Peut-on imaginer au collège un FabLab qui fabriquerait bien plus que des objets : des compétences, de l’inclusion, du lien ? Ce rêve, nous explique Ludivine Massé, est réalisé au collège Gérard de Nerval à Vitré dans l’académie de Rennes. « La Fabrik’ GDN » est un laboratoire de fabrication piloté par les élèves du Dispositif ULIS et ouvert à la communauté éducative. Les élèves ULIS, formés aux logiciels et aux machines, non seulement assurent l’accueil et l’écoute, mais forment à leur tour les enseignant.es et élèves qui souhaitent faire vivre des projets pour le collège. Ce beau tiers lieu éducatif, cette utopie pédagogique, inspirante, a été présentée au 12ème Forum des Enseignantes et Enseignants Innovants à Poitiers…
Tout le monde ne sait pas dans l’Éducation nationale ce qu’est un « Fab Lab » : pouvez-vous expliquer ce dont il s’agit ?
Le Fab Lab est une contraction de « Fabrication Laboratory » et qui se traduit par « Laboratoire de Fabrication ». C’est un lieu ouvert au public où sont mis à disposition toutes sorte d’outils et de machines, dans le but de concevoir et de réaliser des objets. C’est un tiers-lieu, c’est-à-dire un lieu de faire ensemble, un lieu d’innovation grâce aux espaces partagés qu’il offre, un lieu de rencontre qui encourage aux collaborations et aux projets collectifs.
A quoi ressemble celui que vous avez déployé dans votre collège Gérard de Nerval à Vitré ?
Notre FabLab se nomme « La Fabrik’ GDN ». Il est situé dans la salle du dispositif ULIS. Nous sommes situés au rez-de-chaussée à proximité de l’entrée du collège et du hall central qui réunit toutes les ailes du collège. La salle du dispositif est grande (environ 60m2), ce qui nous a permis d’installer les machines au fond de la salle. Le reste de l’espace est modulable (tables, chaises, assises flexibles) et facilement modifiable en fonction des temps d’apprentissage ou d’ouverture de La Fabrik’.
De quel matériel disposez-vous ?
Le FabLab dispose de plusieurs équipements : une imprimante 3D, une machine de découpe Cricut Maker 3, une mini-press pour appliquer du thermocollant, une machine à badges, un emporte-pièces pour découper les badges, une carte de programmation Makey Makey, une boîte sonore réalisée par les élèves du dispositif ULIS, 6 ordinateurs portables (qui appartiennent au Dispositif ULIS). Nous avons également les consommables nécessaires à la réalisation des objets : Filaments 3D, vinyle, thermocollant, papiers cartonnés colorés, cartes. etc.
La particularité de votre Fabl Lab, c’est qu’il est piloté par les élèves du Dispositif ULIS : comment y êtes-vous parvenus ?
Étant à l’initiative du projet, j’ai souhaité mettre les élèves que j’accompagne au cœur de sa création. Le Fab Lab est donc intégré physiquement dans la salle du dispositif ULIS. Les élèves ULIS ont été les premiers formés aux machines et logiciels. Ils sont donc les « experts ».
En 2022-2023, Lucie, une « fab manageuse » est venue 10 fois le jeudi matin pendant 2 heures. Lucie vient du Fab Lab « My Human Kit », un Fab Lab rennais qui invente, fabrique et partage des solutions d’aides techniques pour et avec des personnes en situation de handicap. Elle nous a permis de nous initier à la modélisation et l’impression 3D. Elle a initié les élèves à l’utilisation de la carte de programmation et à la programmation Scratch pour créer de la musique numérique. Enfin, nous avons terminé notre partenariat en nous rendant dans le My Human Lab à Rennes afin de concevoir de toutes pièces une boîte sonore. Nous avons notamment pu utiliser la découpeuse laser de l’atelier.
De plus, le vendredi après-midi, je proposais aux élèves de l’ULIS, pendant 1 ou 2 heures, des projets pour prendre en main la création et la fabrication de badges, la création et la fabrication via la machine de découpe Cricut. Quelques exemples : trousse personnalisée avec du thermocollant, carte de vœux, personnalisation de cahiers avec de l’autocollant vinyle, découpe de tissu. etc. L’objectif était qu’ils s’initient à l’utilisation du logiciel Cricut, sachent choisir le bon paramétrage pour les matériaux et utiliser la machine.
La particularité de votre Fabl Lab, c’est aussi que les élèves du Dispositif ULIS l’animent à destination de l’ensemble du collège : selon quelles modalités ?
Très rapidement, en novembre 2022, La Fabrik’ GDN s’est ouverte 1 heure le vendredi midi de 12h40 à 13h40. Depuis septembre 2023, La Fabrik’ GDN est ouverte 2 midis par semaine à l’ensemble du collège, tous les jeudis et vendredis de 12h40 à 13h40. Les projets réalisés sont pour le collège. Les élèves tout autant que les adultes (CPE, Professeurs, Assistants d’Éducation) ont investi la Fabrik’ GDN pour savoir ce qu’il était possible de réaliser.
Les élèves ULIS volontaires sont donc présents pour accueillir les personnes, leur présenter le Fab Lab, les accompagner dans les premiers pas d’utilisation des logiciels. En toute autonomie, ils accompagnent également les personnes dans l’utilisation des machines.
J’ai été rejoint par une collègue de Maths, Mme Kowalczyk. Nous nous assurons du bon fonctionnement et de la bonne utilisation des machines. Nous venons en support, nous assurons l’aide technique si besoin. Nous aidons les élèves à comprendre leurs erreurs quand un projet n’a pas fonctionné. Nous aidons à la planification de certains projets complexes. Nous assurons l’achat des consommables via le Foyer Socio Educatif du collège. Je peux également solliciter mon collègue de Physique-Chimie, M. Vigouroux, qui connaît mieux que moi techniquement l’ensemble des machines et peut assurer la maintenance si besoin.
Quelles sont les activités ainsi déployées dans La Fabrik GDN ?
En ce qui concerne les activités, nous avons déjà créé une bonne vingtaine de projets. Nous sommes sollicités par le Conseil de Vie collégienne pour la création de badges pour les éco-délégués ou pour la journée de la bienveillance. Aussi par la Commission Égalité Filles-Garçons pour la réalisation de badges, de T-shirt « I love GDN » avec un arc-en-ciel, de lettres cartonnées pour une affiche « I love GDN » dans le hall. Ou encore par les professeurs de langues pour la semaine des Langues : production de T-shirt, de badges sur le champ lexical des langues et de l’école avec les élèves de l’UPE2A et de l’ULIS. Il y a eu aussi la création de Tetra Aides en impression 3D pour un professeur de la SEGPA. On peut aussi évoquer la création d’une boîte à histoires sonore : les élèves de l’ULIS et de l’Unité Externalisée de l’IME ont écrit et enregistrés des poèmes Haïkus, que l’on peut écouter via cette boîte.
Les projets sont gratuits. Mais parfois, on profite de La Fabrik’ pour récolter des fonds pour des projets qui nécessitent de l’argent ou acheter nos consommables. La Vie Scolaire nous a sollicités pour du flocage de Tote Bag. La vente de ces tote bags a permis de récolter des fonds pour le bal de fin d’année des 3ème (Juin 2023). Le FSE a lancé la création et la vente d’objets de Noël en novembre-décembre 2023 pour financer en partie nos consommables.
Quels vous semblent les intérêts pour les élèves du dispositif ULIS ?
Le besoin initial de ce projet était de trouver un lieu/un moment qui permettrait de développer les compétences psychosociales qui sont souvent fragiles pour les élèves que nous accueillons dans le dispositif ULIS. En ULIS, nous soutenons la scolarité de jeunes avec des troubles du spectre autistique, des troubles de l’attention avec hyperactivité, des troubles des apprentissages et du langage, des troubles auditifs, des troubles du comportement et des troubles cognitifs. Autant dire, ce n’est pas toujours simple de rentrer en relation avec les autres ! Il fallait trouver un lieu/un moment (encadré par l’adulte mais pas trop), qui permette d’entrer en relation, d’échanger, de partager avec l’ensemble du collectif.
Après un an d’existence, les élèves d’ULIS ont pleinement pris possession de La Fabrik’. Ils sont moteurs et accueillent sans difficulté les nouvelles personnes. Ils prennent des initiatives et des décisions pour accompagner les personnes dans leur projet. Ils sont plus à l’aise et plus habiles pour communiquer. Puisqu’ils sont les plus « experts », les personnes viennent facilement chercher de l’aide auprès d’eux, ce qui est très valorisant. Le rapport d’aidant / aidé est totalement inversé.
Ces multiples projets font qu’ils sont investis dans la vie collégienne. J’ai l’espoir que cela leur donne une image positive d’eux-mêmes et qu’ils gagnent en confiance. Sur le plan relationnel, je remarque qu’ils ont créé de nouvelles relations amicales mais aussi de manière plus saines.
Notre ULIS est orientée TFC « Troubles des Fonctions Cognitives », ces projets concrets et complexes permettent de travailler les fonctions exécutives telles que l’organisation et la planification mentales, l’inhibition et la régulation des émotions face à l’erreur.
Quels vous semblent les intérêts pour les autres élèves du collège ?
Pour l’ensemble des élèves comme des adultes, le Fab Lab à toute sa place dans le collège car il permet de stimuler le développement de la culture scientifique, technique, industrielle et numérique, aussi de favoriser l’innovation et la coopération. Les élèves et adultes présents au Conseil de Vie collégienne sollicitent souvent le Fab Lab pour leurs projets, leurs temps forts. Ça unit le collectif.
Notre collège accueille environ 650 élèves répartis en classes de générales, 8 classes de SEGPA, auquel s’ajoutent 1 dispositif UPE2A, 1 Unité Externalisée de l’IME et le dispositif ULIS. A chaque session, nous accueillons une vingtaine de jeunes, de tout niveau, de tout âge, de toute section . La mixité est très présente. J’observe des jeunes qui initialement ne se connaissaient pas et qui se mettent à échanger, créer ensemble, expliquer à l’autre. Je pense que le Fab Lab permet à chacun de développer des compétences psychosociales.
Quels profits et plaisirs tirez-vous vous-même du projet en tant qu’enseignante ?
En tant qu’enseignante, cela m’a apporté plus de visibilité auprès des élèves. Ils m’identifient comme « La professeure de l’ULIS mais aussi de La Fabrik »’. Notre travail de coordonnateur ULIS se fait en étroite collaboration avec les collègues mais il est aussi intéressant d’être connu et visible de l’ensemble des élèves, car nous intervenons peu dans les classes de référence.
Sur le plan pédagogique, la présence du Fab Lab dans ma salle me permet de penser certains apprentissages en lien avec les machines. Cela est plus motivant et concret pour les élèves. Un Fab Lab doit également documenter ses projets, cela permet aux élèves de travailler les compétences langagières.
La Fabrik’ GDN m’a permis de faire du lien avec d’autres dispositifs : UPE2A, unité externalisée de l’IME.
Nous nous lançons également pour 2023-2024 dans un projet Erasmus+ avec un collège italien de Turin. Notre thème s’intitule « Droits Humains et Numérique ». Nous travaillons toute l’année autour de ce thème. Pour le moment nous avons déjà créé des projets avec La Fabrik’ autour de la Liberté, de l’Égalité et de la Tolérance : impressions 3D, nuage de mots et badges, exposés, vidéo montage de notre collège. Ce partenariat aboutira à une mobilité d’une semaine en mars 2024 à Turin, pour 15 élèves et 4 adultes. Ensuite les italiens viendront dans notre collège en mai 2024.
Nous avons fait l’Inauguration du Fab Lab le 16 novembre 2023. Mme La Maire est venue et a particulièrement aimé notre statue de Marianne en 3D, que nous avions réalisé sur le thème de la Liberté !
On imagine qu’un tel Fablab implique un financement et des partenariats : comment avez-vous réussi à monter le projet ?
J’ai réussi à monter ce projet grâce à une bonne équipe. La direction du collège Gérard de Nerval m’a bien soutenue et m’a toujours fait confiance. Je les remercie chaleureusement de leur soutien !
Ma collègue Mme Waltz, directrice de SEGPA, m’a mis en contact avec les personnes du département Ille-et-Vilaine : le référent chargé des actions éducatives et le référent chargé des affaires numériques. Le collège a monté un dossier « Collège en Action » qui a été validé. Le collège a pu bénéficier d’une subvention de 1500€ du département. A cela s’est ajouté 500€ du Foyer Socio-Educatif (FSE) du collège pour acheter le reste des machines. Cette année, nous avons effectué une vente d’objets de Noël créés par La Fabrik’ via le FSE qui financera l’achat de nos consommables pour l’année.
C’est le département qui nous a mis en relation avec Le Fab Lab « My Human Kit » car ils ont un partenariat avec eux. Les 10 séances avec Lucie, la fabmanageuse, ont donc été entièrement pris en charge par le département, quelle chance !
S’agit-il d’un projet au long cours ?
Il y a 18 mois, je n’avais jamais touché une machine. Je me suis auto-formée et j’ai appris en même temps que les élèves. C’est à la portée de tous avec une bonne dose de curiosité et de motivation.
La Fabrik’ évoluera encore. Je souhaite y ajouter davantage de cartes de programmation qui permettrait de fabriquer des mini-robots. Plusieurs adultes souhaitent intégrer une machine à coudre pour enseigner les bases aux élèves.
Aujourd’hui, La Fabrik’ est bien intégrée dans le collectif du collège et pérenne.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut