Comment est né le projet NIRD ?
Avant 2020, nous utilisions les logiciels libres au sein du lycée et nous faisions déjà le constat que ces logiciels étaient peu mis en avant ou sous-représentés par rapport aux logiciels maisons des Big Techs. Et ce malgré des atouts importants : fiabilité et efficacité. Et ce en proposant un environnement numérique complet, émancipé du modèle de ces entreprises.
Pendant le confinement, nous avons équipé nos élèves avec des ordinateurs sous Linux, notamment des Raspberry. La réponse trouvée pour nos élèves en incapacité de s’équiper a si bien fonctionné que nous avons décidé de poursuivre l’action de façon plus rigoureuse et concertée. En outre, diversifier les usages de nos élèves qui arrivent au lycée avec une culture numérique très pauvre nous semblait intéressant.
Le projet NIRD ambitionne de favoriser un numérique « inclusif, responsable et durable » : comment cette ambition se déploie-t-elle concrètement dans le lycée ?
À la sortie du confinement, le constat était donc le suivant : nous pouvions acculturer et émanciper les élèves tout en luttant contre la fracture numérique de façon durable.
Les logiciels libres sont devenus notre levier essentiel. Ils offrent en effet 4 libertés : l’utilisateur d’un logiciel libre doit pouvoir exécuter, copier, modifier et distribuer le programme. Chacune de ces libertés est utilisée dans le but d’inclure les familles en proposant des environnements complets, adaptés, sans contrainte de coût ni de licence. Pouvoir copier un logiciel, et le redistribuer, y compris après modifications faites par les élèves permet d’équiper ces familles en situation de fracture numérique. Deux composantes ont été mises en place pour parvenir à ces objectifs.
Au sein du lycée, des PCs sous GNU/Linux ont été disposés en utilisation pédagogique, avec des dizaines de logiciels libres pour acculturer. Proposer sans accompagner ne fonctionne pas. Il s’agit de montrer l’efficacité et la facilité d’utilisation de ces logiciels. Une salle informatique « NIRD » de 30 machines 100% logiciels libres est donc ouverte à tous et toutes.
Au club info a été initié un cercle vertueux des élèves vers les élèves : nos lycéen(ne)s reconditionnent sous logiciels libres des machines destinées le plus souvent à la benne pour équiper les élèves en demande et des écoles primaires.
La possibilité de modifier permet de choisir les logiciels et d’adapter l’équipement du primaire au lycée. Nos élèves ont adapté une distribution Linux Mint pour les besoins du lycée et nous utilisons la distribution Primtux pour les écoles. La légèreté de GNU/Linux permet de relancer des machines qui termineraient à la benne : nous faisons face efficacement à l’obsolescence programmée de certains logiciels. Ces PCs sont relancés pour 5, 8, 10 ans. NIRD se situe donc entre la transition écologique et numérique.
On perçoit bien la dimension inclusive et écologique : qu’en est-il de la dimension « responsable » ?
« Responsable » a effectivement une dimension supplémentaire pour nous : cela signifie également faire un choix et un usage éclairé de ses outils. Le choix d’une technologie n’est pas neutre, et nous souhaitons faire réfléchir nos collègues et nos élèves. Au delà de l’usage, il s’agit pour nous de former des citoyens éclairés en capacité de prendre des décisions en conscience des enjeux. Cela passe notamment par la découverte, l’acculturation et une réflexion sur ces logiciels qui ne captent pas les utilisateurs dans des écosystèmes fermés. Vous le savez : nos pratiques en tant qu’enseignants ont un impact sur celles des élèves, y compris hors de la classe. Curieusement, on met souvent le numérique de côté dans cette réflexion.
Nous voulons développer les compétences numériques des élèves, en développant l’esprit critique. Contrairement aux idées reçues, nos élèves arrivent au lycée avec une culture numérique assez pauvre, enfermés dans un usage passif avec leur téléphone. Ils/elles se contentent de consommer. C’est juste un constat, et on ne peut pas dire que les environnements proposés en établissement les aident beaucoup. Comment faire un choix éclairé si les différents chemins ne sont pas connus ? Les élèves utilisent donc les logiciels libres au sein de l’établissement dans différentes matières à des fins pédagogiques.
Par ailleurs, la salle NIRD, qui est flexible, leur permet de s’emparer des possibilités du libre. Elle est accessible à tous les enseignants et tous les élèves du lycée. Cette salle a été entièrement équipée d’ordinateurs recyclés et réinstallés par les élèves du club informatique. Ce club informatique fonctionne en Junior association avec à sa tête Soren Evrard-Lorrain, élève de terminale, comme président et Aloïs Stachera, actuellement en 1ère, comme vice-président. Cette association NIRD comporte une douzaine d’élèves adhérents et vise à permettre à nos élèves de s’emparer de la réflexion sur le numérique responsable et durable en toute autonomie. Ils apprennent à réparer, reconditionner et s’emparent ainsi complètement de leur environnement numérique : du matériel au logiciel en installant Linux et la suite d’applications NIRD. Puis ils remettent eux-mêmes à leur camarades ne disposant pas d’équipement les PCs ainsi reconditionnés. Ils/elles participent aussi à la livraison des Pcs fixes en école, souvent à vélo. Nous possédons une Capsul Bike qui permet de stocker le matériel.
On imagine que le projet, en particulier le passage à Linux, a suscité des résistances chez les collègues : comment les surmonter ?
Effectivement. Et faire des injonctions ou prêcher la bonne parole est peu efficace, voire contre-productif. Il nous faut montrer ces choix possibles tout en restant mesuré. Le plus gros blocage concerne la suite Office, mais cela va en s’améliorant. Nous avons sous titré le projet « la preuve par l’usage ». Il s’agit de tordre le cou aux idées reçues : en 2025 Linux et cette suite logicielle sont beaux, faciles à utiliser, efficaces en contexte pédagogique. Je veux souligner que nous avons 100% de réussite au Bac avec nos NSI depuis 5 ans, qu’on y passe des épreuves officielles et que cette salle est utilisée quotidiennement par des collègues de toutes les matières.
Soutenus par notre direction, nous avons également animé quelques formations auprès des collègues du lycée et des établissements voisins. L’accompagnement est indispensable pour surmonter ces résistances mais il faut noter que la charge de formation est faible, car l’organisation repose sur un effet d’habitude et de diffusion progressive. J’ajoute qu’il peut être intéressant de donner un « bonus » pour faciliter le passage, c’est aussi l’idée de la toute nouvelle salle informatique NIRD qui est pensée flexible, ergonomique, conviviale avec une zone multimédia. À ce propos, l’ADULLACT a très bien documenté cette conduite du changement. Une professeure d’anglais qui constatait la facilité d’utilisation a eu cette phrase : « En réalité, former à Linux, c’est surtout dédramatiser ».
Comment les élèves ont-ils quant à eux réagi ?
En revanche, l’adhésion des élèves a été totale. On ne dit même plus aux nouveaux qu’ils utilisent Linux. C’est à mon sens la démonstration définitive de cette « preuve par l’usage ». Certains nous ont demandé pourquoi on ne leur avait pas présenté ces logiciels avant !
Et les responsables de la sécurité informatique ?
La résistance au changement peut effectivement se situer aussi du côté des DSI : cela peut être bloquant dans les établissements dès la mise en place ! Les serveurs déployés en établissement doivent offrir la possibilité d’intégrer Linux.
Quel bilan tirez-vous du projet ?
Nous sommes satisfaits de la tournure des évènements. Un usage quotidien au sein du lycée réussi, des épreuves de Bac qui ont lieu sur ces machines, et une inclusion des familles dans une logique innovante de sobriété : ce projet coche pas mal de « bonnes cases ». Évidemment, il peut rester compliqué pour un collègue qui a 10, 20 ou 30 ans de Windows/Office derrière lui de sauter le pas. Mais nous avons globalement trouvé nos collègues à l’écoute. Se priver d’un outil à bas coût, aussi extraordinaire en contexte éducatif serait une grave erreur en 2025. Il faut maintenant étendre le dispositif.
Qu’est-ce qui vous semblerait facilitateur ?
Notre plus grand problème se situe dans le déploiement des machines. Comme je vous le disais, l’usage reste la clé mais les DSI (région) doivent alors proposer une intégration des clients Linux dans les établissements, ce point est essentiel pour un passage à l’échelle. Non seulement, cela est peu proposé mais c’est régulièrement rendu impossible, même pour les collègues volontaires qui constituent pourtant la clé pour une conduite du changement. Les serveurs mis en place dans les établissements par les DSI (région) excluent la plupart du temps les PCs « Linux ». La procédure, pas forcément très compliquée, est vite rédhibitoire pour un·e collègue non initié·e. Et les chef·fes d’établissement prennent parfois peur lors d’initiatives personnelles. Là, on peut dire que nous souhaiterions du changement. Dans l’idéal ? Proposer dans chaque établissement des clients Linux, avec une distribution adaptée. Les pistes sont « balisées » et nous sommes prêts à aider. Quelques dizaines de machines pour diversifer les usages sur un parc complet est un bon début, en ne négligeant pas l’accompagnement qui peut rester limité.
A visiter votre établissement , on sent l’engagement et la passion de beaucoup d’acteurs et d’actrices : quels conseils donneriez-vous alors à des collègues qui aimeraient déployer un tel projet dans leur propre établissement ?
Commencer avec des objectifs modestes et ne pas se décourager car la résistance au changement est un réflexe assez naturel. Pour le reste, il s’agit de ne pas partir seul pour ne pas s’épuiser et avoir l’appui de sa direction. On répond aux demandes de notre côté et le projet est documenté sur maths-code.fr et la forge des communs éducatifs.
Vous avez accueilli le 4 avril la Journée du Libre Educatif 2025 : quel regard portez-vous sur cet événement ?
Extraordinaire ! C’était un grand bonheur de recevoir toutes ces personnes impliquées dans des projets basés sur les communs numériques. Ça donne une énergie incroyable. Ce type de journée est indispensable pour se rencontrer, mutualiser, faire bloc et constater que de nombreux projets émergent. C’est également l’occasion de réunir l’ensemble des acteurs qui peuvent faciliter l’adoption de ces communs. Il faut souligner l’impulsion donnée par la DNE pour la visibilité qu’elle donne à toutes ces initiatives basées sur les logiciels libres et les communs.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
La distribution Primtux pour les écoles
La Journée du Libre Educatif 2025
Un compte rendu de la JDLE 2025
Un atelier JDLE 2025 : la plateforme de publication Porte-plume :
Dans le Café : Le jour du Libre est arrivé
