Alors que le ministre de l’Education nationale s’envole dans les sondages, les critiques montent sur l’écart entre les annonces du ministre et la réalité du budget. Le 15 décembre, G. Attal a reconnu qu’il fallait un amendement budgétaire pour exécuter une de ses annonces. Il en faudrait bien d’autres pour les mettre toutes en application. Alors que Gabriel Attal a réussi une remarquable percée politique en recyclant les thèmes populistes de la droite, le voilà rattrapé par la réalité. C’est sa capacité de gestionnaire qui est maintenant interrogée.
Le ministre reconnait qu’il n’a pas le budget de ses annonces
En visite dans un collège de l’éducation prioritaire le 15 décembre, Gabriel Attal a confirmé la généralisation de l’ouverture de tous les établissements Rep de 8 h à 18h. Cette fois-ci, il a reconnu que la mesure coutera 80 millions et qu’il ne les a pas. Il annonce un amendement au projet de loi de finances 2024. Celle-ci arrive en débat à l’Assemblée cette semaine.
Nos doutes depuis novembre
Nous exprimons nos doutes sur la sincérité budgétaire depuis novembre. Le 5 novembre, G Attal annonce une réforme de la formation initiale qui déplace le concours en fin de licence (L3) avec une prise en charge financière des futurs enseignants comme élèves fonctionnaires en M1 puis comme fonctionnaires stagiaires en M2. « La réforme proposée par le ministère revient à créer 20 000 postes de fonctionnaires stagiaires et à rémunérer pendant une année un nombre équivalent d’élèves fonctionnaires. On voit mal comment cela est compatible avec l’engagement gouvernemental de stabiliser le nombre de postes de fonctionnaires d’ici 2027 ainsi que le budget de l’enseignement scolaire en 2024 et 2025« , écrivions-nous. Une responsable syndicale partageait ce doute. « On espère que le ministère a consulté Bercy« , nous disait-elle. Ce qui veut dire que le ministère n’a fourni aucune garantie sur ce point.
Un mois plus tard, les annonces du 5 décembre ont aggravé la situation. Ce jour là, suite à la publication de Pisa, G. Attal multiplie les annonces avec un calendrier encore accéléré. « Quand Gabriel Attal annonce que “on créera les postes qu’il faut pour qu’il y ait qu’une quinzaine d’élèves en groupe 1” au collège, il faut quand même lui rappeler que la loi de programmation budgétaire 2023-2027 fixe une quasi-stabilité budgétaire pour l’Education nationale« , rappelions-nous le 8 décembre. « S’il lui faut augmenter d’un tiers le nombre de professeurs de maths et de français des collèges cela représente 18 373 postes à financer, soit un peu moins d’un milliard. On ne sait d’ailleurs où il les trouverait car il n’arrive déjà pas à remplir les postes ouverts dans ces deux disciplines« .
Nous soulevions aussi le coût de deux autres annonces. La prise en charge des manuels du primaire dans deux disciplines et le renouvellement des manuels de collège dans trois disciplines du collège représente aussi un coût. En 2016-2017 l’Etat avait déboursé 200 millions pour les seuls manuels du collège. Surtout, s’ajoute le coût des redoublements, que Gabriel Attal veut remettre au goût du jour. En 2015, l’IPP avait calculé que la baisse du taux de redoublement permettait de réaliser une économie de 2 milliards. Le retour à avant la loi de 2013 coûterait au moins autant. Cette dépense là n’est pas non plus budgétée ni pour 2024, ni sur la loi de programmation 2023-2027.
Les doutes des chefs d’établissement
Le 15 décembre, dans un entretien à l’AEF, Bruno Bobkiewicz, secrétaire général du principal syndicat de personnels de direction, le Snpden-Unsa, fait part de ses doutes sur la gestion ministérielle. « La question est de savoir si les moyens seront à la hauteur« , dit-il. Il calcule que la mise en place des groupes de niveau au collège, annoncés par G. Attal, représente 19 000 postes (ETP). « Or il est évident qu’il n’y aura pas 19 000 ETP« , ajoute-il. « Nous avons donc une inquiétude quant à un éventuel écart entre l’annonce et la réalité des moyens attribués ».
L’expertise de PY Duwoye
Pierre-Yves Duwoye, ancien directeur de cabinet de V. Peillon, ancien secrétaire général du ministère, ancien recteur, confirme nos critiques. Il évalue avec plus de précision l’impact de ces mesures. Dans des tweets, il les chiffre. « 10% de redoublants c’est comme 10% d’élèves en plus. Il faut donc 10% de professeurs en plus en élémentaire, soit 30 000 professeurs des écoles« , écrit-il. « Avec moins d’élèves d’ici 2027, 10 000 professeurs seront disponibles. Mais quels moyens a G. Attal pour recruter les 20 000 autres ?« , interroge-t-il.
« D’ici 2026, il faut recruter plus de 50 000 enseignants« , poursuit-il. Il calcule qu’il faut au moins 25 000 professeurs des écoles en plus pour les redoublements, 20 000 enseignants du second degré en plus pour les groupes de niveau au collège et 5000 pour les classes prépa bac, annoncées elles aussi par G. Attal. « La baisse du nombre d’élèves réduit le besoin à 35 000 professeurs« .
Comment avoir des enseignants en plus quand on supprime des postes ?
Or 35 000 enseignants supplémentaires ne se recrutent pas en une année. Pour les avoir il faudrait déjà créer 10 000 postes dans le budget 2024. Ce n’est pas ce qui est prévu dans le budget 2024 qui supprime 1709 emplois ETP dans le 1er degré et 484 dans le second.
Annoncés le 14 décembre, les postes mis aux concours 2024 confirment les suppressions de postes. Pour 11 609 sorties d’enseignants prévues dans le 1er degré, selon la proposition de loi de finances publiques 2024, le ministère n’ouvre que 9 885 postes. Dans le second degré, pour 10 564 sorties prévues, seulement 8932 postes sont ouverts aux concours externes et 3eme concours.
On constate le même grand écart entre les propos ministériels et la réalité budgétaire dans les disciplines que le ministre veut renforcer. G. Attal annonce des groupes réduits en maths et en français. Mais le nombre de postes mis au concours externe de certifié diminue en lettres modernes ( de 755 en 2023 à 698 en 2024) et lettres classiques (de 134 à 90). En maths le nombre n’augmente pas.
Une remarquable percée politique fracassée sur le mur budgétaire ?
Depuis sa nomination, Gabriel Attal a multiplié les déclarations et les annonces. Ancien élu PS, il a eu à cœur de gommer ce qui pouvait rester de ce passage à gauche en reprenant les éléments de discours classiques de la droite.
Regardé avec un peu de condescendance par certains comme un jeune familier du prince lors de sa nomination, il a remarquablement réussi à percer politiquement. Il a été soutenu par des campagnes de la presse proche du pouvoir, par son expérience de porte parole, mais aussi par un réel talent personnel. Le très récent sondage Ifop – Paris Match des personnalités politiques le crédite de 51% d’opinion favorable, au 2ème rang des personnalités politiques préférées des Français. C’est beaucoup plus que ce qu’ont obtenu ses deux prédécesseurs. G Attal est populaire auprès de l’électorat âgé (beaucoup moins chez les parents d’élèves), dans l’électorat de droite et dans les classes moyennes et supérieures.
Cet excellent parcours arrive au bon moment. Alors que le rejet de la loi immigration semble ouvrir une nouvelle période politique, Gabriel Attal est à l’heure pour porter un réalignement politique de la macronie.
Mais voilà que ce bel édifice commence à se lézarder. Il apparait que les annonces et les promesses ne sont pas financées. Gabriel Attal doit apporter des réponses sur sa gestion budgétaire. A Bercy aussi on doit s’interroger…
François Jarraud
Les flous de la réforme de la formation
Sur les mesures du Choc des savoirs
L’étude IPP sur le coût des redoublements