Férus d’épopées à rebondissements, fans de séries noires à dénouement heureux ou amoureux du 7ème art, oyez, oyez les aventures incroyables de pionniers de l’exposition des films, de l’animation foraine originelle à l’ère industrielle, de l’ancien au Nouveau Monde. Serge Siritzky, auteur du livre « Le cinéma était leur pays », en est un témoin et un acteur privilégié. Et pour cause !
Un conteur éclairé, fils et petit-fils d’exploitants de salles
C’est l’histoire authentique, merveilleuse et tragique, d’une famille de juifs, les Siritzky, exploitants de salles de cinéma précurseurs -puis producteurs et distributeurs pertinents -; une famille prestigieuse (peu connue encore aujourd’hui du grand public). C’est aussi un feuilleton à ressorts, tantôt épatants, tantôt terrifiants, mettant en scène Léon Siritzky, juif russe, le grand-père, né en Crimée en 1887 et sa famille, Samy et Jo, ses fils, Rose, Grichka, Clara et les autres, et Alain et Serge, sur trois génération qui, sur trois continents (de la Crimée à la France en passant par la Turquie et les États-Unis d’Amérique) ont à chaque fois échappé à la mort en réinventant leur vie, leur métier dans un autre pays, toujours dans le cinéma. Serge Siritzky, diplômé de Sciences Po et de l’ENA, d’abord journaliste, a renoué tardivement avec la passion familiale pour le 7ème art (il est le fils de Samy et né en 1945 à New York), en devenant à son tour exploitant de salles, un temps président de la Fédération nationale des cinémas français , producteur et distributeur… avant de créer ‘Écran total’, magazine dédié aux professionnels du cinéma et de l’audiovisuel (revendu en 2013) et d’animer encore à ce jour le site cinéfinances.info qu’il dirige.
Hold-up d’État sur les circuits Siritzky
Son récit extraordinaire, embrassant plus de cent ans du cinéma et des mutations de son exposition et de son industrie, prend une portée exceptionnelle, tant il met en évidence les rouages de la politique, initiée par Pétain, d’exclusion des juifs de toute vie sociale, de la stigmatisation à la spoliation jusqu’au soutien actif à l’entreprise nazie d’extermination.
Il fait en effet toute la lumière sur la spoliation subie par Léon, son grand-père (obligé de vendre s ses salles compte tenu de la législation anti-juive instituée par le régime de Vichy dès le début l’occupation nazie). Il revient aussi sur les multiples procédures qui ont conduit, après une accusation de profits illicites avec l’ennemi et aux condamnations à la réhabilitation puis la condamnation de l’État à une forte indemnisation en 2015 soit plus d’un demi-siècle après la mort de Léon, décédé en 1955 d’une crise cardiaque, déjà moralement brisé par les injustes accusations de commerce avec les nazis portées contre lui.
Nous l’avions rencontré longuement fin 2014, pour la réalisation d’un ouvrage, « Figures des salles obscures. Des exploitants racontent leur siècle de cinéma » ( de [S.B., Claude Forest et Hélène Valmary, Nouveau Monde éditions, 2015].
À l’époque, Serge Siritzky ne savait pas encore qu’une ultime décision de justice laverait le déshonneur de son grand-père. L’auteur, partie prenante de cette aventure héroïque, la dévoile après dix ans de réflexion, de transmissions orales et de fouilles d’archives.
Et, à la première personne, il fait revivre les visages et les voix des protagonistes du ‘roman familial’ et cinématographique, leur énergie prodigieuse, leur refus obstiné des coups du destin, leur capacité d’invention et leur esprit d’ouverture aux nouveaux auteurs et leur fidélité aux grands réalisateurs. De Marcel Pagnol à Jean Renoir, de Jean-Luc Godard à Milos Forman en passant par Maurice Pialat, à leurs débuts, les Siritzky, de génération en génération, se forgent la renommée de prestigieux propagateurs des films d’auteur. Et dans la fraîcheur du style, la faconde des dialogues restitués, les portraits esquissés en quelques traits, émergent des personnages hauts en couleur au caractère bien trempé, capables de soulever des montagnes, de traverser mer ou océan pour rebondir à partir de trois fois rien et inventer encore de nouvelles façons de montrer les films et de susciter l’enthousiasme des spectateurs. À Paris comme à New York notamment.
Grâce à ce livre malicieux, pétri d’amour, porteur d’une vérité stupéfiante, sans souci revanchard ni ressentiment formulé contre un ‘crime d’État’, nous comprenons aisément pourquoi ‘le cinéma était leur pays’.
Samra Bonvoisin
« Le cinéma était leur pays », livre de Serge Siritzky, Vérone éditions, 2024