Mathieu Ichou est chercheur à l’Ined – Institut National d’Études Démographiques. Il travaille sur la sociologie de l’immigration, de l’éducation et de la stratification sociale. À la lumière de son expertise, il analyse les résultats de l’enquête PISA en matière d’inégalités.
Encore une fois, les résultats de l’enquête PISA montrent que la France est un des pays de l’OCDE où le lien entre l’origine social et la performance sont les plus corrélés. Comment interpréter vous ces résultats ?
Merci pour cette question, qui montre toute l’importance de regarder au-delà des moyennes nationales. Pour les sciences sociales, comme pour les politiques publiques, c’est l’examen de la dispersion autour de la moyenne et la compréhension des sources des inégalités scolaires qui sont les plus intéressants. Au-delà de la position moyenne de la France sur tel ou tel indicateur de performance, le résultat que vous mettez en avant est fondamental : la France est l’un des pays où l’origine sociale des élèves détermine le plus leurs résultats scolaires. Ce n’est pas une surprise : c’était déjà le cas dans les éditions précédentes de l’enquête.
Ce constat n’est pas évident à expliquer. Il est probable que la ségrégation sociale et scolaire, c’est-à-dire l’inégale répartition des élèves entre les établissements selon leurs caractéristiques sociales et leur niveau scolaire, constitue un facteur majeur de renforcement du lien entre origine sociale et résultats scolaires. Plus généralement, dans tous les pays de l’OCDE, mais peut-être en France plus qu’ailleurs, la réussite scolaire, puis le diplôme, est considérée comme une ressource essentielle pour la réussite sociale, notamment professionnelle. Les parents des classes moyennes et supérieures déploient donc, plus ou moins consciemment, des stratégies pour favoriser la réussite de leurs enfants.
Depuis 2012, il y a pourtant eu des politiques en faveur des élèves scolarisés dans des établissements classés REP. Cela signifie-t-il que cela ne fonctionne pas ?
Vous avez probablement raison. Les recherches existantes montrent les effets ambivalents et limités des politiques d’éducation prioritaire menées en France, entre autres du fait de la non adéquation des objectifs visés et des moyens mis en œuvre. Au contraire, l’assouplissement, déjà ancien, de la carte scolaire a eu des effets négatifs prévisibles sur l’aggravation de la ségrégation scolaire, dont les politiques d’éducation prioritaire ne peuvent, à elles seules, compenser les effets inégalitaires.
Quelles solutions alors ?
Je ne suis pas spécialiste des politiques scolaires et il n’y a pas de solution miracle malheureusement – et surtout pas si on isole les politiques scolaires. Ce qui est clair, c’est qu’on ne peut rendre l’école exclusivement responsable des inégalités scolaires. Par exemple, la ségrégation scolaire est pour partie le produit de la ségrégation résidentielle – extérieure à l’école et aux politiques scolaires. De façon générale, du fait du lien entre origine sociale et résultats scolaires, une solution pour réduire les inégalités scolaires serait de s’attaquer aux inégalités sociales qui les produisent…
Sur la question des élèves issus de l’immigration, on note une différence significative de la performance avec les élèves autochtones. Comme l’expliquer ?
Effectivement, les élèves issus de l’immigration ont des performances moyennes inférieures, notamment ceux qui sont arrivés en France en cours de scolarité – les écarts sont moindres pour les élèves nés en France de parents immigrés. Les derniers résultats de PISA concordent avec l’ensemble des recherches sur le sujet : la cause principale de la moindre réussite des élèves issus de l’immigration est leur origine sociale défavorisée. Quand on compare des élèves de même origine sociale, les différences se réduisent fortement et, dans certains cas, cessent d’être statistiquement significatives. Quelques facteurs sont néanmoins spécifiques aux élèves issus de l’immigration : c’est notamment le cas des effets néfastes de la ségrégation ethno-raciale, qui concentre dans certains quartiers et certains établissements les plus défavorisés les élèves issus des minorités, ce qui est défavorable à leur réussite scolaire.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda