Faut-il ludifier l’enseignement du français pour le revitaliser ? Enseignantes dans les académies de Lille, Dijon et Besançon, Vanessa Christophe, Julie Dozinel et Céline Retrouvey partagent dans leurs classes et en ligne le même esprit créatif. Elles diffusent aussi leurs idées dans un ouvrage qui présente des activités clés en main susceptibles d’insuffler la joie de lire, d’écrire, de travailler : boîte à lecture, lapbook, valise de personnage, exposé explosif, trésor de guerre, calendrier des personnages, dés d’écriture, leçons à manipuler, sketchnotes, porte-clés de révision, cadavres exquis circonstanciels … Elles ont même réalisé une mallette de 4 jeux pédagogiques qui peuvent permettre aux élèves de se regrouper et s’amuser en îlots autour de la langue. D’un support à l’autre, le plaisir d’enseigner et le plaisir d’apprendre sont réunis pour que le français se fasse (enfin ?) jubilatoire.
Vous êtes 3 enseignantes de lettres travaillant dans des académies éloignées les unes des autres : comment vous êtes-vous trouvées ?
Julie : Nous nous sommes “trouvées” naturellement sur Instagram. Bien conscientes que nous avions de nombreux points communs, c’est naturellement que nous avons commencé à communiquer et à nous rapprocher. Très vite, l’envie de passer du virtuel au réel est venue. L’évidence.
Vanessa : La passion pour notre métier nous a en effet permis de nous trouver ; et nos discussions quotidiennes ont fait le reste!
Céline : Lecture, littérature jeunesse, pédagogie, métier … nous ne manquions en effet pas de sujets de conversation !
Dans votre inspirant ouvrage, vous présentez 40 activités de classe variées autour de la lecture, de l’écriture, du travail : quels vous semblent leurs points communs, dans leurs dispositifs et/ou leurs objectifs ?
Julie : Nous avons voulu mettre en avant des activités concrètes, testées et approuvées en classe. Bon nombre de manuels sont très abstraits dans leurs propositions et nous voulions vraiment proposer des activités à mener qui puissent également être adaptées. Elles ont pour principal objectif de montrer le plaisir d‘apprendre et de faire apprendre.
Céline : La créativité et le plaisir sont effectivement les deux pierres angulaires de ce guide enseignant. Dans cet ouvrage, nous avons souhaité mettre à la portée de nos collègues, des projets enthousiasmants et rigoureux qui fonctionnent dans nos classes depuis plusieurs années. Pour nous, le plaisir d’apprendre en passe indubitablement par celui d’enseigner, la salle de classe est un espace de travail, mais c’est peut-être avant tout un cadre de vie dans lequel professeurs et élèves peuvent s’épanouir et prendre plaisir à travailler ensemble.
Vanessa : Nous avons pensé cet ouvrage à notre image. Des fiches succinctes tout en étant détaillées, dans lesquelles nous partageons notre expérience afin de permettre à toutes et tous de se lancer en montrant qu’il n’est pas difficile de sortir des sentiers battus et d’innover, quel que soit notre expérience. Ce sont des activités clé en main mais c’est surtout une manière de crier: lancez-vous! Les meilleurs retours que nous avons d’ailleurs eu jusqu’à présent sont celles qui nous écrivent afin de nous dire que notre guide leur a permis de trouver un nouveau souffle dans leur métier. C’est exactement le message que nous voulions délivrer.
Chacune d’entre vous pourrait-elle présenter ici une activité qu’elle a expérimentée et qui lui tient particulièrement à cœur ?
Julie : J‘aime beaucoup la photo de mariage. Il s‘agit d‘un sujet d‘écriture dans lequel je demande à des élèves de quatrième et de troisième de raconter l‘histoire de la rencontre entre des personnes présentes sur une authentique photographie de mariage du XXème siècle. J‘ai souvent un pincement au cœur lorsque de trouve en brocante de vieilles photographies de mariage esseulées. En faisant travailler les élèves sur ces documents authentiques oubliés, c‘est pour moi la possibilité de faire perdurer ces supports et d‘associer écriture et souvenirs.
Vanessa : Le grimoire de sorcière est sans conteste mon activité préférée. En 6e, lorsque vient l’heure de partir à la rencontre des sorcières, chacun construit alors son grimoire dans lequel il réalise chaque semaine un exercice d’écriture en lien direct avec ce qui est étudié en classe. Cerise sur le gâteau, mes collègues ont depuis rejoint le mouvement et proposent eux aussi des exercices liés à leur discipline dans le grimoire. Cette année se mêleront aussi au français les maths, l’histoire et l’anglais. J’ai hâte!
Céline : J’ai un attachement particulier pour le projet Trésor de guerre, cette boîte à souvenirs de Poilu de la première guerre que je fais réaliser et garnir par mes élèves de troisième. Aux écrits que je demande, les élèves ajoutent des objets (véritables ou confectionnés) qui auraient appartenu à ce soldat imaginaire. Chaque année, je reçois des boîtes qui dégagent une grande émotion, de véritables objets d’époque et de famille qui ont nourri des discussions à la maison, permis parfois à mes élèves de se saisir d’une partie de leur histoire familiale. Les élèves témoignent à chaque fois d‘un bel investissement. C’est un honneur et un vrai privilège que de recevoir de tels travaux et les corrections sont toujours pour moi de grands moments d’émotion.
Vous avez aussi réalisé une mallette de jeux pour le français : quel en est le contenu ?
Julie : Le coffret contient quatre jeux qui peuvent être utilisés simultanément par toute une classe. Le but est de dédramatiser et de rendre ludique l‘apprentissage de la grammaire. Des triomots permettent de travailler natures et fonctions grammaticales, une roue et des cartes “radical“ permettent de travailler la formation des mots et un jeu de l‘oie vient compléter le quatuor et permet de balayer le programme du collège en grammaire.
Comment peut-on concrètement utiliser en classe cette mallette de jeux ?
Céline : Les élèves peuvent se répartir en quatre îlots et on peut imaginer un système d‘ateliers tournants pour proposer les quatre jeux à l‘ensemble de la classe. Un livret pédagogique qui inclut des variantes, des corrigés ou des cartes autocorrectives pour le jeu de l‘oie permettent aux élèves de jouer en autonomie. L‘idéal est bien sûr de partager une partie avec eux, les moments de doute ou d‘hésitation sont alors l‘occasion de revenir sur un point de langue, une notion. C‘est une remédiation d‘égal à égal, la posture de l‘enseignant change : il joue comme les autres. Pensé pour le cours de français, j’avoue que je rêve de voir ce coffret de jeux pousser quelques murs : salle d‘étude, CDI, foyer, devoirs faits … il trouve aussi toute sa place en dehors de la salle de classe.
Quel vous semble l’intérêt d’une telle ludification de l’apprentissage du français ?
Julie : Pour intéresser les élèves d‘aujourd‘hui, il faut les rendre actrices et acteurs de leurs apprentissages. Avec le jeu, c‘est l‘assurance de faire comprendre les notions tout en maintenant les exigences. Jouer n‘est pas bâcler.
Vanessa : Tout à fait d‘accord avec Julie! On peut très bien défendre une pédagogie innovante et ludique tout en étant intransigeante sur les notions indispensables à acquérir. À travers ce coffret de jeux, notre ambition est de faire travailler les élèves de la 6ème à la 3ème et leur permettre ainsi d’acquérir des automatismes.
Céline : En classe, les jeux deviennent pour l‘enseignant des outils pédagogiques rigoureux, des vecteurs de savoirs et savoir-faire ou même des modes d’évaluation. Pour les élèves, c’est engageant et très stimulant. L‘exercice ou la tâche ne sont plus des freins ou des barrières, ce sont des énigmes, des missions, des défis à relever ! Chacun se sent capable, tente, ose, il n’y plus d’échec, car le tour suivant me donne la possibilité de réussir ! La donne change et c’est très important quand on connaît la valeur de l’essai et la difficulté parfois pour nos élèves de s’engager dans le travail. Confiance en soi, motivation sont des facteurs qui jouent un rôle important dans la réussite de nos élèves.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Le site « Crochetons-nous dans les bois » de Vanessa Christophe
Le site « La boîte de Pandore » de Julie Donizel