Stéphane Germain est principal de collège, et c’est à ce titre qu’il alerte sur la réforme du collège prévue dès la rentrée prochaine. Sur la forme, déjà. « Nous n’avons pas de décret, pas de circulaire d’application mais nous connaissons déjà la forme que prendront les groupes de niveau au collège grâce à l’abondante communication ministérielle sur le sujet. Une petite simulation réalisée au niveau d’un collège permet de bien percevoir ce qui est envisagé. A ce stade, la seule conclusion qui s’impose est celle de la remontée d’une alerte rouge » écrit-il. Mais sur le fond aussi. « Les groupes de niveau relèvent d’un dispositif simpliste qui ne permet pas d’apporter de réponse pas à un problème complexe. En balayant toutes les réponses déjà mises en œuvre dans les collèges, ils vont accentuer le caractère déjà inégalitaire de notre système éducatif et renforcer le sentiment de mal-être déjà fort chez les enseignants ». Une alerte dont la ministre devrait tenir compte…
Quelles vont être les nouveautés pour la rentrée 2024 ?
Tout d’abord, le dispositif de soutien-remédiation mis en place à la rentrée précédente va être abrogé. Bien qu’aucune justification n’ait été donnée, nous pouvons supposer que cette suppression repose sur une étude d’impact qui montrera son manque d’efficacité.
Concernant les groupes de niveau, l’obligation réglementaire sera de créer des groupes de niveau en français et en mathématiques pour les élèves identifiés « à besoin ». Sur la base des évaluations nationales, le ministère, puis les académies, puis les inspections académiques sont ainsi en train de faire des simulations permettant de connaître les moyens supplémentaires devant être alloués aux établissements en fonction de leur pourcentage d’élèves à besoin et de leurs effectifs. Très concrètement, les groupes d’élèves « à besoin » étant plafonnés à 15 élèves, il deviendra nécessaire d’en créer plusieurs dès que le nombre d’élèves identifiés dépassera ce seuil. La création des groupes de niveau, qui ne concernent que le français et les mathématiques, suppose de porter les effectifs des groupes d’élèves qui ne sont pas « à besoin » à 30 et de créer des alignements de plusieurs classes afin que les élèves puissent être répartis dans les différents groupes. Pour la rentrée 2024, ces alignements concerneront les enseignements de français et de mathématiques de 6ème et de 5ème. Le dispositif sera étendu aux classes de 4ème et 3ème à la rentrée suivante. Le « gonflement » des autres groupes à 30 élèves permet de fonctionner à moyens constants dans de nombreux établissements. Il faudra cependant supprimer l’accompagnement personnalisé ou des enseignements optionnels afin de réaffecter les heures sur les groupes de niveau. Pour certains établissements, il sera nécessaire d’abonder des moyens supplémentaires, ce qui entrainera des créations de postes. Certaines académies sont déjà en tension sur le recrutement en mathématiques et en français et la mesure nécessitera des ajustements incluant la suppression des temps partiels ou le recrutement, en urgence, de vacataires débutants.
Quel est le profil des élèves à besoin ?
Les élèves à besoins sont largement identifiés au niveau des établissements scolaires. Ceux-ci mettent en place des dispositifs permettant de répondre finement aux spécificités de chacun. Outre le dispositif national de soutien-remédiation qui va disparaître, les collèges ont développé des modules d’accompagnement personnalisé. Ils mettent en place des dispositifs individualisés sous forme de Programme Personnalisé de Réussite Educative ou de de Plan d’Accompagnement Personnalisé. Les parents des élèves à besoin sont familiers de ce genre de dispositifs qui concernent généralement plus d’un quart des élèves. Les enseignants de français ou de mathématiques apportent aussi des réponses aux besoins spécifiques par des pratiques pédagogiques favorisant l’individualisation (pédagogie coopérative, mise en place d’îlots bonifiés, explicitation, etc). Ces dispositifs spécifiques et ces pratiques différenciées permettent d’adapter les apprentissages des élèves qui rencontrent des difficultés cognitives. Une partie des élèves à besoin, cependant, n’a pas ce type de difficultés. Pour certains élèves, le diagnostic posé est celui d’une rupture avec les apprentissages tels qu’ils sont proposés et qui ne font pas sens pour eux. Pour ces élèves, les réponses construites par les établissements scolaires prennent davantage la forme de modules spécifiques de valorisation de soi et de lutte contre le décrochage scolaire. Ces modules reposent sur une démarche de pédagogie active qui permet aux élèves de valoriser des compétences autres que celles qui sont dans les programmes scolaires afin de les réconcilier avec l’institution scolaire. Dans la pratique, il est primordial de ne pas regrouper ces élèves dans la même classe afin d’éviter que les effets d’entrainement fonctionnent à l’envers.
Quelle mise en place concrète des groupes de niveau ?
Pour un collège qui a six divisions en 6ème, la mise en place des groupes de niveau suppose d’envisager deux alignements de trois classes pour les 4,5 heures de français et deux alignements de trois classes pour les 4,5 heures de mathématiques. Ces alignements permettront de « ventiler » les élèves des différentes classes dans les différents groupes de niveau de façon à ce que les élèves « à besoin » soient dans un groupe de 15 au maximum. Si les prévisions d’effectifs montrent qu’il est possible de « gonfler » cinq groupes à 30 afin de permettre un groupe à 15, il n’y aura pas de moyens supplémentaires. Dans le cas contraire, les dotations à venir contiendront des heures complémentaires pour le français et les mathématiques. La mesure contient donc un accroissement des moyens humains dans les disciplines concernées qu’il est difficile de quantifier pour le moment et qui peut changer en fonction des effectifs qui seront constatés à la rentrée.
Le raisonnement est le même pour le niveau 5ème qui sera aussi concerné à la rentrée prochaine, à ceci près que les alignements de mathématiques portent sur 3,5 heures et non 4,5 heures.
Pour les petits collèges ruraux, les groupes de niveau seront difficiles à implémenter. Si les effectifs approchent les 60 élèves en sixième, la mise en place des groupes de niveau suppose nécessairement des moyens supplémentaires pour le groupe à d’élèves « à besoin » et donc des alignements de trois enseignants différents sur les barrettes. Ce principe vient se heurter aux réalités de terrain qui font qu’il n’y a pas trois enseignants en mathématiques ou en français dans certains établissements. L’octroi de moyens supplémentaires repose sur l’hypothèse que les bouts de postes créés dans les collèges ruraux seront pourvus. Cela suppose que de nombreux enseignants de français ou de mathématiques soient disposés à accepter un service partagé entre deux ou trois établissements de zone rurale. Si cette hypothèse n’est pas vérifiée et que la tendance aux postes non pourvus en milieu rural se poursuit, les groupes de niveau ne seront qu’une construction théorique totalement inapplicable.
Quelles conséquences pour la réussite des élèves ?
Il va sans dire que l’implémentation des groupes de niveau à la rentrée prochaine, qui seront pris en grande partie sur la marge de manœuvre des établissements scolaires, va supprimer toutes les approches spécifiques existantes. Pour les élèves, c’est la double peine. Pour les élèves à besoin, c’est la peine du regroupement, stigmatisant, sans possibilité d’activer les leviers de différenciation précédemment mis en place. Pour les autres, c’est la peine du « gonflement » des groupes à 30 élèves. Du côté des enseignants, les groupes de niveau entérinent le déni de leur expertise pour créer, eux-mêmes, les réponses adaptées aux besoins spécifiques de leurs élèves. Cela traduit le mépris total vis-à-vis de ce qui est mis en place, de longue date dans les établissements scolaires. Pour le système éducatif pris dans son ensemble, les groupes de niveau sont la garantie d’une descente, encore plus en profondeur, vers le bas des classements internationaux.
A ce stade, avant toute promulgation des dispositions réglementaires, il convient à chacun, au sein de l’éducation nationale, de remonter une alerte rouge. Les groupes de niveau relèvent d’un dispositif simpliste qui ne permet pas d’apporter de réponse pas à un problème complexe. En balayant toutes les réponses déjà mises en œuvre dans les collèges, ils vont accentuer le caractère déjà inégalitaire de notre système éducatif et renforcer le sentiment de mal-être déjà fort chez les enseignants. Ceux-ci ne sont pas reconnus à la hauteur de leurs compétences et doivent subir des injonctions, toujours plus nombreuses, qui ne font pas sens pour eux. Les groupes de niveau viennent s’ajouter à la longue liste de prescriptions descendantes qui vont à l’encontre des recommandations de bonne gouvernance portées par la recherche universitaire et les organismes internationaux.
Cette alerte rouge est aussi celle des atteintes répétées au service public d’éducation. Celui-ci devrait normalement fonctionner dans le respect des principes républicains qui l’ont fait naître et qui s’accordent mal avec l’actuelle logique électoraliste et populiste des décideurs publics.
Stéphane Germain
Principal de collège