Erasmus, tout le monde connaît, surtout depuis le film « L’auberge Espagnole » avec Romain Duris. Si le dispositif est une sublime aventure, Rodigo Arenas, ancien coprésident de la FCPE aujourd’hui député, dénonce dans cette tribune la difficulté d’y accéder pour une partie de la jeunesse française, celle issue de milieu populaire.
Cette année, il a fêté ses 37 ans. Pour toute une génération, pour une majorité de citoyens, même ceux qui ne l’ont pas fait, même ceux qui n’y connaissent rien, Erasmus c’est l’Europe. Il est le cliché que citent tous les politiques pour parler des réussites de l’Europe. Il est le modèle de la coopération européenne. Il est le symbole du mariage entre la jeunesse et la construction européenne. Erasmus est l’incarnation de l’esprit européen par excellence : la rencontre et le dépaysement, l’expérience d’une autre culture, l’ouverture des horizons, l’aventure des rencontres humaines et d’une découverte de soi par l’autre.
Il y a 25 ans, Cédric Klapisch en avait popularisé l’esprit de liberté et d’aventures avec L’Auberge espagnole, une comédie grave et tendre qui s’ouvrait sur le dédale infernal des démarches bureaucratiques pour obtenir et faire signer les bons formulaires. Depuis les choses se sont un petit peu simplifiées mais surtout le programme a bien grandi. Aujourd’hui, « Erasmus+ » s’adresse à tous les jeunes Européens et englobe tous les autres programmes de mobilité éducative de l’UE. Le bénéfice d’une période d’étude ou d’apprentissage à l’étranger n’est donc plus seulement réservé aux seuls étudiants, puisque les apprentis, les formateurs, les demandeurs d’emploi, les jeunes diplômés, et même les collégiens et lycéens peuvent y participer.
Mais combien le font, justement ? L’agence « Erasmus+ » en France donne les chiffres de « 600 000 personnes en mobilité depuis la France » et le financement des « projets européens de 5000 établissements et organismes de formation »… sur la période 2014-2020. Soit 100 000 par an. C’est beaucoup, mais c’est si peu à la fois. Car ce sont trop souvent les mêmes qui partent. Les grandes écoles, souvent privées voire mixtes comme les IEP ont toutes intégré « l’année à l’étranger » dans leurs cursus. Les partenariats multiples entre établissements plus ou moins prestigieux, à travers l’UE et même au-delà avec l’élargissement par « Erasmus mundus », sont d’ailleurs aussi devenus des éléments essentiels de la concurrence sur le marché de l’enseignement supérieur.
Pour la majorité de familles plus modestes, en France comme dans toute l’UE, la promesse européenne reste en suspens. Et ce n’est pas qu’une simple question de moyens financiers. C’est d’abord l’obstacle du capital culturel qu’il faut surmonter. Pour ces jeunes, et leur famille, l’Europe est lointaine, les procédures dissuasives et l’information insuffisante. Ils s’imaginent que c’est une affaire réservée aux étudiants, aux bourgeois, et renoncent pour ces mauvaises raisons à réclamer leur part de rêve européen. C’est comme ça que l’Europe nous échappe et se laisse confisquer par les élites.
Les efforts, louables, de l’agence nationale en faveur des apprentis et en particulier des lycées agricoles ne suffiront pas. Son budget, d’environ 5 millions par an, est insuffisant, et son action reste trop confidentielle. Nous avons besoin de renforcer les dispositifs publics pour informer les familles, et les accompagner pour constituer les dossiers, mais aussi pour se familiariser avec l’idée qu’une éducation à l’étranger fait partie de leurs droits et de leurs chances.
Donnons-nous les moyens d’une Europe populaire qui tient sa promesse de paix et prospérité partagées pour tous les citoyens européens – et pas seulement ceux qui bénéficient déjà de conditions d’études favorisées.
L’Europe n’est pas la propriété des technocrates et des élites. Et elle ne s’arrête pas avec l’élection de nos représentants au Parlement européen tous les cinq ans. L’Europe est notre affaire à toutes et tous.
Rodrigo Arenas