En 2022, le centre pour la recherche économique et ses applications (CEPREMAP) a participé à la première enquête permettant d’élaborer le Baromètre du bien-être des personnels de l’Éducation nationale. « Les données collectées révèlent le très faible niveau de satisfaction des enseignants dans plusieurs domaines clés, notamment la rémunération, les perspectives de carrière et la valorisation de leur métier par la société » écrivaient les chercheur·es dans la note « Satisfaction au travail des enseignants : un manque de valorisation monétaire et sociale » . « Cette insatisfaction est particulièrement marquée chez les enseignants travaillant dans des établissements où le niveau social des parents est élevé. Au total, la satisfaction professionnelle des enseignants est nettement inférieure à celle de la population générale en France, et à celle des personnes de même niveau de diplôme. On relève aussi la plus forte satisfaction des femmes, des enseignants du primaire, du secteur privé et des REP. À noter, l’importance du temps réellement consacré à l’enseignement au cours d’une semaine de travail, et l’effet négatif sur le bien-être de toutes les autres tâches effectuées par les enseignants. Logiquement, les principales dimensions à améliorer selon les professeurs sont le pouvoir d’achat, la charge de travail et l’aménagement en fin de carrière ». Corin Blanc, chercheur du CEPREMAP ayant participé à cette enquête, répond aux questions du Café pédagogique.
Quel est le degré de satisfaction des enseignants ?
En 2022, les enseignants manifestent un niveau de satisfaction dans la vie proche de la moyenne des Français : environ 6,5 sur une échelle allant de 0 – pas du tout satisfait – à 10 – tout à fait satisfait. En revanche, nous observons un véritable écart avec les Français diplômés d’un master ou d’un doctorat. Les professeurs sont en général moins satisfaits par rapport aux Français à éducation égale.
C’est aussi sur le plan de la satisfaction au travail que nous trouvons un écart important entre les enseignants – 6/10 – et le reste de la population française – 7/10. Cette différence s’accompagne d’une satisfaction de la rémunération extrêmement faible – 3.4/10, des perspectives d’avenir peu optimistes et une valorisation ressentie du métier d’enseignant au plus bas – entre 2 et 2.5/10 selon le niveau d’enseignement.
Nous notons toutefois que l’unique aspect du bien-être où les professeurs du primaire ont un niveau moyen supérieur aux Français diplômés est le sentiment de sens ressenti dans ce qu’ils font dans leur vie.
Le manque de valorisation du métier explique-t-il le faible niveau de satisfaction ?
Il est clair que le manque de valorisation sociale et monétaire du métier d’enseignant est un facteur important de leur faible satisfaction au travail.
Notons que la valorisation ressentie et la satisfaction du niveau de rémunération prennent la forme d’une courbe en U en fonction de l’ancienneté : les nouveaux professeurs et les plus anciens sont en général plus satisfaits que ceux en milieu de carrière. Les professeurs les plus jeunes ont un niveau de satisfaction au travail équivalent aux cadres et professions intellectuelles supérieures alors que ceux ayant entre 30 et 55 ans sont significativement moins satisfaits. Les professeurs proches de la retraite et ayant profité d’une revalorisation de leur salaire en fin de carrière semblent rattraper le niveau de satisfaction des Français à diplôme égal.
Avez-vous réussi à dresser un profil « sociologique » des enseignants les plus satisfaits et les plus insatisfaits ?
Il existe assurément des différences de satisfaction entre les professeurs. D’abord, les professeurs du primaire semblent un peu plus satisfaits que leurs homologues du secondaire.
De plus grandes différences se dessinent entre les professeurs du public et du privé. Ces derniers sont généralement plus satisfaits des conditions de travail, de leur établissement et de leur travail. D’après de nouveaux travaux en cours, les meilleures relations des professeurs du privé avec leur hiérarchie et l’administration académique apparaissent comme de nouvelles explications à ces différences.
Les professeurs de chaires supérieures et agrégés sont significativement plus satisfaits du fait notamment d’une meilleure rémunération.
Deux faits marquants émergent de nos recherches : d’abord, les enseignantes sont plus satisfaites de leur travail et de leur rémunération que leurs collègues masculins. Des explications culturelles et sociologiques sont à trouver dans la littérature universitaire, mais les données du Baromètre ne nous permettent pas de tester concrètement ces résultats. Ensuite, il apparaît que les enseignants des établissements dont l’Indice de Position Sociale (IPS) est le plus élevé sont moins satisfaits de leur niveau de rémunération et de leurs perspectives de carrière.
Vous évoquez un « métier empêché ». Qu’est-ce que cela signifie ?
Notre étude révèle que les enseignants passant le plus de temps à effectivement transmettre des connaissances ou construire des apprentissages sont aussi les plus satisfaits dans leur travail. L’accumulation de tâches secondaires chronophages comme la rédaction de comptes-rendus pour les professeurs du secondaire ou la gestion des déplacements de groupe pour ceux du primaire pèse sur la satisfaction des enseignants. La gestion de la classe et du comportement des élèves est la tâche prenant le plus de temps aux professeurs en dehors du partage de connaissance et les enseignants ayant le plus de difficulté sur cet aspect sont aussi les plus malheureux.
D’autres facteurs empêchent concrètement le travail des enseignants comme le dysfonctionnement récurrent des équipements technologiques, notamment pour le secondaire. Finalement, il apparaît que les conditions de travail se dégradent : les professeurs ayant plus de 10 ans d’ancienneté évaluent à 2.75/10 en moyenne leurs conditions de travail par rapport à celles lorsqu’ils ont commencé leur carrière.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda