Mardi 25 juin, le Conseil économique, social et environnemental rendait un avis sur l’École, « Réussite à l’École, Réussite de l’École ». Le CESE estime qu’il est urgent de placer les questions éducatives au cœur des enjeux actuels. « Dans un contexte politique incertain, la question de l’éducation des futures générations paraît plus que jamais fondamentale », déclare la troisième assemblée constitutionnelle de la République. Elle formule vingt préconisations. Bernadette Groison, vice-présidente de la commission Éducation, culture et communication, répond aux questions du Café pédagogique.
Le CESE rend un avis sur l’école. Que dit-il ?
Cela faisait plus de dix ans que le Conseil économique, social et environnemental ne s’était pas penché sur la question de l’École. Au vu de la persistance des inégalités scolaires et du besoin d’éducation et de formation que l’on retrouve dans tous les travaux du CESE. Lorsque l’on parle transition écologique, vie démocratique, on retombe forcément sur la question de la formation par l’École.
Les débats au sein de la commission portaient sur la nécessité d’une École qui garantisse vraiment la réussite des élèves. C’est donc pour ces raisons que l’on a repris le chantier de l’École.
Une partie de notre rapport repose sur des constats. L’École a permis à un certain nombre d’élèves de progresser. On rappelle la baisse du nombre de décrocheurs, le fait qu’une personne sur deux est diplômée du supérieur aujourd’hui, les 79% d’une classe d’âge au bac. L’École a donc progressé ces dernières années. Mais, on le rappelle aussi, la fameuse persistance des inégalités scolaires interroge. Elle n’est pas dicible d’autant que l’on sait qu’il y a une corrélation inégalités scolaires – inégalités sociales. On s’appuie sur les travaux de l’OCDE qui montre que la France est le pays où les inégalités scolaires sont le plus liées aux inégalités sociales. Un triste record pour notre pays.
Ce constat nous a emmenés à réfléchir au concept d’égalité des chances.
C’est-à-dire ?
Nous nous positionnons pour un système éducatif qui garantisse la réussite de toutes et tous. On s’est aperçu que le concept d’égalité des chances était à l’opposé. L’égalité des chances, c’est mettre tout le monde sur la même ligne de départ et à chacun d’assurer sa réussite. Nous au CESE, nous défendons le concept de réussite de toutes et tous les élèves. Face à un constat d’inégalités persistantes, il faut prendre à bras le corps le sujet et avoir un système qui promeuve cette réussite de toutes et tous. L’école est à la croisée des chemins, soit on laisse la situation en l’état – car après tout, tout fonctionne, instituions, entreprises, société. Soit, on décide que tout cela n’est pas juste socialement, pas juste pour les individus, pour la société, que ce n’est pas la promesse républicaine. Et puis, ces inégalités jouent contre la cohésion sociale, le vivre ensemble et la démocratie. C’est la raison pour laquelle le CESE préconise de défendre le concept de réussite de toutes et tous. Il préconise un changement de paradigme et appelle à un débat démocratique sur l’École, surtout dans la période actuelle.
Et que préconisez-vous ?
Le constat principal que nous faisons, puisque les inégalités scolaires sont liées aux inégalités sociales, c’est qu’il faut travailler sur ces deux questions. Il faut s’attaquer aux inégalités propres à l’école, et à tout ce que l’école peut faire pour les réduire. Mais il faut aussi s’attaquer aux inégalités sociales – mixité sociale, inégalités de logement, de transport – et ce, de manière complémentaire aux politiques éducatives.
L’École ne peut pas tout, seule. Certaines de nos préconisations vont dans ce sens. Il y a donc deux grands axes de préconisations. Le premier autour de l’idée que l’école travaille mieux avec tous les acteurs. Les parents en premier lieu. On sait que pour qu’un enfant réussisse, il faut que le projet soit porté de manière identique par sa famille et par l’école. On appelle à renforcer ce lien. Plus de liens aussi avec les autres acteurs hors de l’école.
On préconise aussi une attention particulière aux élèves qui sont les premiers acteurs et usagers de l’école. Ils sont la raison même de ce travail que nous avons initié. Pour les élèves, on formule des préconisations sur les conditions de scolarisation et le bien-être. Il nous semblait donc essentiel de rappeler qu’il faut évidemment mettre l’élève au centre des préoccupations et des apprentissages.
Un autre volet porte sur celles et ceux qui font l’École : les personnels, tous les personnels qui concourent à la prise en charge et à l’accompagnement des élèves. On attire particulièrement l’attention sur le rôle des enseignants. L’OCDE dit que les pays qui s’en sortent le mieux sont ceux qui ont investi le plus la qualité des enseignants et leur formation. On insiste beaucoup sur la formation.
Nos préconisations ne sont pas d’intention, elles se veulent opérationnelles et sont donc pluriannuelles.
Cet avis peut-il vraiment influer sur les décideurs publics ?
On l’espère évidemment. Nos cibles sont bien entendu le gouvernement, notre avis est adressé dès aujourd’hui au Premier ministre, à la ministre de l’Éducation, aux élu·es des deux chambres – Sénat et Assemblée nationale. Il sera aussi adressé aux territoires. On porte cet avis, on en fait la promotion, car on pense, au CESE, que cet avis doit être entendu.
Pour autant, nous sommes conscients que la situation politique actuelle est très complexe, que nous n’avons pas de gouvernement. Alors on va attendre le prochain… La balle sera dans le camp des décideurs publics. Le CESE pense qu’il y a un enjeu majeur sur l’éducation, pour les jeunes, pour la société. On ne fera pas la société de demain sans l’éducation et sans les jeunes.
Comme vous le rappelez demain, un nouveau pouvoir sera en place. Pensez-vous que la réception de cet avis dépendra de qui est au pouvoir ?
L’avis sera entendu différemment selon notre interlocuteur évidemment. Lorsque l’on appelle à un changement de paradigme avec la fin du concept d’égalité des chances au profit d’un concept de réussite de toutes et tous, on sait bien que selon qui on a en face de nous, le message ne sera pas reçu de la même manière. Quand on dit qu’il faut plus de mixité scolaire, évidemment, les décideurs ne l’entendront pas pareil. Pareil quand on dit que l’éducation est un investissement et pas en coût. Nous ne savons pas quel gouvernement nous aurons en face de nous demain, mais, quelle que soit la manière dont il entendra ce que nous dirons, nous le dirons.
L’éducation est un sujet qui fait débat, l’éducation est un sujet de société c’est pour cela qu’on appelle à un débat démocratique. L’École le mérite. Si on sait que notre avis ne sera pas lu de la même manière en fonction des décideurs, on espère néanmoins qu’il sera lu.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda