Travail de groupe, travail en groupe ? Laurent Reynaud interroge ici ce dispositif pédagogique. « Pressés par les programmes et les injonctions paradoxales, nous oublions parfois de surseoir à l’action et nous condamnons les élèves à une certaine dérive productiviste. Dans cette course à la production, l’altérité devient un frein et on en vient alors à regretter l’hétérogénéité, condition pourtant inhérente à tout groupe humain. Et si on oubliait la production ? Et si on réinstaurait du temps pour penser ensemble ? Et si on utilisait l’altérité en classe ? ».
“Je pense car tu es.” Avec cette phrase, Albert Jacquard nous rappelle l’évidence : l’altérité déstabilise nos certitudes ouvrant ainsi la voie au doute et à la réflexion individuelle.
“Aujourd’hui, vous allez faire du travail de groupe”. Avec cette phrase qui résonne souvent en classe, nous essayons d’utiliser concrètement l’altérité pour faire travailler les élèves ensemble.
Une fois en groupe, les élèves doivent faire une carte, faire un exercice, faire une affiche, faire un exposé, etc. Faire plutôt que penser. Les élèves exécutent mais pensent-ils http://cafepedagogique.studio-thil.com/wp-admin/admin.php?page=of-options-wizard? Apprennent-il vraiment en faisant ensemble ?
Pressés par les programmes et les injonctions paradoxales, nous oublions parfois de surseoir à l’action et nous condamnons les élèves à une certaine dérive productiviste. Dans cette course à la production, l’altérité devient un frein et on en vient alors à regretter l’hétérogénéité, condition pourtant inhérente à tout groupe humain. Et si on oubliait la production ? Et si on réinstaurait du temps pour penser ensemble ? Et si on utilisait l’altérité en classe ?
“Travail de groupe” ou “travail en groupe”
Dans le quotidien de la classe, nous sommes nombreux à mettre en œuvre du travail de groupe ou du travail en groupe, sans vraiment distinguer les deux. La nuance permet pourtant d’y voir plus clair et de changer notre regard sur l’hétérogénéité.
Le travail de groupe s’apparente à ce que nous faisons classiquement en cours quand nous proposons aux élèves de s’installer ensemble pour réaliser une production. Les élèves collaborent, notamment en se répartissant les tâches, pour optimiser la réalisation commune qui est attendue, et parfois évaluée. Cette répartition relègue à des tâches subalternes des élèves les moins connivents avec l’école.
Par ailleurs, lorsque nous sortons de ces séances de travail de groupe, nous regrettons :
- l’hétérogénéité d’implication des élèves : “Certains font tout le travail pendant que d’autres attendent” ;
- le temps nécessaire pour que les élèves se mettent au travail : “On ne pourrait pas faire toutes les notions du programme avec du travail de groupe”, “Ils commencent à s’y mettre à la fin, juste avant la sonnerie” ;
- le bruit : “Ils ne savent pas s’écouter”, “Ils parlent trop fort”.
Ces regrets s’expliquent peut-être par une confusion entre le préalable et l’objectif. Savoir travailler en groupe n’est ni spontané, ni un prérequis, c’est justement le rôle de ce travail de groupe : apprendre à travailler ensemble.
Le travail en groupe correspond davantage à la phrase d’Albert Jacquard. Il s’agit de mettre les élèves ensemble sans production attendue. Mais alors que font-ils ?
Cette fois, l’objectif du groupe est simplement d’échanger des représentations ou des avis sur une situation problème donnée en amont. Les élèves coopèrent en confrontant leur point de vue. Pour l’enseignant, l’objectif de cette friction d’avis est de susciter du doute individuel chez les élèves : “Mon camarade ne pense pas comme moi, mais alors qui a raison ?”. De cette manière, le travail en groupe sert à faire émerger chez les élèves un intérêt sur la notion qui va suivre.
Un travail en groupe en 10min : top chrono !
Avec des collègues et deux chercheurs, Sylvain Connac et Bruno Robbes, nous avons mis au point une proposition de mise en œuvre concrète du travail en groupe.
Voici une présentation de cette proposition :
Cette mise en œuvre a été étudiée pendant quatre ans dans le cadre d’une recherche collaborative avec l’institut Français de l’éducation (LéA-IFé). Une partie de nos résultats est publiée dans cet article : Est-il nécessaire de douter pour apprendre.
Le détail de cette pratique de travail en groupe, des retours de plusieurs collègues et des adaptations sont disponibles dans l’ouvrage “Faire collectif pour apprendre”.
Et après le travail en groupe ?
Une fois le travail en groupe terminé, et le doute plus ou moins installé dans la tête des élèves, deux suites sont possibles :
– transmettre les connaissances à acquérir et écrire le bilan avant de passer à une activité de réinvestissement, comme un exercice;
– passer à une activité de recherche pour que les élèves trouvent dans des ressources les réponses à leur doute et conclure par un temps de bilan.
Entre ces deux alternatives, notre équipe n’a pas tranché. Nous essayons l’une ou l’autre selon les contextes de classe ou les notions à transmettre. C’est une incertitude assumée : nous revendiquons ce tâtonnement pédagogique car il nous permet d’adapter des outils pédagogiques à des objectifs qui peuvent varier.
Pour certains, les différences entre les élèves freinent les progrès individuels et le recours aux groupes de niveaux s’impose. Pour d’autres, ces mêmes différences représentent une richesse idéalisée mais rarement mise au service des apprentissages. Ce travail en groupe ouvre sans doute l’horizon vers une troisième voie qui utilise l’altérité comme une ressource nécessaire au progrès individuel. Pour celles et ceux qui s’animent par l’éthique d’éducabilité et l’esprit de concorde, cette voie est plus que bienvenue.
Reynaud Laurent
Enseignant de SVT
Blog des classes coopératives du lycée : feydercoop