Les arrêtés tant attendus, et plusieurs fois reportés, sur les groupes de niveau/besoin, entre autres, sont parus au journal officiel dimanche 17 mars. Si la notion de groupes de niveau n’apparait pas dans le texte – comme le souhaitait Nicole Belloubet, le système dérogatoire qu’a promis cette dernière aux organisations syndicales pour plus de souplesse et d’autonomie des établissements, est fortement compromis par l’ajout d’une limite de temps en classe entière – dix semaines maximum sur l’année.
Ni groupes de niveau, ni groupes de besoin
L’arrêté du 15 mars 2024 est venu modifier celui du 19 mai 2015 relatif à l’organisation des enseignements dans les classes de collège à plusieurs endroits. Il signe la fin des cours de soutien (instauré un an à peine…) et de l’accompagnement personnalisé. Le volume horaire hebdomadaire des sixièmes passe à 25 heures. Le gouvernement compte – en partie – sur cette heure pour financer la nouvelle organisation du collège.
Sur la question épineuse des groupes de niveau/besoin, le décret indique : « Les enseignements communs de français et de mathématiques, sur tout l’horaire, sont organisés en groupes pour l’ensemble des classes et des niveaux du collège. Les groupes sont constitués en fonction des besoins des élèves identifiés par les professeurs. Les groupes des élèves les plus en difficulté bénéficient d’effectifs réduits. Par dérogation, et afin de garantir la cohérence des progressions pédagogiques des différents groupes, les élèves peuvent être, pour une ou plusieurs périodes, une à dix semaines dans l’année, regroupés conformément à leur classe de référence pour ces enseignements. La composition des groupes est réexaminée au cours de l’année scolaire, notamment à l’occasion des regroupements, afin de tenir compte de la progression et des besoins des élèves. ».
Aucune mention à des groupes de niveaux ni à des groupes de besoin n’est inscrite dans ce nouvel article, le 4-1, même si la seconde phrase indique qu’ils seront constitués en regard des besoins des élèves. S’il n’est fait nulle mention aux groupes de niveau, leur organisation ressemblera finalement plus à des groupes de niveau que de besoin. La cadre horaire restrictif imposé par Matignon ne permettra pas de mettre en place ce qu’avait présenté la ministre aux syndicats : des groupes flexibles sur des compétences précises sur un temps donné. Attal aura finalement gagné le bras de fer qui l’opposait à Belloubet. Il lui aura juste accordé une petite concession symbolique : ces groupes ne se nommeront pas des groupes de niveau. Autre détail, qui a son importance, le texte ne définit pas le nombre d’élèves maximum pour le groupe des plus faibles. Il indique seulement qu’ils seront en effectifs réduits. Un effectif de 24 élèves chez les plus faibles contre 26 chez les plus forts sera un effectif réduit pour les premiers…
Outre l’usine à gaz qui se dessine, l’application de cette mesure – qui sera appliquée dès la prochaine rentrée – va être un véritable casse-tête pour les chefs d’établissement – jusqu’alors fortement opposés à cette mesure. Organiser toutes les heures de mathématiques et de français à la même heure pour les élèves de plusieurs classes, trouver assez de salles pour les accueillir et trouver assez de … professeurs dans ces disciplines – ce qui est loin d’être gagné !
Dans le même décret, on découvre que l’EMC, dont le Président avait promis que cette « matière essentielle » verrait son temps doublé, se résumera à seulement trente minutes sur les trois heures hebdomadaires d’histoire-géographie. Un volume horaire identique à celui d’aujourd’hui… On notera d’ailleurs qu’il s’agit bien d’Enseignement Moral et Civique et non d’instruction civique comme l’a martelé Emmanuel Macron.
Syndicats enseignants : un non-sens pédagogique
Pour Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU, ce texte est symptomatique du « en même temps » macroniste. « La publication d’une bonne partie des textes choc des savoirs a un petit côté passage en force le dimanche matin qui est assez agaçant… », nous confie-t-elle. « Sur les groupes, il n’y a pas la mention de niveaux dans l’annexe, comme l’avait promis Belloubet dont acte. En revanche, l’article 4.1 est très révélateur du « en même temps », il n’y a pas groupes de niveaux, mais il y a la mention de dix semaines maximum en classe et la flexibilité des groupes. C’est un mélange d’obsession d’Attal et de sémantique de Belloubet ». « Ça donne une usine à gaz incroyable qui va lourdement peser sur les conditions de travail des profs et peser aussi sur les élèves – on parle d’élèves de 11 ans ! ». « Derrière le compromis politique, le non-sens pédagogique ! » dénonce-t-elle.
« Il y a beaucoup de colère », nous dit Maud Valegas, co-secrétaire fédérale de SUD éducation. « On a l’impression de ne plus avoir d’interlocuteur au ministère de l’Éducation nationale, la sensation d’avoir parlé dans le vide. Cela fait des mois qu’on alerte ». Pour la responsable syndicale, de fait, ces textes seront inapplicables. « Le manque de moyens et l’inadaptation à l’organisation des établissements scolaires mettront à mal cette réforme ». Même en piochant dans les trois heures de marge d’autonomie. « On ne peut même plus parler de marge d’autonomie puisque ces heures seront entièrement destinées aux savoirs fondamentaux. Cela va avoir des conséquences sur les autres disciplines. En langue, c’est la fin des demi-groupes ». « Et puis la mise en barrette ne permettra pas de diminuer significativement le nombre d’élèves ».
« L’arrêté correspond en grande partie à ce que la ministre Belloubet nous a annoncé lors de notre dernière rencontre avec elle », nous dit de son côté Élisabeth Allan-Moreno du SE-Unsa. « À savoir la suppression du mot niveau et l’introduction d’une alternance possible entre l’organisation en classe de référence, celle de toutes les disciplines, et l’organisation en groupes. Il était important que ces deux éléments attendus à juste titre par toute la profession puissent être confirmés par le cadre réglementaire. L’introduction d’un plafond de 10 semaines pour l’organisation en classe de référence, et que la ministre ne nous avait pas donné, sans doute parce qu’elle ne l’envisageait pas, est clairement due au retour en force de Gabriel Attal sur le plan choc des savoirs et à sa volonté de ne pas voir modifier le dispositif classe de niveau tel qu’il l’avait défini il y a quelques mois ». « Le fait que le Premier ministre continue à vouloir influer, maîtriser la politique éducative y compris en mettant en difficulté la ministre n’a rien de rassurant, même si ce n’est pas surprenant », ajoute la responsable syndicale. « Son refus d’un réajustement parce qu’il renverrait à un rétropédalage, son obstination à renforcer le tri des élèves par niveau dépassent l’entendement ». Quant aux textes qui restent à publier, Élisabeth Moreno dit attendre avec « impatience » leur publication, « car ils sonneront en quelque sorte l’heure de vérité ». « Que vise vraiment le Premier ministre ? Permettre un pilotage crédible et serein de la ministre Belloubet ou saboter le pilotage de la ministre, quitte à mettre encore plus en difficulté toute l’école. Au SE Unsa, on exige que le Premier ministre pense en priorité à l’intérêt de tous les élèves du pays et qu’il laisse donc la ministre Belloubet agir et décider ».
Au SNPDEN, syndicat majoritaire des chefs d’établissement, on salue ce texte pour « la souplesse » et la « confiance » qui est donnée « au terrain ». « Il est temps », nous dit Audrey Chanonat, secrétaire nationale. « Il faut à présent former les enseignants ». « La question des moyens humains supplémentaires sera la clé de la réussite ou non de ces mesures, surtout pour la rentrée 2025 », ajoute-t-elle.
Redoublement : une décision et non plus une proposition
D’autres textes du Choc des savoirs ont été publiés dans le journal officiel du dimanche 17 mars : celui sur le redoublement et sur la prépa seconde. Sur le redoublement, le Premier ministre avait promis que les enseignants et enseignantes auraient le dernier mot. Le texte n’est pas si clair. Dans le premier degré, c’est le conseil des maîtres « présidé » par le directeur qui prend la décision du redoublement – on ne parle plus de proposition de redoublement. Les parents qui s’y opposeraient devront faire appel auprès de la commission départementale d’appel – ce qui existe déjà. Cette dernière à elle que reviendrait, dans ce cas-là, la décision finale. Pour les élèves en situation de handicap, c’est l’inspecteur de l’Éducation nationale (IEN) qui décide le redoublement. Un second redoublement peut être décidé, mais après avis de l’IEN. En maternelle, le redoublement reste proscrit.
Dans le second degré, c’est le chef d’établissement qui prend la décision, les familles peuvent là aussi faire un recours. La possibilité d’un second redoublement est offerte seulement lorsqu’il y a eu « interruption de scolarité ».
La FSU-SNUipp rappelle que « le redoublement n’a pas d’effet positif à long terme sur les performances scolaires des élèves, il est nocif pour eux ». « Les différentes études ont montré que dans les systèmes qui pratiquent le plus le redoublement, les inégalités liées à l’origine socioculturelle de l’élève sont plus marquées, le déterminisme social y est plus pesant », explique Guislaine David, porte-parole du syndicat majoritaire des professeurs du premier degré. « Tout cela est confirmé par les recommandations du rapport PISA qui ont pointé l’inefficacité du redoublement. Avec le redoublement, on est pour Gabriel Attal dans « la pensée magique » ou bien dans le « pseudo bon sens ». On fait porter à l’élève la responsabilité de ses échecs alors qu’il faudrait prévenir la difficulté scolaire en abaissant les effectifs par classe, en reconstituant les RASED, mais cela demande des moyens que le gouvernement refuse de mettre en place pour l’école publique ».
Prépa seconde : des expérimentations dans des lycées pilotes dès la rentrée 2024
La prépa seconde, censée préparer les élèves qui n’auraient pas réussi le brevet au lycée, sera expérimentée dès septembre dans au moins un lycée « intéressé » dans chaque département. Les élèves auront un temps d’enseignement de 27 heures – dont 20 heures de « consolidation des attendus en fin de cycle des approfondissements (cycle 4) et à la préparation de l’entrée en classe de seconde » et 7 heures « d’enseignements méthodologiques et préparatoires à la suite du parcours de l’élève ». Seuls les élèves volontaires pourront y être orientés.
La note de service, supposée sortir aujourd’hui, finira par trancher le duel Attal/Belloubet. Dans le passé, Nicole Belloubet n’a pas hésité à démissionner de son poste de rectrice, mettra-t-elle sa démission dans la balance ? Concrètement, Gabriel Attal a plus à perdre que sa ministre – comment survivre à un énième changement ? Quant à Nicole Belloubet, elle a une belle carrière derrière elle, c’est peut-être l’occasion pour elle de sortir de cette situation avec un peu de dignité…
Lilia Ben Hamouda