Le sait-on ? « Pendant presque 3 siècles, le terme « écrivain » désigne tous ceux qui manient la plume : scribes, clercs, secrétaires, (…) jusqu’ à l’écolier qui s’assoit au banc des écrivains ». Ce n’est qu’à la fin du 19ème siècle qu’ « un hiatus se fait jour entre usages sociaux (…) et usages dits scolaires, directement issus de la prescription et de la culture académiques ». C’est le rappel utile d’Anne-Marie Chartier dans les actes du colloque « Ecrire à l’adolescence » que publie Lecture Jeune.
Le sait-on assez ? Comme le démontre une étude essentielle de Christine Mongenot et Anne Cordier, les adolescents, à l’écart de l’Ecole, dans un environnement numérique, ont développé de l’écriture une pratique massive, régulière et diverse : « 92% des 14-18 ans écrivent « dans leur vie de tous les jours », hors de l’école ». Cette pratique est hélas invisibilisée, hélas dévalorisée par les adultes, voire par les jeunes eux-mêmes, hélas inégalitaire. A l’heure où le discours politique et médiatique dominant continue à mépriser l’immaturité présumée de la jeunesse jusqu’à réclamer une « majorité numérique à 15 ans », peut-on prendre le parti de l’éducation plutôt que celui des préjugés et de la répression ? Autrement dit, peut-on demander non pas aux jeunes d’écrire moins, mais à l’Ecole, à partir de ces appétences, de leur apprendre à écrire encore plus et encore mieux ?
Reconnaitre et exploiter la culture nouvelle de l’écrit, transformer nos imaginaires et nos programmes, diversifier nos activités, dispositifs, supports et formats, considérer l’élève comme sujet écrivant, réconcilier pratiques informelles et compétences formelles, articuler les dimensions esthétisantes et socialisantes de l’écrit, bref faire évoluer la didactique de l’écriture : c’est le défi que ce numéro inspirant de Lecture Jeune aidera l’Ecole à relever. Avec des réflexions et propositions d’Anne Vibert et Alain Brunn, inspecteurs généraux, Cécile Couteaux, Christine Dupin, Hella Feki, Sanah Jassin, professeures de lettres, Emmanuel Vaillant, journaliste fondateur de la Zone d’Expression Prioritaire, Pierre Moinard, enseignant-chercheur, Alexandre Gefen, directeur de recherche au CNRS …
« Au collège, témoigne Hella Feki , je demande à mes élèves de constituer un « cahier du tout et du presque rien », objet à la frontière du carnet de lecture et du journal de bord. En respectant des consignes qu’ils vont piocher et qui vont cadrer leur écriture, ils vont faire part de leurs impressions de lectures. C’est aussi dans ce cahier qu’ils collectent les références et les idées qui servent de lanceurs à leurs écrits. Parallèlement, ils collectent dans une pochette que j’ai nommée « Pochette de récolte des matériaux d’écriture » des écrits divers, des photographies, des objets, des affiches, des articles etc, toute la matière qui leur permet d’entrer en écriture, en partant de soi. Je retrouve d’ailleurs souvent des chansons et des citations dans leurs cahiers, ce qui montre que l’écriture des jeunes se débloque lorsqu’on leur donne cette liberté de s’approprier, à l’écart des adultes, une expression qui leur est propre. »
« Ecrire, explique Christine Dupin, suppose toujours d’une manière ou d’une autre de « styliser son existence », c’est-à-dire de se mettre en scène ou, a minima, de mettre en scène son propos : c’est cet effet-là qui donne sens à la pratique de l’écriture, et le moment où l’auteur/ l’autrice affronte le regard d’un lecteur ou d’une lectrice constitue « le moment clé d’un dispositif d’écriture ». Par la publication, même symbolique du texte, l’écriture numérique l’offre à un lectorat, permettant ainsi à l’élève de se penser comme auteur et favorisant chez lui l’élaboration du sens qu’il peut donner à la littérature. »
CQFD. Ce qui nous reste à déployer.
Jean-Michel Le Baut