Comment motiver et impliquer davantage ses élèves pour les amener à davantage de réussite ? C’est la question que s’est posée Rachidath Soulé, professeure des écoles au lycée international Jean Mermoz (du réseau de la Mission laïque française) à Abidjan en Côte d’Ivoire. Constatant que ses élèves se comportaient trop souvent en simples spectateurs et spectatrices écoutant « la maitresse au tableau devant son assemblée, distiller sa préparation de séance », elle a peu à peu fait évoluer en ilots l’espace de la classe, instauré de véritables centres dédiés, accepté de vivre dans un « fouillis » en réalité organisé. Autonomie, entraide entre pairs et tutorat sont désormais les maitres mots de la classe. Résultat : les élèves préfèrent finir une activité que d’aller en récréation ! Rachidath Soulé revient pour le Café sur sa nouvelle façon d’enseigner.
Plus qu’un projet c’est une façon différente d’enseigner que vous venez partager au Forum. Quels constats vous ont amenée à vouloir faire évoluer vos pratiques pédagogiques et quels objectifs vous êtes-vous fixé ?
Au début de ma carrière, je me suis très vite retrouvée face à une classe dont certains élèves étaient simples spectateurs, donnant l’impression de ne m’adresser qu’à une partie d’entre eux. Il s’est révélé compliqué de répondre à l’hétérogénéité de ma classe sans accentuer les écarts : soit les élèves qui comprenaient vite s’ennuyaient à attendre les moins habiles, soit les plus en besoin étaient perdus quand la classe suivait le rythme des plus habiles.
Ce sont les besoins de mes élèves, qui ont orienté et guidé mon changement de pratique afin de mieux leur répondre.
Qu’avez-vous modifié dans votre classe et vos pratiques pour mettre en place ces nouvelles modalités de travail ? Avez-vous rencontré des difficultés matérielles pur y parvenir ?
En pleine recherche sur une nouvelle organisation, j’ai, dans un premier temps, changé ma disposition spatiale en passant des bureaux en « rang d’oignon » à des tables en ilots pour ma moitié de classe. Je travaillais avec un demi-groupe tandis que l’autre s’entrainait sur les manuels. Le nombre d’élèves face à moi, me semblait toujours aussi conséquent.
J’ai commencé à introduire petit à petit des ateliers de manipulation. Pour une moitié de classe le matériel à mettre à disposition demandait beaucoup de temps de préparation. Réduire encore le groupe a résolu de moitié ce besoin. Les élèves ne faisant pas tous la même chose au même moment, ils devaient avoir un coin spécifique afin de ne pas se retrouver perdus au milieu de la classe. Plus je réduisais les groupes de travail, plus mon espace classe évoluait : je passais du simple regroupement de tables en ilots à des centres dédiés.
La première difficulté rencontrée dans ces changements, a été l’autonomie des élèves et le lâcher-prise auquel je n’étais pas habituée. L’autonomie n’est pas innée chez nos petits trésors, il faut la leur réapprendre avant de pouvoir se projeter dans une cette organisation. Il a également fallu leur réexpliquer la place de l’erreur. Dans notre classe, comme nous disons, « il n’y a pas de tricheur » : un élève qui éprouve le besoin de copier, c’est un élève qui n’a pas compris ou retenu une notion, le copain peut arrêter son travail et la lui expliquer à nouveau. Quant à moi, j’ai appris à leur faire confiance, à ne pas tout contrôler (plusieurs activités sont autocorrectives).
L’autre difficulté a été de se retrouver seule à cogiter, à tout préparer pour ensuite, tout reprendre par manque de recul possible. Les collègues ne sont jamais loin, je reçois encore de précieux conseils pour la disposition spatiale mais difficile de pourvoir les projeter dans mes buts à atteindre.
Il n’est en outre pas toujours aisé de pouvoir travailler dans un environnement qui se veut modulable sans mobilier adapté. Lorsqu’on rentre dans notre classe on peut vite se laisser happer par ce qui semble être un « fouillis » organisé.
Comment caractériseriez-vous cette différente façon d’enseigner ? Pourriez-vous nous en donner quelques exemples concrets ? En quoi est-elle particulièrement novatrice dans la « communauté locale » qui est la vôtre ?
Il y a trois ans, lorsque nous rentrions en classe, chaque élève s’installait tranquillement à son pupitre en attendant que finisse l’appel. Puis, maitresse au tableau devant son assemblée, je leur distillais ma préparation de séance pendant les 45 mn voire 1h prévue, entre recherche individuelle et mise en commun. Puis nous passions à un autre domaine d’apprentissage. Il fallait veiller à ce qu’ils bavardent le moins possible afin que ceux qui suivent le cours ne soient pas perturbés. Les élèves restaient assis « sagement » jusqu’à la récréation. Le taux de permissions demandées ou d’excuses pour sortir un peu de la classe étaient très élevé !
Aujourd’hui, nous retirons nos chaussures et laissons nos cartables dans le couloir à l’arrivée en classe. Puis nous nous asseyons au coin regroupement sur la natte afin d’échanger un peu librement avant que commence la journée. Pendant l’anglais (en demi-classe avec décloisonnement), tout le groupe avec moi, apprend une nouvelle notion (ou la révise) ou fait de la manipulation.
Lorsque nous nous retrouvons tous, débutent nos parcours pendant 30 mn : ensemble d’activités ou chaque élève travaille à la notion qu’il souhaite dans le centre souhaité. Ils peuvent travailler seuls, à 2 ou à 3 dans un même domaine et faire la même (ou pas) activité. Je suis disponible pour chacun. Ils ont le matériel et les aides à disposition et savent où les prendre.
Ensuite vient la récréation. Au retour, nous avons 30 mn de lecture autonome avec 5 à 10 mn de mini-leçon et regroupement. Chaque élève rentre dans sa bulle. Au bout de cette demi-heure, quand retentit la cloche, nous rangeons tout et chacun doit relire la programmation afin de vérifier dans quel centre il se trouve (centre guidé ou centre autonome). Nous changeons au bout de 30mn durant lesquelles, les élèves sont passés dans 1 ou 2 centres selon le travail à faire.
Après la deuxième récréation, le groupe classe se reforme pour des activités comme le sport, la BCD, l’art, questionner le monde. Le mercredi par contre avant la 1ère recréation nous tavaillons en groupe classe entière.
On pourrait craindre que cette nouvelle façon d’enseigner ne fasse éclater le groupe-classe. Est-ce une difficulté à laquelle vous avez effectivement été confrontée, ou au contraire la collaboration entre pairs a-t-elle permis de renforcer le groupe ?
Le groupe classe est maintenu sur certains petits créneaux. En travaillant sur leur autonomie, les élèves ont appris à s’entraider. Ils collaborent énormément et savent vers quel camarade précis se tourner en cas de besoin même lorsque ce dernier fait une activité totalement différente de la sienne.
Diriez-vous de ces dispositifs qu’ils ont modifié de manière positive votre relation avec les élèves ?
Oui ! totalement ! mes élèves sont de plus en plus motivés. Ce sont eux qui me réclament du travail, qui ne veulent pas aller à la récréation parce qu’ils veulent finir une activité, qui mènent les débats… Ma relation avec mes élèves a changé, elle est plus individuelle, plus chaleureuse et j’en perds de moins en moins niveau participation et implication.
Aujourd’hui reviendriez-vous en arrière, ou au contraire, malgré les difficultés rencontrées, notamment en termes de charge de travail, envisagez-vous de poursuivre dans cette direction ? Pourquoi ?
J’avoue que j’aurais beaucoup de mal à revenir en arrière, malgré toutes ces difficultés, je ne suis pas encore arrivée à un fonctionnement que je dirais optimal. Les élèves sont tous différents, avec des besoins différents qui évoluent sans cesse, je continue encore à affiner mon fonctionnement pour enseigner autrement…
Propos recueillis par Claire Berest