Yannick Trigance, conseiller régional, interpelle le Président de la République à la suite de la publication d’une interview dans la Tribune Dimanche. Pour le spécialiste des questions d’éducation, l’école portée par Emmanuel Macron est une école qui « fleure bon la naphtaline ». Il signe cette tribune.
Monsieur le Président de la République, dans votre récente interview au journal « La Tribune Dimanche » du 5 mai , vous vous livrez à un auto-satisfecit en matière de politique éducative, soulignant avec emphase que « beaucoup de transformations sont en cours pour recréer une école de qualité : le choc des savoirs la formation des maitres, le pacte enseignant… »
Au moment même où partout sur le territoire des mobilisations de l’ensemble de la communauté éducative – parents, élèves, enseignants, élu.es, … – ont lieu pour dénoncer le retour à une école passéiste, conservatrice et au sein de laquelle le déterminisme social menace notre pacte républicain, vos déclarations résonnent comme une provocation indécente, déconnectée de la réalité quotidienne que vivent nos établissements scolaires.
Monsieur le Président, votre « choc des savoirs » consiste avant tout à remettre en cause la logique du collège unique instaurée il y a un demi-siècle et à dénigrer dans le même temps l’organisation pédagogique du traitement de la difficulté scolaire élaborée par les enseignants dont les compétences, connaissances et capacités professionnelles sont clairement désavouées.
Construit sans concertation aucune et avec des contraintes qui le rendent inapplicable dans bon nombre d’établissements, votre « choc des savoirs » rabaisse les équipes pédagogiques au rang de simples exécutantes d’une politique éducative au rabais, sans ambition pour notre jeunesse.
Les groupes de niveau que vous évoquez pudiquement dans votre interview en parlant « d’accompagnement en groupes au collège » constituent de fait une mesure de tri et d’assignation sociale alors même que toutes les études publiées depuis des années montrent que la gestion de l’hétérogénéité par des logiques de séparation des élèves selon leur niveau ne fonctionne pas, creusent davantage les inégalités sans élever le niveau général et stigmatisent les élèves les plus en difficultés dont la motivation et l’estime de soi sont alors durablement abîmées.
Et que dire de l’évaluation que vous invoquez « afin de ne plus laisser des enfants passer automatiquement » ?
Ce retour à peine déguisé du redoublement –déjà remis au goût du jour dans le premier degré malgré son caractère socialement injuste, psychologiquement impactant et pédagogiquement inadapté – va assurément transformer le Diplôme National du Brevet en examen d’orientation avec la mise en place d’une classe « prépa – lycée » pour ceux qui ont échoué, sans définir de quelque manière que ce soit ce qu’il adviendra par la suite de ces élèves.
Il s’agit là d’une forme de remise en cause de la scolarité obligatoire au sens où seuls vont en classe de seconde ceux qui obtiennent un brevet transformé de facto en passeport pour le lycée.
Alors que l’hétérogénéité constitue un enjeu essentiel en matière de mixité sociale et de vivre-ensemble, tirant vers le haut les élèves en difficultés sans freiner les « bons » élèves, à l’inverse et sans état d’âme vous assumez un modèle d’école qui renforce une élite et qui affaiblit les élèves les plus fragiles.
Comment pouvez-vous alors prétendre que « la lutte contre l’assignation à résidence » est au cœur de votre « ADN » quand dans le même temps vous mettez en place une école incapable de gérer l’hétérogénéité malgré l’engagement des enseignants et que vous refusez de voir combien l’absence de mixité sociale non seulement produit de la défiance mais renforce chez les familles les plus en difficultés un terrible sentiment d’abandon ?
Votre absence de prise de position publique sur cette question pourtant essentielle et terriblement d’actualité de la mixité sociale -hormis pour souligner l’urgence qu’il y a à « ne pas réveiller de vieux conflits » – traduit votre refus à scolariser ensemble tous nos jeunes et à relever le triple défi pédagogique, politique et moral d’une école de tous et pour tous.
Monsieur le Président , votre école qui fleure bon la naphtaline n’est pas la nôtre : face à votre école du tri, du séparatisme social et de la compétition, il convient de porter le projet d’une école de l’altérité, de la fraternité et de l’émancipation dotée des moyens humains pour prendre en charge la diversité des besoins des élèves.
Une école qui, au moins le temps de la scolarité obligatoire, accueille sur ses bancs tous les enfants de la République pour, ensemble, faire société aujourd’hui et demain.
Yannick TRIGANCE
Conseiller régional Ile-de-France