Dans ses chroniques, Maitresse C partage le quotidien de sa classe. Aujourd’hui, le ton de maitresse C n’est pas léger. Aujourd’hui, maitresse C évoque l’une de ses élèves, qui porte le prénom d’une reine. En parlant de cette élève, cette enseignante de maternelle – et directrice – rappelle à quel point la misère ou la violence dans laquelle vivent certains élèves impacte leurs enseignants. « Ca me plonge dans des tourments cette histoire » écrit-elle. « Avoir des élèves difficiles ce n’est pas qu’une question d’apprentissage ou d’enseignement… Je me mets à imaginer le quotidien de cette petite avec une telle mère ».
Son prénom rappelle la destinée tragique d’une reine souvent enviée jamais aimée. C’est singulier de nommer son enfant ainsi, comme on assigne à certains une commune de résidence, qu’on s’astreint sa vie durant à quitter.
Auriez-vous nommé votre enfant Judas ? Adolf ? Je n’en connais pas ou alors j’ai choisi d’oublier. Pour autant, tous les Philippe ne s’appellent pas Pétain comme dit un ancien ami.
Cette famille arrive d’un autre arrondissement parisien et en parle comme s’ils venaient d’autres latitudes.
Ils en viennent pourtant de ces autres latitudes et un matin de réunion, la discussion tournera autour de ces lieux qu’on a quittés, contraints et forcés, laissant des parents, une maman, des amis, bref ce qui fait que nous nous sentons un peu plus humains les soirs de lassitude.
Elle évoque la guerre et les souvenirs des guerres tribales s’activent dans mes synapses.
Comment questionner quand on a vécu l’indicible ? Comment oser faire une remarque quand le récit individuel est émaillé de sang ? Comment parvenir à questionner un rôle parental quand on nous raconte avoir vécu l’horreur ?
Je me sens vite coincée dans cette histoire. Pas de place pour aborder des choses réelles quand on a convoqué l’autel funeste des atrocités de l’être humain.
Je ne déclare pas forfait pour autant. Je fais le gros dos en attendant de meilleurs auspices.
Un soir d’ennui, je tapote sur internet le nom de la mère, sait-on jamais. Google-iser comme disent les jeunes.
Et là, quelle ne fut pas de ma surprise de constater, au travers des lignes, que ladite maman est une arnaqueuse de la meilleure espèce ? On a affaire à du lourd, pas du menu frottin, non, du vrai de vrai, du comme on aime dans les vieilles zonzons.
Elle a créé plusieurs entreprises dans des communes au nom improbable, qui hésitent entre le centre commercial à travers champ et le poète même pas maudit en quête de reconnaissance. Géographiquement parlant, on oscille entre la Beauce et les Hauts de France.
Les commentaires tombent, évoquant des faits qui relèvent plus du tribunal judiciaire que du salon pour dames.
Je m’étonne, je m’agace, je suis en colère et je tombe dans un triste état, entre l’apathie et la colère.
Au-delà de mon agacement d’avoir été dupée par cette maman, je m’inquiète de cette môme, au prénom de reine…
Comment grandit-on avec une mère mythomane, escroc, et sans doute adepte de lourds produits non manufacturés ?
Comment appréhende-t-on le monde des adultes quand on s’inquiète des absences tardives, des déménagements soudains, des adieux pas faits aux copines qui vont bien, des inquiétudes logées au fond du bide et qui font qu’on se jette sur la nourriture comme les typhons sur le Bangladesh ?
Ca me plonge dans des tourments cette histoire.
Avoir des élèves difficiles ce n’est pas qu’une question d’apprentissage ou d’enseignement… Je me mets à imaginer le quotidien de cette petite avec une telle mère.
Elle est terrible, redoutable, manipulatrice cette maman au look extravaguant et fort soigné. Et devant cette figure de mère quasi divine, je lis dans les yeux de mon élève de la crainte et de l’admiration.
Je change alors de stratégie :je me mets à magnifier les petites réussites de mon élève. Des lettres bien tracées, un exercice en mathématiques bien réalisé, je félicite à qui peut mieux, et parfois, des gommettes en forme de cœur qu’elle a choisi pour un bon travail…
Elle revient un matin, l’air chagriné.
Que se passe-t-il, je lui demande, craignant je ne sais quoi.
« C’est nul les gommettes cœur » me répond-elle tout de go.
Je crains de comprendre.
« Maman a dit que ce n’était pas avec des gommettes cœur que j’allais réussir à l’école. »
Maitresse C.