L’annonce du gel de 10 milliards de dépenses de l’Etat par Bruno Le Maire le 18 février percute de plein fouet les réformes éducatives lancées par Gabriel Attal. A moins d’exonérer l’Education nationale des économies budgétaires, hypothèse immédiatement écartée par Nicole Belloubet, le ministère n’a pas les moyens de maintenir les réformes du collège et de la formation des enseignants. C’est soit l’heure de la pause, soit celle des réformes structurelles demandées par la Cour des Comptes. Des réformes qui concernent au premier lieu le métier enseignant et la territorialisation. Si Nicole Belloubet ne défend pas le budget de l’Education nationale, elle ne peut fournir sa quote-part à la réduction des dépenses publiques qu’en s’attaquant au coeur des dépenses : les salaires et le service des enseignants.
750 millions à trouver à l’Education nationale
« Tous les ministères contribueront à hauteur de ce qu’ils représentent dans le budget national ». En annonçant, le 18 février, 10 milliards d’économie dans le budget de l’Etat, Bruno Le Maire fixe aussi la répartition de l’effort. Cinq milliards seront pris sur des politiques nationales, comme MaPrimeRenov, et 5 milliards sur les dépenses des ministères. L’objectif est de maintenir le déficit public à 4.4% du PIB alors que la croissance de celui-ci est moins forte que l’hypothèse retenue pour le budget. En clair, à peine adopté, le budget n’est plus valable. L’hypothèse de 1.4% de croissance en 2024 était bien aventurée…
L’Education nationale représente 15% du budget de l’Etat. Si on lui applique la formule annoncée par B. Le Maire , elle doit rendre 750 millions à Bercy.
Interrogée sur la décision de Bercy, on aurait pu attendre de la ministre de l’Education nationale qu’elle défende son budget. Il n’en est rien. Sur BFM, Nicole Belloubet dit : « forcément je porterai les exigences de l’Education nationale. Mais forcément je suis dans une solidarité gouvernementale… Ce qui importe c’est qu’on ait les moyens en personnels ». Selon la ministre, l’Education nationale pourrait réaliser les économies demandées sans toucher à l’essentiel : les emplois.
Impossible de sacrifier des emplois pour trouver 750 millions
Or le ministère est déjà englué dans les réformes Attal. Avant de partir, l’ancien ministre de l’Education a lancé une réforme du collège qui va consommer des milliers d’emplois La ministre dit y consacrer 2000 postes. Mais notre calcul montre qu’il en faudrait 7700. On constate la forte tension dans les collèges. N. Belloubet doit faire face à l’opposition des enseignants sur le fonds de la réforme et sur sa forme. Le fonds c’est le séparatisme social installé à l’intérieur de chaque collège avec ses effets dévastateurs sur le niveau scolaire des élèves pauvres. La forme c’est que pour réaliser cette régression sociale, les rectorats grattent tous les moyens possibles, appauvrissant partout l’offre éducative et aggravant les conditions de travail des enseignants.
A cela s’ajoute la politique de G. Attal pour remettre au gout du jour les redoublements. Ils vont être rendus plus faciles dans le premier degré (mais pas dans le second !). Avec la peur de retrouver son enfant inscrit définitivement dans le groupe des faibles au collège, on peut penser que la demande familiale ira elle aussi dans le sens de leur augmentation. Or celle-ci consomme des moyens.
Après ces réformes, se profile celle de la formation initiale des enseignants. G. Attal a annoncé vouloir déplacer les concours de recrutement en L3 avec une prise en charge financière des futurs enseignants en M1 comme élèves fonctionnaires et en M2 comme fonctionnaires stagiaires. Cette réforme aboutira à créer 20 000 postes de fonctionnaires. Ce n’est pas rient et cela doit être anticipé.
Impossible de trouver 750 millions sans toucher aux emplois
En décembre 2023, nous écrivions que « Gabriel Attal (était) rattrapé par son budget ». En fait il a laissé à ses successeurs rue de Grenelle le soin d’allier ses décisions avec une réalité budgétaire déjà très difficile. L’annonce de B. Le Maire ajoute une tension très forte sur un budget introuvable.
Le budget de l’enseignement scolaire représente 87 milliards. Les 750 millions demandés semblent possibles. Mais c’est oublier la particularité de ce budget. 93% des dépenses (81 milliards sur 87) sont des emplois. Ceux-ci sont déjà insuffisants pour faire face aux besoins. Mais on verra qu’il est impossible de dégager des marges ailleurs.
Où la ministre peut-elle trouver 750 millions sans toucher aux emplois ? Certes elle pourrait appliquer la formule choc de son célèbre article de 2016 et supprimer le ministère. La « centrale » coute 830 millions par an, essentiellement là aussi en salaires. L’Inspection générale, la Depp et le CEE nécessitent environ 93 millions. Les opérateurs (Canopé, Onisep etc.) consomment 161 millions. Soyons sérieux. Comment réduire tout cela ?
Il reste la politique sociale du ministère : 70 millions. La politique immobilière du ministère, avec le projet de transfert d’une partie de l’administration centrale et de plusieurs sites académiques, va couter 165 millions en 2024. Les investissements informatiques pour remplacer les logiciels antédiluviens qui font le bonheur du ministère ne représentent que 60 millions en 2024. En 2025 ce sera beaucoup plus avec la nouvelle tentative d’un logiciel de gestion des enseignants. Mais pour 2024, on reste loin des 750 millions demandés.
Et le Service National Universel, le tristement célèbre SNU ? S’il est rendu vraiment universel un jour, il coutera environ 2 milliards. Mais, au budget 2024 il n’est crédité que de 180 millions. Et cette somme n’est pas inscrite à la mission enseignement scolaire mais à la Jeunesse. C’est un autre compte.
Retour de la Cour des Comptes
Si Nicole Belloubet ne défend pas le budget de l’Education nationale, elle ne peut fournir sa quote-part à la réduction des dépenses publiques qu’en s’attaquant au coeur des dépenses : les salaires des enseignants.Ce n’est pas simplement ce qui ressort de l’étude du budget de l’enseignement scolaire. C’est aussi ce qui résulte du rapport de la Cour des Comptes de juillet 2022.
Dès juillet 2022, la Cour des Comptes demandait le retour de l’austérité pour maitriser la dette publique. Et la seule façon de la faire est de maitriser la croissance de la masse salariale des administrations, déclarait la Cour. « La maîtrise de l’évolution de la masse salariale des administrations est un enjeu majeur pour les finances publiques, puisqu’elle représente de l’ordre de 13,6 % du PIB en 2021, soit 312,4 Md€… Le poids des effectifs et de la masse salariale reflète pour partie une demande croissante de services publics… Pour autant, la réponse aux nouveaux enjeux sociétaux n’est pas seulement à trouver dans un accroissement quantitatif des effectifs. L’optimisation de l’organisation des services publics et la modernisation de la gestion des ressources humaines constituent également des leviers majeurs comme l’ont démontré plusieurs rapports publics portant sur l’éducation nationale, la sécurité publique, la justice, l’organisation hospitalière ou l’agencement des compétences décentralisées », écrivait la Cour.
La Cour des Comptes donnait le mode d’emploi. Pour maitriser la croissance de la masse salariale, il faut revenir sur les accords PPCR (signés en 2016) et sur le glissement vieillesse technicité (GVT), autrement dit les règles d’avancement à l’ancienneté.
» Il en est ainsi, par exemple, du PPCR qui n’a pas été conditionné à des contreparties négociées par chacune des administrations où il était appliqué », écrivait la Cour des Comptes. « Il en est ainsi également de l’éducation nationale, dont la masse salariale globale a progressé de 12 Md€ en 10 ans (soit + 20,7 % et, pour les seuls enseignants, + 19,2 %), sans modification significative de l’organisation et du temps de service des enseignants ». Elle recommandait de ” fixer un objectif d’évolution de la masse salariale global, pluriannuel et documenté, exprimé en valeur nominale (Md€) plutôt qu’en pourcentage du PIB”. Autrement dit assurer la stabilité de la masse salariale en euros quelque soit l’avancée des carrières des fonctionnaires.
La Cour des Comptes a précisé davantage ce que l’Etat doit faire dans l’Education nationale. « La Cour estime que les solutions passent aujourd’hui davantage par une évolution de l’organisation éducative que par l’augmentation des moyens… Au-delà du rééquilibrage entre premier et second cycle, la Cour, identifie plusieurs leviers pour accroître l’efficience du système éducatif français. Sur le plan pédagogique, une plus grande continuité pédagogique pourrait être recherchée entre le premier et le second degré.. à travers une coordination renforcée des écoles primaires avec leur collège de référence dans un même territoire. Des marges d’autonomie accrues devraient être accordées aux établissements et à leurs directeurs en matière d’évaluation et d’affectation des enseignants… Plus généralement, une attention particulière devrait être portée à la rénovation du cadre d’exercice du métier d’enseignant”.
La Cour précise ses recommandations. ” La Cour, dans plusieurs rapports, a exploré les voies permettant de limiter l’impact des absences des enseignants, dont elle a estimé le coût à 4 Md€ pour le premier et le second degré, dont plus du tiers lié à des absences « institutionnelles » : formation continue, participation aux jurys d’examen, etc. Pour réduire l’impact des absences sur la continuité pédagogique et le coût des remplacements, la Cour recommande d’intégrer dans les obligations réglementaires de service (ORS) des enseignants, en complément des heures d’enseignement, les périodes de formation continue, la participation aux jurys et un quota d’heures réservées pour les remplacements de courte durée de leurs collègues absents. S’agissant de la perte d’attractivité des métiers de l’enseignement, la revalorisation de leurs rémunérations, notamment en début de carrière, si elle était décidée, devrait s’accompagner en contrepartie d’une adaptation du temps de travail des enseignants afin d’améliorer les conditions de remplacement des absences et d’accompagnement des élèves”.
L’équation passe par la carrière des enseignants
Difficile d’être plus précis. L’Education nationale doit rendre une partie de son budget alors qu’elle n’a déjà pas de quoi appliquer les réformes décidées par Gabriel Attal. La résolution de l’équation est clairement indiquée par la Cour des Comptes. Pour dégager des moyens financiers il faut changer les obligations de service et la carrière des enseignants. Supprimer le GVT par la rémunération « au mérite » demandée le 12 février par S. Guérini, ministre de la Transformation et de la Fonction publique, c’est récupérer chaque année environ 400 millions. Donner plus d’autonomie aux directeurs et chefs d’établissement dans la gestion des carrières enseignantes c’est récupérer des emplois administratifs. Regrouper ou coordonner écoles et collèges, comme c’est en train de se mettre en place, c’est économiser des emplois enseignants. Et c’est aussi appliquer la territorialisation que la ministre N Belloubet appelle de ses voeux.
La demande de Bercy appelle une réforme de structure de l’Education nationale. C’est le métier enseignant qui va se retrouver au coeur des décisions des semaines à venir.
François Jarraud