En déplacement dans une école parisienne, le Président a confirmé les informations qui avaient fuité il y a deux semaines. Les concours du professorat passent bien à bac+3 – au lieu des bac+5 actuels. Pour les professeurs des écoles, c’est la généralisation d’une licence spécifique, avec la création des Licences Préparatoires au Professorat des Écoles. Pour les professeurs de collège et lycée, les concours seront accessibles à partir d’une licence disciplinaire. Tous les lauréats intégreront l’école normale du XXIe siècle, les « Écoles normales supérieures du professorat » (ENSP) sous un statut d’élève stagiaire, en Master 1, et de fonctionnaire stagiaire en Master 2.
« Si on peut réussir le choc des savoirs, on a besoin des maitres les mieux formés » a déclaré Emmanuel Macron lors de son déplacement à l’école Blanche dans le neuvième arrondissement parisien. Le Président dénonce le système actuel, « qui n’était sans doute pas le meilleur » ( pour rappel, la dernière réforme, c’est sous Blanquer), qui fait « naviguer les enseignants pendant cinq ans dans des filières diverses … On avait donc des professeurs qui étaient sortis des savoirs fondamentaux ». « Ce phénomène que je décris auquel s’ajoute la crise d’attractivité nous a poussés à changer la formation initiale des enseignants ».
En 2025, tous les étudiants titulaires d’une licence pourront passer les concours du professorat. Les PPPE existants seront renouvelés et amplifiés. Les étudiants suivants d’autres filières pourront suivre des modules complémentaires qui seront proposés par les universités dès la rentrée 2024.
À la rentrée 2025, une nouvelle licence, la LPPE, sera dédiée à la préparation au métier de professeur des écoles. « Une licence où on étudiera les mathématiques, le français, l’histoire, la géographie, avec des méthodes innovantes avec un corpus profondément rénové qui s’inspire de tout ce qui a été travaillé par le ministère ces dernières années », a précisé Emmanuel Macron. On pense notamment aux guides orange, verts, rouges… Le ministère confirme que près des 80% des lauréats seront issus de ces licences, « même si des passerelles seront possibles ». Les étudiants de L1 et L2 passeront des tests nationaux qui les dispenseront d’une partie des épreuves du concours.
Les candidats aux concours de professeur de collège et lycée seront toujours issus de licences disciplinaires, mais auront eux aussi la possibilité de suivre des modules de préparation au métier enseignant et de préprofessionnalisation.
Tous les étudiants se retrouveraient ensuite au sein des ENSP. En Master 1, ils seraient à mi-temps en stage d’observation, nous précise le ministère. Pas de précision sur la quotité en stage. Ils seront rémunérés 1 400 euros. Ils auront le statut d’élève stagiaire et seront redevables d’un certain nombre d’années d’exercice au service public. Là encore, le ministère n’a pas su préciser combien d’années.
En Master 2, les fonctionnaires stagiaires seraient en responsabilité, au moins à mi-temps, devant les élèves. Ils seraient rémunérés 1 800 euros net.
Du côté de l’organisation, la rue de Grenelle affirme que certaines licences existantes, telles que celles de sciences de l’éducation et de la formation ou la licence pluridisciplinaire, pourraient être absorbées par la LPPE. « Les universités restent autonomes dans ce choix », nous dit-on.
Interrogé sur la question du coût de cette réforme, le ministère compte sur les économies réalisées sur les licences (qui sont absorbées par la LPPE) et le fait que les étudiants seront devant élèves. « Nous équilibrons budgétairement cette réforme », assure-t-on.
Les syndicats, vent debout
Le Sgen-Cfdt, qui demande le report de la réforme, craint le pire « sur la future structuration de la formation ». « On devine dans les non-dits un décrochage entre premier et second degré que le Sgen-CFDT réprouve », écrit le syndicat dans un communiqué. « L’inquiétude sur l’avenir des personnels n’est pas levée. Le projet d’école normale du XXIe siècle tourne le dos à plus de trente ans d’évolution et méprise les collègues investis dans l’ensemble des formations aux différents métiers de l’enseignement et de l’éducation. Les propos du président nous inquiètent de nouveau fortement sur sa vision de l’université. Affirmer que les étudiants et étudiantes sont sortis des apprentissages fondamentaux pendant leurs 5 années d’études n’est pas acceptable. Pour ouvrir et financer les licences PPE, le président annonce la fermeture d’autres filières qui n’auraient pas de débouchés, ce qui insécurise en réalité tous les personnels qui exercent dans les universités ».
« Si on peut être favorable à un recrutement en L3 suivi de deux années de formation rémunérée allant jusqu’en Master, on ne peut pas se satisfaire de ce projet, pour nous le ministère franchit la ligne rouge en généralisant les PPPE », nous dit Guislaine David, secrétaire générale et porte-parole de la FSU-SNUipp. « Ce qui ne convient pas c’est la reprise en main par le ministère de la formation initiale en mettant de côté la formation universitaire et la recherche en éducation. Que deviendront les licences sciences de l’éducation ? Qui assurera la formation des enseignants ? Le document (document qui avait fuité) indique que ce seront des enseignants choisis et repérés … mais par qui et pourquoi ils sont repérés ? Parce qu’ils appliquent les bonnes pratiques ? Celles dont on ne sait pas si elles sont efficaces à terme. Cette reprise en main est inquiétante, car ça veut dire qu’on cherche à faire des enseignants des exécutants et non plus des concepteurs de leur enseignement. Il faut des enseignants qui soient en mesure de répondre aux difficultés des élèves et de prévenir les difficultés. Pas des enseignants qui appliquent des fiches. Enseigner est un métier de haute qualification ». Sur la question d’un temps de service dû par les élèves stagiaires, qui auraient donc bénéficié d’une rémunération en Master 1, la responsable syndicale doute « qu’un engagement renforce l’attractivité du métier ».
Pour le Snes-FSU, « Macron décide seul et contre les intérêts de l’École ». « On a eu deux réunions en décembre, avec différentes pistes et trois mois après, on apprend que l’arbitrage est fait ! Encore un symbole du mépris démocratique du président… » s’exaspère Sophie Vénétitay, secrétaire générale. « Et c’est un projet dangereux pour l’avenir de l’École. Un concours à bac+3, ce sont des professeurs déqualifiés, avec une formation qui ne permettra pas l’acquisition d’un niveau disciplinaire suffisant pour exercer notre métier dans de bonnes conditions. Finalement c’est la vision d’un prof technicien qui s’impose… à rebours de l’ambition qu’on peut avoir pour ce métier, avec des professeurs concepteurs de leur métier ». Quant au calendrier, Sophie Vénétitay estime qu’il « est intenable » et qu’il « va mettre sous tension tout le système éducatif ».
Lilia Ben Hamouda
Dans le Café pédagogique :
Sur le projet (qui avait fuité le 22 mars)
Écoles normales du XXIe siècle : Un projet dont ne veulent ni les universités ni les syndicats
« Écoles normales du XXIe siècle : « normales » surtout, « du XXIe siècle », moins…
Sur les PPPE
PPPE, bilan de la première année
PPPE : Le futur de la formation initiale ?