Alors que le Conseil supérieur de l’éducation vient à nouveau de voter, à la quasi-unanimité, contre une réforme phare d’Emmanuel Macron (celle du collège), la nomination de Nicole Belloubet au ministère de l’Éducation nationale ouvre-t-elle une nouvelle période ? La nouvelle ministre vient de la gauche et a assumé des positions courageuses sur l’éducation. Est-ce le moment d’un « reset » de la politique éducative gouvernementale ?
Bayrou était 100% compatible…
On ne se poserait pas la question d’un « reset » avec François Bayrou. Alors même que l’ancien ministre de l’éducation (1993-1997) crie son désaccord sur le fond avec la politique éducative d’Emmanuel Macron, il suffit de se reporter dans un passé proche pour constater qu’il partage les idées du président de la République. Il suffit de relire le programme éducatif de l’ancien candidat à la présidentielle. En 2012, F Bayrou dit qu’il « faut installer le verbe instruire dans notre pays » et s’insurge contre « l’école qui abaisse le niveau« . Il prône le respect à l’école et annonce une pédagogie alignée sur les résultats. En 2012, F. Bayrou plaide pour les classes de niveau. Il veut « un bac d’excellence » pour les élèves forts et demande le renforcement des fondamentaux au primaire. « Aucun élève ne doit entrer au collège s’il n’est garanti qu’il maitrise la lecture et le calcul », écrit-il. Il veut en finir avec le collège unique et demande « un collège diversifié » avec la mise à l’écart des élèves faibles. On croirait entendre le président de la République.
F. Bayrou est aussi un grand défenseur de l’école privée. Nommé ministre en 1993, il tenta (en vain) de faire passer une loi libérant le financement par les collectivités locales des établissements privés. Du programme Bayrou de 2012 à l’Ecole de demain, l’ouvrage de Blanquer de 2016, aux décisions d’Emmanuel Macron avec le Pacte et la privatisation de la gestion de l’Education nationale, il y a continuité. Ce sont le même courant qui s’exprime, les mêmes conceptions, la même défense des inégalités sociales. Les idées de François Bayrou sont totalement compatibles avec la politique éducative macronienne. Mais, visiblement, l’homme ne l’est pas.
Une ministre « pédagogiste » ?
Et Nicole Belloubet ? Deux fois rectrice, à Limoges (1997-2000) puis Toulouse (2000-2005), la nouvelle ministre a eu l’occasion de prendre position sur l’École. D’abord en démissionnant en 2005 contre des suppressions de postes dans son académie et aussi contre la suppression des Travaux Personnels Encadrés, un dispositif pluridisciplinaire initiant les lycéens généraux aux recherches du supérieur. Elle a ensuite défendu ses idées comme vice-présidente PS de la région Midi Pyrénées en charge de l’éducation de 2010 à 2013.
En 2016, devenue membre du Conseil constitutionnel, elle publie dans la revue Après demain (n°40) un article qui ferait frémir les macronistes. Elle y dénonce « l’entre-soi des classes homogènes dans l’enseignement privé » et se moque des conservateurs. « Loin des fariboles sur la restauration de l’autorité ou le port de la blouse, ceux qui sont réellement confrontés aux tâches éducatives cernent aujourd’hui l’essentiel : il faut sortir du cadre rigide du cours magistral, laisser du temps et de l’autonomie aux jeunes, ménager le droit à l’erreur dans les processus d’apprentissages, moderniser les supports en considérant les possibilités offertes par le numérique au prisme de leur intérêt pédagogique« , écrit-elle. Elle milite pour la pédagogie de projet et demande une revalorisation des enseignants.
Ses prises de position lui valent des amitiés chez les hauts cadres de l’Education. Mais aussi des inimitiés dans la « centrale ». Le surnom qu’elle a inventé pour un des personnages ténébreux dont la carrière a été boostée très haut, très haut par JM Blanquer a encore cours rue de Grenelle. Elle va maintenant le croiser dans les couloirs comme ministre…
Mais dès 2016, Nicole Belloubet appelle à une transformation de l’Ecole qui est proche des projets d’Emmanuel Macron. Si elle veut que les enseignants soient revalorisés, c’est qu’elle pense que la clé du redressement de l’Ecole passe par l’implication des enseignants. C’est parce qu’ils ne le sont pas que cela va mal. Ainsi elle veut aussi que leur carrière se décide localement par le chef d’établissement. « Une approche plus locale exige également une forte déconcentration des affectations et de la gestion des ressources humaines de plus de 800 000 enseignants. Cela seul assurera l’implication des personnels… Cette logique impose de conférer le pouvoir de choisir l’affectation de l’enseignant à celui qui a l’expertise pour ce faire au niveau où les besoins éducatifs sont le mieux identifiés. Même s’il faut un pouvoir régulateur de niveau supérieur, c’est le chef d’établissement qui est le garant de l’unité et de la réussite de son équipe« . L’ancienne rectrice plaide pour une large autonomie des établissements. Un credo 100% compatible avec le projet éducatif du président.
Aller plus loin dans le nouveau management
Le texte va plus loin. Nicole Belloubet défend l’idée de la territorialisation de l’éducation. « Un rapide regard sur les 35 pays membres de l’OCDE permet d’esquisser deux lignes directrices : partout les systèmes sont plus décentralisés qu’en France (dans plus des 3/4 des pays, les enseignants sont gérés au niveau local soit par les collectivités soit par les établissements) ; partout les établissements sont plus autonomes« , écrit-elle. « Même lorsqu’elles entrent dans la pédagogie, il ne faut pas craindre cette extension des compétences des collectivités« .
Le thème de la territorialisation a été lancé par JM Blanquer à propos de la gestion des enseignants. Son « Grenelle de l’éducation » voulait rompre avec les règles d’affectation pour la confier aux chefs d’établissement. L’ancien ministre y était acquis dès 2016. Ce courant, ancien, réformateur et décentralisateur revient en force actuellement. Par le projet de loi Brisson au Sénat, par la nouvelle mission d’information impulsée hier dans la même assemblée, et aussi par une récente tribune d’experts. Elle a été précédée par un récent rapport de la Cour des Comptes qui appelle, par exemple, à en finir avec les concours de recrutement. Derrière tous ces textes il y a l’idée centrale que la crise de l’éducation vient des enseignants et que c’est par la pression sur eux que l’on améliorera les choses. Cela peut se décliner sous les formes technocratiques des appareils d’Etat ou emprunter des oripeaux libéralo-sympa. Mais au fond c’est la même chose. C’est la formule du nouveau management public.
Alors « reset » ou pas ? C’est le paradoxe de la politique de voir Emmanuel Macron écarter celui qui est au plus près de ses idées éducatives pour lui préférer une personnalité venant de la gauche. Peut-être aussi devait il rééquilibrer son gouvernement en ce sens.
Mais Nicole Belloubet arrive rue de Grenelle en toute connaissance de cause. Elle va assumer de porter une réforme de la voie professionnelle qui a fait l’unanimité du Conseil supérieur de l’éducation contre elle. Elle va mettre en œuvre une réforme du collège qui vient d’obtenir un vote hostile quasi unanime. Elle ne vient pas là pour écouter les enseignants. Au contraire, son arrivée peut impulser une nouvelle étape vers l’autonomie des établissements et la déstructuration de l’Éducation nationale. C’est le projet d’Emmanuel Macron.
François Jarraud