Le Parcours Préparatoire au Professorat des Ecoles, ouvert depuis la rentrée 2021, préfigure-t-il les modalités futures de la formation initiale des enseignantes et enseignants ? Le dispositif, encore jeune et méconnu, prépare à une licence en 3 ans qui est menée alternativement au lycée, à l’université et en stages, et qui débouche sur l’entrée en Master MEEEF à l’INSPE. Un pré-rapport de l’Inspection Générale, piloté par Catherine Mottet et Anne Szymczak, dresse un instructif état des lieux : sur l’ensemble des 16 PPPE visités, le bilan s’avère positif tout en livrant des points de vigilance et des clefs pour l’avenir.
Le PPPE, c’est quoi ?
Le Parcours Préparatoire au Professorat des Ecoles est un parcours de licence dispensé en alternance entre le lycée et l’université, avec une professionnalisation et une universitarisation progressives. Il donne lieu à la délivrance d’une licence dans la majeure disciplinaire de référence qui porte le parcours PPPE. Des passerelles sont possibles avec d’autres voies de formation, mais le débouché logique de la licence est l’entrée dans un Institut National Supérieur du Professorat et de l’Education pour suivre un master Métiers de l’Enseignement, de l’Education et de la Formation mention premier degré et préparer le Concours de Recrutement de Professeur.es des Ecoles.
La formation propose des enseignements de culture générale et d’approfondissement disciplinaire dispensés en lycée (français, mathématiques, histoire-géographie, langues, sciences, arts, philosophie, EPS), des enseignements de spécialisation et d’approfondissement adossés à la recherche dispensés à l’université, des stages d’observation et de pratique accompagnée à l’école primaire en 1ère et 2ème année de licence, un stage de mobilité internationale en 3ème année de licence. Les enseignements dispensés veulent consolider la maitrise des disciplines tout en développant une relation aux savoirs qui soit à la fois vivante et distanciée. Par exemple, en français, « l’enjeu est de former des professeurs des écoles capables d’enseigner avec expertise et recul les fondamentaux de la langue et de donner aux plus jeunes accès à la lecture avec un discernement qui favorise la curiosité et le plaisir de lire. » D’où les objets d’étude proposés (« Aventures et lecture », « Littérature et images ») et les méthodes préconisées (ateliers d’écriture, pratiques orales, chantier de grammaire, déploiements du sujet lecteur …). De même, « l’enseignement des mathématiques dans le cadre du PPPE vise la maîtrise des connaissances mathématiques nécessaires pour enseigner les mathématiques et l’ensemble des matières étudiées à l’école élémentaire. Il doit également permettre de découvrir et comprendre les articulations entre les notions mathématiques et procurer des éléments culturels et historiques favorisant la prise de recul par rapport aux contenus enseignés à l’école. » (Eléments de cadrage national).
Des étudiantes et étudiants satisfaits
Le regard que les étudiant·es portent sur leur Parcours est particulièrement intéressant. Car le PPPE leur est assurément une aventure, pleine d’inconnus quant aux contenus de la formation, lourde d’incertitudes quant à leur réussite future. S’engager dans le PPPE implique une capacité à se projeter dès le bac vers un projet professionnel encore lointain : la formation suppose et favorise un savoir devenir. Le constat que dresse le rapport est à cet égard réconfortant : « Le PPPE attire des étudiants et la formation confirme leur désir de devenir professeurs des écoles. »
Les étudiant·ess saluent en particulier le caractère pluridisciplinaire et généraliste du dispositif : « La solidité de la formation en culture générale et son encadrement partiel dans un lycée constituent des arguments puissants pour de jeunes étudiants. Beaucoup voient dans ce parcours pluridisciplinaire la meilleure façon de se préparer au concours de recrutement de professeur des écoles, en renforçant leurs connaissances et compétences dans les enseignements fondamentaux, comme dans l’ensemble des disciplines et domaines enseignés à l’école primaire, tout en s’engageant dans des études universitaires. » A rebours, incontestablement, du processus habituel qui voit une licence disciplinaire (de lettres, de langues ou encore de sciences) précéder l’entrée en master MEEEF, approfondir mais aussi limiter le champ de connaissances.
Les étudiants apprécient aussi les contenus enseignés, en particulier en français, maths et histoire-géographie. « Si d’autres enseignements sont parfois objets de quelques réserves, c’est souvent le fait d’une difficulté de niveau (enseignement scientifique trop ardu ou au contraire trop simple selon les parcours antérieurs) ou d’une incapacité à penser l’utilité d’une discipline non enseignée à l’école élémentaire : la philosophie est ainsi régulièrement remise en question lors des entretiens avec les étudiants, autant qu’appréciée. » Sans doute faut-il souligner la qualité des programmes, suffisamment clairs pour proposer des orientations et thèmes intéressants, suffisamment souples pour laisser une certaine liberté pédagogique : autant que les « fondamentaux », qu’il faut s’approprier ou réviser pour pouvoir un jour les enseigner convenablement, la formation s’attache au « fondamental », s’efforce de développer une relation vivante aux savoirs, celle qu’il faudra un jour transmettre à ses élèves pour leur donner le gout d’apprendre, de lire, d’écrire, de raisonner, de créer, de collaborer …
Les contenus sont d’ailleurs particulièrement prisés quand ils prennent une dimension professionnalisante, quand la pédagogie mise en œuvre est susceptible d’inspirer de futures pratiques d’enseignement, quand l’enseignant·e en PPPE fait retour sur les modalités de travail adoptées, quand « le professeur privilégie une démarche qui place l’étudiant en situation professionnelle : comment construire une leçon sur le sujet face à une classe ? Comment expliquer telle erreur à un élève ? Comment l’amener à la corriger ? » Faire cours tout en faisant cours sur le cours, enseigner sa discipline tout en explicitant ses démarches, en justifiant ses choix, en éclairant les enjeux : le PPPE, pour être pertinent, doit probablement être assuré par des enseignant·es qui soient de véritables praticiennes et praticiens réflexifs.
Les étudiant·es saluent encore la qualité de l’accompagnement par leurs enseignant·es, en particulier de lycée. « Beaucoup d’étudiants soulignent la générosité du temps qui leur est consacré, souvent en dehors des heures de cours, y compris sous forme d’appels téléphoniques ou de messages numériques. Des étudiants passés par des phases de découragement disent avoir été remobilisés par leurs professeurs. »
Les étudiant·es apprécient enfin la préprofessionnalisation à travers les stages proposés dans les écoles dès la 1ère année. « Ils représentent un élément déterminant dans le choix des étudiants qui ont candidaté pour cette formation et un atout pour l’accès à un master MEEF. » Les stages « permettent une projection concrète dans le métier, un « moment incarné », de l’émotion quand « on se fait appeler maitresse ». Les étudiant·es goutent « le contact avec les enfants », « l’accueil par les maîtres de stage », la possibilité d’avoir « un retour immédiat – celui des enfants – sur les cours qu’ils donnent (en L2) ». Même en L1, le stage d’observation apparait « déterminant » pour conforter ou non le choix du parcours vers le professorat des écoles. Les étudiant·es aiment particulièrement quand on les sollicite et quand on les met en activité, même en L1, « pour accompagner par exemple des travaux de groupe dans la classe. Une étudiante regrette par exemple d’avoir passé son temps à observer la classe « assise sur un meuble ». À l’inverse, il arrive que l’étudiant de L1 soit chargé de conduire la classe pendant une demi-journée. »
Des points de vigilance
Le rapport de l’Inspection générale éclaire aussi la perfectibilité du PPPE en livrant plusieurs points de vigilance et quelques conseils.
Le choix de la licence d’adossement varie d’une académie à l’autre et s’avère crucial. Certaines licences disciplinaires, en particulier celles de mathématiques, paraissent aux étudiant·es « décalées par rapport au niveau d’enseignement qu’ils auront à assurer en tant que professeurs des écoles ». À l’inverse, les licences pluridisciplinaires et les licences en sciences de l’éducation sont jugées plus conformes aux attentes et adaptées au futur métier. Sont à nouveau préconisés « des parcours pluridisciplinaires à partir du moment où ils consacrent un nombre conséquent d’heures de formation à l’enseignement du français et des mathématiques ».
Il peut y avoir tension entre la maitrise attendue des savoirs académiques et une « préparation en douceur au métier ». Cette tension peut-être féconde pour peu que les enjeux soient explicités et débattus. Est à nouveau préconisée la mise en place d’un enseignement spécifique « connaissance du système éducatif et du premier degré et accompagnement des stages ».
La place de la recherche dans le cursus parait à mieux identifier et à consolider. Les étudiant·es apprécient les interventions ponctuelles d’expert·es en pédagogie sur tel ou tel point particulier. Mais « la dynamique recherche est activée selon des modalités très diverses » ; « quand elle existe, elle est souvent prévue en L3 » ; « l’aspect « recherche » ne va pas au-delà d’un apport de connaissances, les étudiants n’étant pas impliqués dans une activité de recherche. »
Le déploiement des PPPE pose des difficultés de coordination entre des partenaires variés, voire provoque un « choc des cultures » : « l’attribution à chaque PPPE d’un poste de coordonnateur à temps complet permettrait de soulager les proviseurs (ou leurs adjoints) et les directeurs d’UFR (ou responsables de licence) qui portent les PPPE sans moyens administratifs complémentaires. Ce coordonnateur profiterait aussi aux étudiants, en veillant à une bonne communication centralisée par lui autour de l’organisation pédagogique et administrative de la formation, parfois éclatée dans deux voire trois lieux, et à harmoniser des cultures très différentes, celle plutôt « cadrante » du lycée et celle de l’université dont l’organisation s’appuie sur la capacité des étudiants à être autonomes. »
La question du financement reste aussi problématique. « Au lycée, la dotation globale horaire ne semble pas toujours suffire. Il est indiqué par certains proviseurs que les conseils régionaux ne prennent pas partout en compte l’installation de cette nouvelle offre de formation dans le lycée. Les universités s’estiment dans l’ensemble sous dotées et formulent la demande d’un accroissement de masse salariale. Le financement pour le PPPE est jugé insuffisant si l’on veut mettre en place un accompagnement, assurer l’ouverture culturelle, etc. »
L’organisation des stages s’avère « régulièrement » à améliorer, en termes d’implantation, d’objectifs, d’évaluation, de communication, de coordination. En L3, l’obligation de mobilité internationale apparait difficile à mettre en œuvre : elle « pourrait être transformée dans le cahier des charges en une obligation de stage en école de quatre semaines, avec possibilité de réaliser ce stage à l’étranger ».
L’accueil en master MEEF des étudiant·es titulaires d’une licence PPPE reste à bien appréhender et gérer : « Les étudiants rencontrés expriment parfois une interrogation quant à l’intérêt d’un master MEEF au terme de trois années de préprofessionnalisation. Cette perspective invite sans doute à penser de façon spécifique l’accueil de ces étudiants en M1 à l’INSPE, et à faire valoir dans le recrutement en PPPE l’intérêt et la richesse du continuum d’un parcours en cinq années pour devenir professeur des écoles. »
Des horizons proches
Cette note, précisent les autrices, constitue la première étape d’un rapport définitif prévu pour la fin de l’année 2023. Elle livre incontestablement de précieux enseignements à celles et ceux qui en ce moment tentent de reconfigurer la formation initiale.
En septembre 2022, l’Inspection générale avait remis un autre rapport, sévère, sur la formation traditionnelle des professeur·es des écoles : elle « « ne garantit pas que chaque étudiant (…) aura acquis les compétences et connaissances indispensables pour aborder sereinement le métier d’enseignant d’école primaire chargé d’enseigner toutes les disciplines, de la petite section de maternelle à la fin du cours moyen ». A l’automne 2023, le ministère, faute de candidat·es, a dû prolonger la période d’inscription aux concours d’un mois jusqu’au 7 décembre. Au début de l’année 2024, il est prévu que soient annoncées des décisions sur « l’entrée dans le métier ». La voie privilégiée semble de placer les concours de recrutement en fin de L3 et de former ensuite les lauréat·es en tant que stagiaires pendant 2 ans. Le M1 proposerait des stages d’observation tandis qu’en M2, les stagiaires auraient à mi-temps la responsabilité de classes. Pensant tout le master, une rémunération d’au moins 1 770 euros brut mensuels serait envisagée. Les enseignant.es resteraient titularisé·es à bac+5.
Le PPPE va-t-il intégrer et/ou inspirer les modalités futures de l’entrée dans le métier ? La généralisation des licences PPPE est envisagée pour le primaire tandis que dans le second degré s’annoncent des « modules de sensibilisation » qui seraient adossés à des licences toujours disciplinaires mais « labellisées ».
Par-delà les importantes questions organisationnelles, il apparait bel et bien que le PPPE livre alors une clef essentielle : articuler maitrise des connaissances et formation pédagogique, c’est motivant, c’est possible, c’est souhaitable. Cela invite à faire percevoir ce qui ne va pas forcément de soi : il ne s’agit pas simplement de connaître les règles d’accord du participe passé pour pouvoir les enseigner, il faut avoir construit une relation, vivante et réflexive, à la langue (et à tous les savoirs) pour pouvoir un jour tisser cette relation chez ses propres élèves. Cela suppose que la nouvelle mouture de la formation initiale ne soit pas qu’une préparation à des concours académiques, qu’elle soit vraiment conçue sur 5 ans, qu’elle ouvre comme en PPPE vers un exercice authentique et éclairé du métier d’enseigner, qu’elle amène les étudiant·es à mettre la main à la pâte tout à la fois de la connaissance et de l’apprentissage. Alors l’expérience PPPE, que les étudiant·es disent clairement heureuse, aura forgé chez beaucoup la maitrise et la saveur des savoirs, la démarche expérimentale et la pratique réflexive : le bonheur d’enseigner.
Jean-Michel Le Baut
Parcours préparatoires au professorat des écoles. État des lieux qualitatif.