens numériques sont « pilotés » par une institution et ses acteurs, alors qu’en dehors de l’école, les pilotages sont d’abord le fait des personnes elles-mêmes (hors contexte professionnel).
Quand le Tribunal administratif rappelle la loi
Une récente décision du tribunal administratif de Paris à imposé à l’État (TA Paris, 21 mai 2024, n° 2209142/1-3, C) de mettre en oeuvre la loi de 2005 et « de faire application de la procédure prévue au IV de l’article 47 de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, permettant de constater le défaut de mise en conformité d’un service de communication au public en ligne – en l’espèce le logiciel Pronote utilisé par les établissements scolaires – avec les obligations d’accessibilité aux déficients visuels et de prononcer le cas échéant une sanction administrative. » Ce jugement fait suite à un refus de mettre en oeuvre une procédure amenant au respect de la loi et « donc enjoint à l’ARCOM d’examiner les conditions de mise en œuvre de ses pouvoirs en matière de constatation et de sanction des manquements. » Pour le dire autrement il est temps que la loi de 2005 soit effectivement mise en oeuvre à propos de l’ensemble des moyens numériques (entre autres) mis en oeuvre à l’école. L’accessibilité est une des faces importantes de l’inclusion scolaire dans les usages numériques.
Les responsabilités de l’institution scolaire
Dans l’univers scolaire on peut distinguer les produits numériques à « finalité pédagogique ou didactique» et ceux, appelés souvent « vie scolaire » ou « administration scolaire ». Si les produits pédagogiques sont sous la responsabilité première des enseignants qui les utilisent, les produits dits de vie scolaire sont eux sous la responsabilité partagée entre les concepteurs, ceux qui les mettent en oeuvre et les instances qui les rendent plus ou moins obligatoires. Les Environnements Numériques de Travail mis en place à partir de 2003 et presque généralisés aujourd’hui, jusque dans les écoles primaires sont au coeur des dispositifs scolaires, incluant plus ou moins des outils de vie scolaire et des outils pédagogiques. Dans la saisine du TA de Paris, l’association api DV « – accompagner, promouvoir, intégrer les Déficients Visuels et Intérêt à Agir » la question est posée à propos de Pronote, repris par Docaposte depuis plus de deux années. Or cette même entreprise propose elle-même un test d’accessibilité) ce qui n’est pas sans nous interroger sur la mise en oeuvre réelle de principes et même, ici, d’outil.
Et pourtant il y a des outils pour mesurer l’accessibilité
Dans le même temps, un site interministériel propose aussi un outil : Le référentiel général d’amélioration de l’accessibilité (RGAA version 4.1.2 : https://accessibilite.numerique.gouv.fr/ ) qui a pour objectif de « Rendre les sites et services numériques accessibles à toutes et à tous. L’accessibilité numérique consiste à rendre les contenus et services numériques compréhensibles et utilisables par les personnes en situation de handicap. » Rédigée à partir de 2019, soit quatorze années après la loi de de 2005 : La loi du 2005-102 du 11 février 2005 pour « l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées », fixe le principe d’une accessibilité généralisée, intégrant tous les handicaps, qu’ils soient d’ordre physique, visuel, auditif ou mental ». S’il y a des intentions, la question de leur mise en oeuvre est posée. Car l’arrêté du tribunal administratif met en évidence la réticence des pouvoirs publics à passer des lois à leur application.
De la fragilité numérique et du handicap
Bien sûr l’accessibilité doit être posée pour toutes les applications numériques dans le monde éducatif. Quand on sait les difficultés à mettre en oeuvre une réelle inclusion en milieu scolaire alors que des lois s’imposent et que des Maisons Départementales pour les Personnes Handicapées étudient cela et proposent des actions, on ne peut que dénoncer ces lenteurs voire ces refus d’agir. Alors que les Jeux paralympiques se terminent et que l’on a beaucoup parlé de cette inclusion, même si certains handicaps étaient bien peu présents (comme le handicap mental), il serait regrettable que la question de l’accessibilité ne soit pas prise vraiment au sérieux et que plus largement l’inclusion reste un propos riche de bonnes intentions mais pauvre d’actions. Dans le domaine du numérique éducatif, on sait que des possibilités existent et que de nombreuses initiatives techniques et pédagogiques ont été menées pour améliorer les usages par les enfants porteurs de handicaps ou pour les aider à surmonter leurs difficultés. Permettre l’inclusion dans un monde numérique suppose une réflexion globale qui va, de rendre accessible à tous, à une prise de conscience des différences et à la nécessité de sortir d’une sorte d’uniformité basée sur ce l’on nomme parfois le « normal ».
Agir enfin !
L’apiDV s’élève contre l’impossibilité d’utiliser certaines fonctionnalités qui sont non accessibles pour certains types de handicaps. Chaque enseignant, chaque éducateur, chaque responsable institutionnel est appelé à faire un travail d’évaluation de cette accessibilité et plus largement de la manière de gérer l’inclusion dans l’établissement scolaire. Cela ne concerne pas uniquement ceux qui sont dans l’école mais aussi les parents et les responsables des jeunes qui peuvent aussi être en difficulté. Il est nécessaire d’élargir la question de l’accessibilité à ce que l’on appelle la fragilité numérique en général. Il se trouve que le nombre de personnes en difficulté face aux usages du numérique est important et que réduire ces questions aux seuls handicapés serait ne pas prendre en compte la question de l’évolution d’une société qui semble accroitre davantage encore les écarts entre ceux qui maîtrisent le numérique et les autres. Souhaitons que l’ensemble de l’institution scolaire soit conscient de cela et agisse pour accompagner et aider à résoudre les difficultés face au numérique, en particulier celles des personnes en situation de handicap.
Bruno Devauchelle