Comment se mobiliser contre le harcèlement ? Parce qu’« il n’y a pas d’âge pour changer le monde » les élèves de CE2-CM1 de la classe de Béatrice Poignonec, enseignante à l’école élémentaire Leclerc de Croissy-sur-Seine dans les Yvelines, ont décidé de s’engager dans ce combat en réalisant une campagne d’affichage. Texte, dessins, images, slogans, mise en page … de A à Z la classe a tout réalisé : du 100% élèves ! Béatrice Poignonec nous explique comment ce projet, inscrit dans la démarche des « Bâtisseurs de Possibles », s’est peu à peu déployé et a permis à sa classe de développer de multiples compétences : recherche documentaire, esprit critique, autonomie, empathie, créativité et esprit d’équipe …
Le projet invite les élèves à devenir acteurs et actrices de leurs démarches. Comment ont-iels défini le sujet de préoccupation sur lequel iels souhaitaient travailler ?
Plusieurs sujets ont retenu l’attention des élèves, notamment la pollution, les animaux en voie de disparition, le réchauffement climatique, les feux de forêt, la guerre, la pauvreté, la violence physique et la violence verbale, les émotions… Ils ont donc fait par groupe des recherches sur chaque thématique, qu’ils ont présentées à leurs camarades, afin qu’ils puissent aussi « voir » ce qui était faisable ou non à leur échelle.
A suivi un vote et… la problématique du harcèlement a recueilli le plus de voix.
Une fois le thème défini, il fallait s’informer sur le sujet. Comment ce travail de recherche et de documentation a-t-il mobilisé la classe ?
Les élèves ont fait des recherches sur le harcèlement, via les outils numériques et ont réalisé un questionnaire particulièrement intéressant qu’ils ont distribué dans chaque classe de l’école, afin de tenter de quantifier le nombre d’élèves touchés par le harcèlement et voir aussi ce que le harcèlement pouvait entrainer. Savaient-ils déjà ce qu’était le harcèlement, avaient-ils déjà assisté à une scène de harcèlement, avaient-ils vécu une situation de harcèlement ? Les retours ont été très enrichissants et ont mobilisé encore plus les élèves, car ils ne s’attendaient certainement pas à lire des mots de leurs pairs aussi forts.
Ils ont découvert aussi grâce à leurs recherches, que près d’un élève sur dix est harcelé chaque année en France, soit un million d’enfants en tout (IFOP 2021) et une phrase sort de la bouche d’un élève : « Même 1, c’est trop. ».
« Il faut dire STOP au harcèlement ! » s’est imposé comme slogan. Il deviendra ensuite, inscrit sur une main rouge, « Stop au harcèlement ! » et servira de logo à chaque affiche.
On imagine que choisir l’action à réaliser a dû faire l’objet de débats. Sur quelles propositions les élèves ont-iels échangé et comment est née finalement l’idée de réaliser une campagne d’affichage ?
Comment éviter le harcèlement ? Comment sensibiliser les enfants, leur faire comprendre les conséquences désastreuses des violences verbales et/ou physiques répétées ? Le choix d’une solution pour s’attaquer à ces questions anime la classe. Les élèves se sentent investis d’une mission importante, précieuse.
On commence par oser les idées folles : réaliser un film, créer une agence anti-harcèlement, créer un outil numérique, un B.A.R. à bonheur dans toutes les écoles, écrire une pièce de théâtre, construire un arbre à bonheur dans la cour, organiser une fête des amis et réaliser des affiches qui seraient diffusées.
Un groupe d’élèves propose de lire des phrases qu’ils ont composées : un silence s’impose, la classe est muette face à la force des mots.
Finalement la classe choisit la réalisation d’affiches : un message fort associé à une illustration. « Des dessins qui aident à comprendre ce qu’entraine le harcèlement afin de toucher le cœur de chacune, de chacun, avec des paroles qui explicitent pour sensibiliser encore plus. ».
Du 100% élèves, sans l’intervention de l’enseignante !
Comment, quand on est enseignante, parvient-on alors à mobiliser toute la classe afin que chacun.e participe de manière active au projet ?
Voilà une belle question ! Je pense qu’il faut savoir être patiente (pas toujours facile), avoir confiance en ses élèves, en leur créativité… car c’est bien dans les projets qu’ils se révèlent, qu’ils adoptent cette fameuse posture réflexive. Les élèves se sont réparti les tâches et chacun a pu trouver sa place à un moment donné dans le projet : des élèves écrivain.e.s, des élèves illustrateurs/illustratrices. L’équipe de Canopé, à laquelle nous avons proposé le travail des élèves, a donné des conseils afin que leur message soit plus lisible.
Le projet a mis 9 mois pour aboutir, à raison de 45 minutes environ par semaine ou plus en fonction de l’étape. Enfants et adultes, ont été impressionnés par le travail réalisé comme en témoignent les retours que nous avons eus : « Des dessins qui touchent directement au cœur… et des phrases simples et fortes », « Si je vois une scène de harcèlement, je vais voir le harceleur ou la harceleuse et je lui dis « STOP »! », « Faut faire connaître les affiches aux plus petits pour les sensibiliser. », « Plus on en parle tôt, moins il y a de risque que le harcèlement se développe. »…
Finalement les sept affiches réalisées abordent aussi les objectifs de développement durable « Éducation de qualité » / « Bonne santé et bien-être », à travers les textes très métaphoriques qui accompagnent les dessins. Pourriez-vous nous en donner quelques exemples ?
Les textes qui accompagnent les dessins illustrent effectivement bien ces croisements. Ils ont un caractère très métaphorique que la classe a explicité ainsi sur les affiches : « Le harcèlement est comme une tornade : si on ne l’arrête pas, elle emporte tout sur son passage. » : la tornade symbolise le groupe d’élèves qui détruit sur son passage l’enfant harcelé. « Le harcèlement est comme une pierre sur une fleur : quand on enlève la pierre, elle met du temps à se remettre droite. » : la pierre symbolise le poids de la violence physique et morale. « Le harcèlement est comme une mauvaise herbe : si on ne la coupe pas, elle va repousser. » : la mauvaise herbe symbolise les élèves et les témoins silencieux qui brisent l’autre dans son épanouissement, le poussant à s’isoler.
Pour conclure, quel bilan tirez-vous de la réalisation de ce projet : quelles compétences a-t-il permis aux élèves de développer ? Quel impact a-t-il eu dans la classe et dans l’école, voire au delà des portes de celle-ci ?
Ce projet a permis de développer l’esprit critique, l’empathie, la créativité et l’esprit d’équipe. Il a fédéré les élèves tout au long de l’année dans la classe et aussi au sein de l’école. Les élèves sont allés dans chaque classe de l’école présenter leur projet, leurs affiches. Cette année, ils ont organisé des conférences sur le harcèlement pour tous les élèves de l’école. Ils ont ainsi vu qu’il n’y a vraiment pas d’âge pour changer le monde.
Les affiches ont été imprimées éditées par notre commune Croissy-sur-Seine, fidèle accompagnatrice des projets des écoles. Séduite par cette campagne d’affiches, elle a décidé de les éditer et de les distribuer dans les autres écoles de la commune. Le projet a aussi été diffusé par Canopé qui avait accompagné les élèves lors de la réalisation des affiches.
Et pour maintenir son impact, nous avons quelques idées comme envoyer les affiches lors de la campagne nationale « NON au harcèlement », ou encore les traduire en anglais pour les diffuser à d’autres …
Propos recueillis par Claire Berest
Projet visible en ligne sur le site de Canopé