La fin des correctifs académiques des notes du Diplôme National du Brevet signe la « contre-démocratisation scolaire » selon Laurence De Cock. « Fidèle à sa méthode de flatterie de l’opinion publique réactionnaire sur fond de lieux communs, Gabriel Attal a tenu à annoncer solennellement que dès cette année, et encore plus en 2025, le taux de réussite au brevet allait fortement baisser… » écrit l’historienne qui y voit « la capitulation sans état d’âme, et même avec un fond de jubilation, sur l’ambition de démocratisation ».
En 2023, 89% des élèves de Troisième ont obtenu leur brevet. Certes avec des mentions différentes, mais toutes et tous sont sortis du collège avec un premier diplôme. Plus qu’un bout de papier, un document qui témoigne d’une première partie de scolarité achevée pour préparer la suite. Bien-sûr tout le monde sait que l’examen est plutôt facile et qu’il est convenu, dans la profession, de se montrer généreux. Sans doute parce que le plaisir de voir un enfant sourire fait partie du jeu. Quel mal à cela ?
La plupart des jeunes qui n’obtiennent pas cet examen ont soit traversé d’importantes difficultés personnelles pendant leur scolarité, soit accumulé des difficultés scolaires très lourdes qu’une seule année n’a pu rattraper. On peut se féliciter qu’ils soient peu nombreux mais on ne peut pas faire comme s’ils n’existaient pas. Par exemple, en Seine-Saint-Denis, le taux d’obtention n’est que de 84% ; en Guyane de 75%. La corrélation entre le niveau social des enfants et l’obtention du brevet est sans appel et les inégalités territoriales restent fortes. Ce pourquoi il existe un système de correctif académique des notes.
Mais on peut déjà parler de cette organisation au passé. Car, dans la mallette du « choc des savoirs » que promet et promeut Gabriel Attal assisté par Nicole Belloubet, se trouve une mesure dont il a l’air de se réjouir et qui constitue l’un des nombreux signaux de la contre-démocratisation scolaire en marche.
La fin de la récré
Fidèle à sa méthode de flatterie de l’opinion publique réactionnaire sur fond de lieux communs, Gabriel Attal a tenu à annoncer solennellement que dès cette année, et encore plus en 2025, le taux de réussite au brevet allait fortement baisser. D’abord par un système de changement de notation (la fin de la prise en compte des compétences et le retour à la note), ensuite par la suppression du correctif académique. Pire encore, qu’il serait désormais impossible d’entrer au lycée sans le brevet.
La déclaration n’ a pas semblé émouvoir outre-mesure. Beaucoup se sont même empressés d’y voir du bon sens, et, quel soulagement, le retour de la sacro-sainte note. Je ne reviendrai pas sur l’absurdité qui consiste à penser qu’une note est plus objective que l’évaluation d’une compétence, d’autres l’ont fort bien expliqué. Ce qui m’intéresse ici, c’est la satisfaction qui émane du gouvernement à l’idée que plus d’élèves sortent sans diplôme ; dit-autrement, la capitulation sans état d’âme, et même avec un fond de jubilation, sur l’ambition de démocratisation.
80% au Bac
En 1985, le Ministre Jean-Pierre Chevènement avait fait la démarche inverse. Ne pouvant se contenter d’un taux de réussite de 67% au Bac (mais seulement pour un tiers d’une cohorte d’adolescents), il avait annoncé se fixer pour objectif d’emmener 80% vers l’obtention de l’examen. Le bac professionnel a d’ailleurs été instauré pour cela. Ce faisant, il ne s’agissait pas seulement d’inverser la courbe de l’échec et de nourrir une plus grande estime de soi pour les jeunes lauréats ; même si cet objectif était déjà fort louable ; il s’agissait aussi de qualifier professionnellement plus de jeunes car l’entrée dans le marché du travail ainsi que le salaire découlent en grande partie des diplômes en poches.
À cette date, le taux de grincheux hostiles à tout ce qui ressemblait à leurs yeux à un « nivellement par le bas » était déjà assez fort et la mesure n’avait pas manqué de susciter ironie et mépris de classe. Toutefois, peu oseraient aujourd’hui remettre en question la création du Bac professionnel comme une avancée en termes d’opportunité de qualification pour les jeunes. Ce faisant, Chevènement – que l’on peinerait à considérer comme le parangon des « pédagogistes » – ne faisait que se mettre dans les pas des politiques éducatives précédentes (à l’exception de Vichy) qui, toutes, avaient comme boussole de garder les enfants le plus longtemps possible, et ensemble, dans le système éducatif afin d’élever le niveau général de qualification. Que le Bac soit général, technologique, ou professionnel, l’élève devenait bachelier. Et ce n’était pas rien.
Maltraitance
On l’aura compris, le gouvernement s’est engagé à contre-sens. En juin prochain, nous aurons droit aux statistiques pour bien vérifier que le taux de réussite soit en baisse. Ils trouveront sans doute que ce n’est pas encore assez : « Peut mieux faire ! objectif 10% de baisse en plus pour l’année 2025 ! » Le cauchemar.
On a beau tenter de leur rappeler sous tous les tons que les enfants ne sont pas réductibles à des chiffres ou des niveaux, rien ne semble les freiner dans l’ignominie. Naturellement cela ferait tâche d’admettre que le décrochage scolaire risque de flamber. Ce pourquoi les chargés de com’ du ministère ont eu l’idée d’une formule qui clignote sur le papier : des prépas-lycées. Il y aurait ainsi une classe prépa-lycée dans chaque lycée pour accueillir les élèves sans brevet.
D’abord c’est matériellement impossible puisqu’il a été annoncé que l’école serait l’une des premières institutions touchées par l’austérité. Ensuite, les dotations étant laissées aux mains des rectorats, il y a fort à parier que, dans certaines régions, on aura au mieux l’offre d’une seule classe pour un immense secteur géographique, ce qui conduira immanquablement à l’abandon par les élèves trop éloignés de leur lieu de scolarisation. Enfin, et surtout, on a là l’ajout d’une voie de garage supplémentaire car rien ne garantit l’intégration au lycée de celles et ceux qui auront passé un an dans ces classes de relégation dont on ne voit pas bien d’autre finalité que celle de servir de salle d’attente jusqu’à la fin de la scolarité obligatoire.
En plus de renforcer à terme le tri social, cette mesure est donc une atteinte au droit à l’éducation. C’est peut-être désormais sous l’angle de la maltraitance qu’il faut regarder ce « choc des savoirs » et sous celui de la protection de l’enfance qu’il faut penser la riposte.
Laurence De Cock