« Un peu de magie au royaume de la poésie. Un projet doux, fou, magnifique » c’est en ces termes qu’Audrey Garcia, professeure de Lettres-Histoire au lycée professionnel La Tournelle de La Garenne-Colombes dans les Hauts-de-Seine. Et en effet, c’est un projet assez fou que monte l’enseignante, par ailleurs formatrice académique, depuis six ans. Ses élèves, des élèves de lycée professionnel, se produisent sur scène dans un lieu mythique, symbolique créé par Pierre Debauche il y a presque 60 ans, au cœur des bidonvilles où il jouait en arabe, portugais, espagnol le Molière qu’il voulait offrir à tous. Eux, ils (22 garçons et 2 filles) sont en Terminale Systèmes Numériques. Ils et elles ne savaient pas grand-chose du théâtre il y a encore un an. Pourtant, ils travaillent depuis le début de l’année avec Simon Falguières pour des représentations dans des salles mythiques. « Tant d’émotions aujourd’hui » nous dit Audrey Garcia. « Tous ces possibles ouverts grâce à un digne descendant de cette lignée d’artistes qui par les mots, qui par les yeux, qui par la poésie invente ce qui semble impossible pour le faire vivre ».
Ce projet s’inscrit dans la continuité d’un partenariat mis en place depuis six ans entre Audrey Garcia, le lycée et le théâtre des Amandiers de Nanterre – Audrey Saoli, responsable de projets en lien avec le public, tout particulièrement. « Une confiance mutuelle s’est établie ce qui a permis de penser des projets de plus en plus ambitieux », raconte-elle. Le théâtre des Amandiers de Nanterre n’est pas un lieu comme les autres.
« C’est un lieu mythique, symbolique créé par Pierre Debauche – pionnier de la décentralisation, il y a presque 60 ans, au cœur des bidonvilles où il jouait en arabe, portugais, espagnol le Molière qu’il voulait offrir à tous ». Et si l’enseignante est si investie, c’est parce qu’elle-même a expérimenté le théâtre lorsqu’elle était lycéenne. « C’est l’histoire d’une transmission puisque j’ai eu la chance extraordinaire de connaître Pierre lorsque j’étais au collège /lycée, dans son dernier Théâtre à Agen ».
Des élèves acteurs de leur projet
Professeure principale de ses élèves de la seconde à la terminale, son projet, Audrey Garcia le mène sur trois ans. L’an passé, ses élèves aujourd’hui en terminale, ont travaillé avec Simon Falguière autour de son spectacle Nid de Cendres. De là est née « l’envie mutuelle des élèves, des artistes et de moi-même de retravailler ensemble, a fait émerger cette nouvelle idée ». C’est autour de trois axes que l’enseignante travaille. Un parcours de spectateurs, les élèves vont voir deux pièces par an le soir aux théâtre des Amandiers. Un parcours acteurs lors desquels ils et elles participent à des ateliers de pratique artistique avec des artistes associés au théâtre. Et enfin, un parcours professionnel puisque le projet leur permet de découvrir des métiers et des infrastructures en lien avec leur enseignement professionnel. « Les élèves sont acteurs tout au long de l’année lors des phases d’écritures, de mise en scène avant de répéter puis jouer le spectacle ».
Et lorsqu’on lui demande si cet investissement au long cours est « rentable » du point de vue des apprentissages, on a du mal à l’arrêter. Du côté des compétences disciplinaires, elle estime que ses élèves « ont vécu la littérature ». « C’est cours sont uniques. Les élèves sont à la table avec le metteur en scène, ils ont des discussions interprétatives lors desquelles ils convoquent des auteurs et artistes tels que Nietchze, Kafka, Shakespeare, Chereau, Chereau, Scorcese…. Ils expérimentent la création artistique avec une vision globale de ce que c’est de A à Z. De l’idée de départ jusqu’à à l’œuvre avec toutes les étapes de « brouillons », de tentatives – avec des retours en arrière, des doutes, des discussions autour des personnages, des fils narratifs etc.… ».
Du côté des compétences transversales, là aussi, l’enseignante est prolifique. « Les élèves développent un esprit de classe, de cohésion, de solidarité, de bienveillance. Ce projet facilite la découverte des valeurs de sociabilité et de respect de l’autre, il crée un climat de travail et de confiance. Ils apprennent aussi à prendre la parole, à se mettre en jeu et à s’affirmer en public, à s’ouvrir à l’expression du corps et de la voix, à maîtriser leur corps, leur voix. Ils entrent dans un autre monde, un autre univers… ».
« Il se passe beaucoup de choses bien en LP »
Et pour Audrey Garcia, mettre en avant ce projet, c’est un enjeu. Un enjeu de reconnaissances des élèves de la voie professionnelle. « Il se passe beaucoup de choses bien en LP, et depuis toujours. En termes de recherche pédagogique et didactiques pour des élèves souvent arrivés là contre leur désir, leur volonté car ils ont vécu souvent l’échec ou les difficultés – disciplinaires, méthodologiques, problèmes de comportement, rapport à l’autorité, assiduité… – en collège. Montrer que nos élèves de LP sont capables de s’investir sur un temps long, de se surpasser, de développer de nouvelles compétences, d’aller sur des chemins pour eux totalement inconnus, de montrer combien ils ont aussi une imagination débordante et cela pendant l’année de Terminale et son lot de pressions: CCF, Parcoursup, Épreuves finales en Juin, c’est fondamental pour moi ».
Ce projet le Café pédagogique a choisi de leur mettre à l’honneur car dans notre rédaction, on sait que les élèves de la voie professionnelle sont capables, que parfois il suffit de leur donner l’occasion de le montrer en sortant des sentiers battus. « Ce projet qui re-donne confiance aux élèves, il participe à créer une histoire commune entre tous ces élèves, une solidarité faite de petits gestes et de paroles réconfortantes, une culture commune riche dans un cadre certes contraint mais aussi bienveillant: exigence et bienveillance » s’émeut Audrey Garcia. « Un projet qui finalement est tellement éloigné de l’image si souvent associée aux élèves du lycée professionnel. Je suis si fière de mes élèves qui mènent de front avec un grand panache leur année de Terminales – Bac, ParcourSup… – et ce projet qui leur demande beaucoup. J’ai à cœur de mettre en avant leur expérience extraordinaire ».
Lilia Ben Hamouda