Avec la réforme du lycée, le nombre de filles dans les filières scientifiques s’est effondré. Comment l’expliquer ? Matheuses, un ouvrage de recherche au format novateur propose de réfléchir à la question. Il y a quelques années, Clémence Perronnet, sociologue spécialiste des questions d’inégalités en sciences, rencontre Olga Paris-Romaskevich, mathématicienne , puis Claire Marc, facilitatrice graphique et médiatrice scientifique. De ces rencontres est né un livre : Matheuses. « Ce livre est la restitution d’une enquête sociologique à l’attention des adolescentes elles-mêmes. Ce livre, c’est la vulgarisation d’une enquête sociologique pour que les principales concernées puissent se les approprier. On ne voulait pas être dans un discours encourageant, qui est quelque peu culpabilisant. Il s’agissait plutôt de faire de la médiation de la sociologique, de rendre accessible de la science de haut niveau » nous explique Clémence Perronnet qui répond aux questions du Café pédagogique.
Les femmes sont-elles toujours sous-représentées dans les métiers scientifiques ?
Oui, nous sommes toujours autour de 30% de femmes chercheuses en France, toutes disciplines confondues. Et lorsqu’on va voir du côté des sciences formelles telles que les mathématiques et l’informatique, ce chiffre chute à moins de 20%. Du côté des sciences de la matière et de la vie, là, c’est le phénome inverse, on peut aller jusqu’à 70% de femmes.
Comment expliquer de telles disparités ?
Les représentations sociales qui existent sur ces disciplines et l’éducation des filles et des garçons rendront désirables ou non certaines disciplines. C’est un apprentissage progressif, qui commence extrêmement jeune, de nos rôles et en regard de ce que sont censées être les disciplines. Et il suffit de jeter un œil aux choix des filles en matière de disciplines scientifiques pour se rendre compte qu’elles se dirigent vers le soin : prendre soin des êtres humains, prendre soin des êtres vivants ou encore de l’environnement. Pour les sciences plus déconnectées de la considération d’autrui, plus de l’ordre « du savoir pur », on aura moins de femmes. Cela vient vraiment des représentations des hommes et des femmes et de leurs rôles très traditionnels.
Aujourd’hui aussi ?
Disons que cela avance et cela recule. Il n’y a pas d’avancée linéaire, on ne peut parler d’un progrès chaque année. D’ailleurs, nous sommes une période de recul. Notamment depuis la réforme du lycée où l’on constate un recul équivalent à 25 ans.
Ça n’avance donc pas dans la bonne direction. Toute crise peut faire revenir en arrière bien plus vite que ce qu’on a avancé. La place des expertes à la télévision est aussi assez significative de ce recul. Avec le Covid, on a vu disparaître les expertes des plateaux télé.
Quels obstacles rencontrent les femmes ?
Quand elles arrivent à dépasser les représentations sociales des métiers scientifiques, les femmes rencontrent des violences sexistes et sexuelles. C’est omniprésent. Ill y a une forme d’opposition à leur participation aux sciences puisque plus les femmes avancent dans le parcours scientifique, plus ces violences augmentent. Les femmes sont victimes de violences dès l’enfance, mais celles-ci sont plus fréquentes pour celles qui suivent des parcours scientifiques.
Ce n’est pas entièrement conscient des deux côtés. Les femmes ne sont pas complètement conscientes des violences qu’elles subissent, les mots ne sont pas mis. Du côté des hommes, il y a une forme d’inconscience, mais surtout de minimisation de ces violences – ils considèrent que ce sont des blagues… Les hommes ne font pas toujours exprès de dénigrer les filles, mais c’est réel. Et c’est valable dans tous les milieux sociaux, dans tous les milieux familiaux. Le sexisme est donc très harmonieusement partagé dans tous les milieux et les violences sexistes et sexuelles – telles que les violences conjugales – sont, contrairement aux idées reçues, plus présentes dans les milieux favorisés.
Quelles pistes pour un accès plus égalitaire ?
La première, c’est de bien comprendre le problème et de ne plus se perdre dans toutes les fausses explications. Il faut capitaliser sur ce que l’on sait déjà et regarder le problème en face. Il faut aussi donner les clés de compréhension à celles et ceux qui sont en première ligne : les adolescents et les adolescentes, leurs enseignants et enseignantes…
Il faut aussi agir sur la façon dont on gère les phénomènes de violences sexistes et sexuelles qui ont lieu en milieu scolaire. Dans les enquêtes, on constate que les équipes enseignantes sont mal formées et donc assez démunies pour agir. Cela contribue donc à renforcer les discours de type : ce n’est pas très grave, ce sont des blagues… Et cela maintient cette dynamique sexiste.
Dans le milieu professionnel, la situation est catastrophique. On a une chercheuse sur deux qui rencontre des situations de harcèlement sexuel. L’absence de réaction, de gestion et de conséquences dans ces situations est très problématique.
Vous évoquez des stages en non-mixité dans votre livre, quels intérêts de ces derniers ?
On sait aujourd’hui, grâce à la recherche en sociologie et en sciences de l’éducation, que les temps en non-mixité ponctuels sont très favorables à la pratique des mathématiques des filles.
Il ne s’agit bien évidemment pas de plébisciter la non-mixité globale, mais de montrer que des activités réalisées en non-mixité permettent à des jeunes filles d’être dans un cadre suffisamment sécurisé pour se concentrer sur ce qu’elles font, parce qu’elles échappent alors à certaines interactions dénigrantes avec leurs camarades. Cela évite aussi que l’attention de l’enseignant ou l’enseignante soit davantage focalisée sur les garçons – comme l’a prouvé la recherche.
Et puis faire des stages non mixtes, ça met le problème sur le devant de la scène, ça le pointe du doigt. Cependant, l’objectif est bien sûr de ne plus avoir besoin de ces temps non-mixtes. Pour cela, il faut mettre fin aux inégalités de traitement et aux violences en classe.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda