Mercredi 29 mai, le ministère de l’Éducation nationale réunissait les syndicats pour présenter le projet de texte sur la réforme de la formation initiale des enseignants et enseignantes et des CPE. Plusieurs organisations syndicales – les syndicats de la FSU et la CGT Éduc’Action – ont quitté la réunion pour marquer leur désapprobation. Cette réforme, dont les principales caractéristiques avaient « fuité » il y a quelques mois, les syndicats et les personnels des INSPE se mobilisent pour la dénoncer depuis des semaines. Pourtant, la rue de Grenelle semble faire le choix d’un passage en force. Un énième qui n’étonne même plus.
« À trois mois de la rentrée, rien n’est prêt, de nombreuses questions restent sans réponse » dénoncent les syndicats de la FSU qui ont quitté la réunion et voient dans ce groupe de travail « une mascarade de concertation, du cafouillage, de l’impréparation ». « Les formateurs et formatrices ne savent pas quel sera leur avenir et ce qu’ils et elles devront enseigner dès la rentrée 2024. Les étudiantes et étudiants ne connaissent ni les attendus de la formation, ni les maquettes de concours, ni le traitement qui leur sera réservé une fois lauréates et lauréats ». Pour la CGT Éduc’Action, qui a aussi quitté la rencontre, cette réforme est « une occasion de plus pour l’administration d’imposer un projet à marche forcée et de manière précipitée, malgré l’opposition et les alertes de la totalité des organisations syndicales ».
Obligation de service de quatre ans
Si les délais sont largement dénoncés par les organisations syndicales et les personnels des INSPE, c’est aussi la réforme en elle-même qui inquiète. Dans le projet de texte que le Café pédagogique a pu consulter, on découvre par exemple dans l’article 8-1 que les lauréat·es du concours, à leur titularisation, donc après leurs deux années de formation, devront quatre ans à l’institution. « En cas de manquement à cette obligation, les intéressés doivent, sauf si le manquement ne leur est pas imputable, ou qu’il fait suite à la réussite à un concours leur permettant d’accéder à un autre corps ou cadre d’emplois, verser au Trésor une somme dont les modalités de calcul sont déterminées par arrêté du ministre chargé de l’éducation et du ministre chargé du budget ». « Une obligation d’engagement à servir pour quatre ans dans la Fonction publique » qui ne devrait pas mettre fin à la crise d’attractivité des métiers du professorat s’agace la CGT Éduc’Action qui s’alarme des « incertitudes juridiques de cette réforme » et dénonce « l’attaque du statut de la Fonction publique que constitue le statut des élèves stagiaires en M1 ». Élèves qui recevraient une gratification « malgré l’obtention d’un concours de la Fonction publique et n‘auraient pas le statut de fonctionnaire stagiaire ». « Comment des étudiantes et étudiants peuvent-ils aller vers le métier d’enseignant et CPE quand après avoir réussi le concours, elles et ils seront gratifiés de 900 euros par mois et devront s’engager pour quatre ans pour l’Éducation nationale, alors que précédemment les lauréates et lauréats percevaient un salaire de 1 800 euros ? » » interroge quant à elle la FSU.
Quant à l’université, elle n’apparaît absolument pas dans le projet de texte. Aucune occurrence du mot université sur les 42 pages. Le texte évoque, en revanche, à plusieurs reprises une formation mise en œuvre par des « organismes de formation ». Signe de l’arrivée du privé sur le marché de la formation des enseignants et enseignantes ?
Une pièce de puzzle
Guislaine David, porte-parole de la FSU-SNUipp, est très inquiète. « Cette réforme est à envisager avec l’ensemble des dernières annonces. C’est tout un système qui est mis en place. Je ne peux m’empêcher de penser au livre de Xavier Pons où il évoque des puzzles accélérés. Avec toutes ces dernières réformes, on commence à discerner un paysage général ».
Et en effet, lorsque l’on assemble les différentes réformes annoncées ces derniers mois, c’est tout le système scolaire qui semble attaqué. Le choc des savoirs, c’est aussi de nouveaux programmes, qui « sont terribles car ils instaurent des savoirs minimums », c’est le brevet à avoir obligatoirement pour passer au lycée, c’est la généralisation du SNU, c’est le port de l’uniforme… « Quand Gabriel Attal explique que la fin des correctifs c’est pour que les taux de réussite au brevet et au Bac soient plus sincères, il dit finalement que les 80% d’une classe d’âge qui a le bac, ce n’est pas si important. Le projet, c’est de mettre de côté une partie de la jeunesse. Une forme de volonté que tous les élèves n’accèdent pas à de hautes fonctions, aux fonctions de pouvoir. C’est la question de l’émancipation de tous les jeunes qui est remise en cause ».
Et selon la secrétaire générale de la FSU-SNUipp, la réforme de la formation continue vient compléter ce tableau, c’est une nouvelle pièce au puzzle. « L’appellation XXIème siècle n’est pas anodine. Le projet de ce gouvernement est de calquer la formation des futurs enseignants sur ce qui était en cours il y a 100 ans. On va les former aux mathématiques et au français, en occultant toute la richesse de la polyvalence du métier de professeur des écoles. C’est oublier que l’école primaire se nourrit de toute la diversité des enseignants et enseignantes qui y exercent. On voit en filigrane cette idée que l’enseignant n’a pas besoin de réfléchir mais juste d’appliquer une méthode fournie clés en mains par la hiérarchie. L’utilisation de manuels labelisés et les évaluations nationales tous les ans s’inscrivent dans cette logique »
C’est dans trois mois que devra être mise en œuvre la nouvelle formation des métiers du professorat et des futurs CPE. Trois mois pour que les INSPE changent toute leur maquette, trois mois pour que les étudiants et étudiantes fassent le choix d’une formation dont ils ne saisissent pas trop les contours. Si la pénurie de candidats et candidates inquiète – un tiers de la profession partira à la retraite d’ici 2030, justifie-t-elle une telle précipitation ?
Lilia Ben Hamouda