« Docs sur l’Éduc » est un podcast sur la pratique des métiers de l’éducation, en particulier dans les écoles et établissements de l’éducation prioritaire. Il est réalisé à Marseille par Alain Barlatier, documentariste et ancien enseignant. Chaque vendredi « Le café pédagogique » en publie un épisode (billet et entretien audio). Aujourd’hui, le podcasteur donne la parole à Julien Marec, professeur d’histoire-géographie au collège Vallon des Pins, à Marseille. L’enseignant, loin d’être serein quant à l’avenir de ces élèves, craint « que les élèves qui étaient en difficulté deviennent des élèves décrocheurs ».
Julien enseigne au Collège Vallon des Pins classé REP+. Il est situé « tout au nord de la ville » selon ses dires. C’est une partie de Marseille où mis à part l’école et l’hôpital (hôpital Nord, hôpital psychiatrique Edouard Toulouse) il n’y a plus de services publics, tout comme il n’y a aucune librairie, pas de théâtre et de cinéma, pas de commerces de proximité. Tous les déplacements se font en voiture ou en bus (le métro et le tram se sont arrêtés très loin de là, comme le Christ à Eboli). Il faut entre une heure et une heure trente pour rejoindre le centre-ville (deux lignes de bus et un déplacement à pied sont parfois nécessaires). Les premières plages sont encore plus loin, ce n’est pas simple d’aller se baigner à Marseille, l’été, quand on habite par ici, ce n’est pas simple de sortir, tout simplement.
Le collège est un établissement de taille moyenne, il scolarise 650 élèves approximativement pour 28 divisions auxquelles il faut rajouter une classe ULIS (inclusion scolaire) et une classe Relais. 61 enseignants en poste ou affectés provisoirement (Titulaires remplaçants, contractuels) y travaillent.
Ce collège, contrairement à d’autres, n’est pas enclavé dans une cité, et cela change beaucoup de choses. Bien qu’il recrute sur les ensembles d’habitation les plus pauvres de la ville et sans doute de France (La Savine, le parc Kalliste, La Granière, La Solidarité), le non-rattachement exclusif à un territoire casse l’effet de groupe et permet une plus grande fluidité dans les classes et l’établissement. Sa position géographique, le long d’une voie de grande circulation permet une certaine forme de brassage géographique, à défaut d’être social. Une absence de ghetto dans le ghetto en quelque sorte. Son indice de positionnement social (l’IPS, image de la composition sociale des familles) est de 65, chiffre à comparer avec celui des collèges privés marseillais (qui ont souvent un IPS supérieur à 150) et même à celui de quelques établissements publics du sud de la ville. Le taux d’élèves boursiers y est très important (74%). À Marseille, la fracture sociale est aussi territoriale.
Le taux de réussite au Brevet est très inférieur à la moyenne nationale (écart compris entre 15 et 30 points selon les années). 50 % des élèves de troisième sont orientés vers le lycée général et technologique (lycée Saint-Exupéry, le seul lycée GT des 14, 15 et 16ème arrondissements), 30 % vers le lycée professionnel (Bac Pro), les 20 % restants se retrouvant dans des formations en LP ou en apprentissage pour les CAP.
Et pourtant…
Au-delà de ces chiffres qui sont illustratifs d’une situation bien connue en REP et REP+, il règne dans cet établissement une ambiance très particulière. La salle des profs est marquée par son esprit de solidarité, son dynamisme, sa combativité sociale et pédagogique. Ici personne ne baisse les bras devant la difficulté. On pourrait même dire que celle-ci stimule les collègues hyper investis dans leur travail, œuvrant pour la réussite de leurs élèves : « Nous ne sommes pas tous arrivés ici par choix, mais on y reste par choix. Bien qu’il y ait énormément de choses à changer, on peut trouver en Éducation prioritaire les raisons d’espérer et continuer dans cette voie. » […] « Nous nous sommes battus pour la prime REP+ et la pondération horaire et nous les avons gagnées. (La pondération de +10 % par heure travaillée réduit le service d’un certifié à 16,4 heures hebdomadaires et libère du temps pour la concertation avec les autres personnels éducatifs, sociaux, de santé, de vie scolaire, de direction…, pour approfondir les relations avec les familles, pour co-construire des projets NDLR). Mais on ne reste pas pour cela. Nous sommes ici parce que nous nous sentons utiles. On se sent bien en salle des profs, on y pleure, on y rit, on travaille ensemble. »
Le choc des savoirs
Les annonces gouvernementales (discours du Président, annonces de Gabriel Attal, provocations d’AOC…) fleurent bon la photo sépia (Port de l’uniforme, Service National Universel, Instruction civique en lieu et place de l’EMC…). Elles renvoient à une grande nostalgie d’un ordre ancien et s’inspirent fortement de certaines propositions du Rassemblement National. Le « choc des savoirs » cher au Premier Ministre en est la pièce maîtresse.
« Personne n’est dupe dans la salle des profs, nous avons bien compris ce qui se met en place, mais nous verrons aussi l’écart entre ce qui est annoncé et ce qui se fera réellement […] Qui peut croire en REP que le port de l’uniforme va réduire les inégalités ? Derrière ces annonces, il n’y a rien qui réponde à nos difficultés rencontrées dans l’exercice du métier. […] Pour que le collège unique fonctionne, il aurait fallu y mettre les moyens. Nous n’y croyons plus quand on voit l’hétérogénéité grandissante, le manque de locaux, de matériel, d’heures d’enseignement… Nous ne voulons pas d’un collège à plusieurs vitesses, de ces classes de niveau qui ne fonctionnent pas. Tous les praticiens que nous sommes, les chercheur.es l’ont à maintes reprises dit et démontré… Le choix qui est fait c’est celui de l’école au rabais, du collège du tri social. Un élève qui est dans le groupe « des faibles » en éducation prioritaire ne peut que se sentir dévalorisé, avoir une mauvaise image de soi. […] Pourtant on sait innover en éducation prioritaire. Même si les moyens sont insuffisants, nous avons des réponses à l’hétérogénéité des niveaux au sein d’une même classe. Il risque d’y avoir une adaptation de l’enseignement à la réalité du groupe et nous sommes inquiets pour ces élèves-là qui ne seront plus tirés vers le haut et seront condamnés à une orientation par défaut vers l’apprentissage par exemple. […] Depuis 2018 (et la réforme du collège) et le premier budget de l’ère Macron nous avons perdu près de 30 % des moyens alloués, il a fallu fermer des dispositifs, réduire des options et cela va encore continuer avec ce que l’on nous annonce (692 millions d’euros de baisse de dotations pour le ministère NDLR) . […] Le pouvoir politique enlève une grande partie de la dimension humaine de notre pratique professionnelle ; la constitution d’une classe par exemple, d’un groupe classe n’est pas une question de statistiques, de résultats obtenus à des évaluations nationales. »
Le brevet (DNB) était un outil d’évaluation de l’élève, il lui permettait de se positionner par rapport aux objectifs communs du collège. Il devient maintenant un outil d’orientation et de fait un outil de sélection entre Enseignement Général et Technologique d’une part, Enseignement Professionnel d’autre part et apprentissage (CAP) in fine. « Tout cela n’est pas anodin, les classes de niveau sont liées à ce projet. Ils sont en train de mettre au point un système d’orientation le plus précoce possible qui reproduirait et amplifierait les inégalités sociales de départ. »
La situation réelle dans les collèges est ubuesque
Au-delà du désaccord idéologique profond avec la constitution des groupes de niveau et la remise au goût du jour du redoublement, les Dotations Horaires pour la rentrée prochaine (les DGH) qui arrivent dans les collèges sont inapplicables. C’est ce qui a en partie (mais pas que) motivé le rejet de ces propositions par les Chefs d’établissement et les enseignants. Comment appliquer une réforme, sans objectifs affichés, sans moyens particuliers, fédérant contre elle l’ensemble des professions de l’éducation qui sont dans le flou le plus total quant aux conditions de la rentrée scolaire au mois de septembre et de l’avenir de l’école plus généralement ?
Nous sommes passés de « L’école de la confiance » au « Choc des savoirs » qui ne sont dans les deux cas qu’un habillage médiatique justifiant une attaque libérale sans précédent contre l’école publique.
Notre pays a besoin d’une jeunesse qualifiée, capable de s’adapter aux mutations technologiques en cours, capable de relever les défis du dérèglement climatique, capable de relever les défis de la crise des institutions républicaines et de la démocratie.
Ce n’est pas avec cet insipide brouet qu’il va pouvoir y arriver.
« Il y a chez nous de la fatigue et de la lassitude certes, mais aussi de la combativité. L’amour du métier va nous pousser à faire le mieux possible pour nos élèves dans ce contexte, y compris en nous mobilisant avec les parents. »
Alain Barlatier
Pour écouter la totalité du podcast (dont les citations sont issues, c’est par ici)