L’Institut des Politiques Publiques remet aujourd’hui un rapport sur la ségrégation sociale en milieu scolaire au Conseil d’Évaluation de l’École. Rédigé par trois économistes : Pauline Charousset, Marion Monnet et Youssef Souidi, il répond à une commande de l’institution. Son objectif ? « Dresser un état des lieux des articles publiés en économie sur les causes et les effets de la mixité sociale, et de son pendant la ségrégation sociale, à l’école », explique Marion Monnet aux lecteurs et lectrices du Café pédagogique. Sur les effets à court terme sur la performance scolaire de la mixité, ce rapport ne nous apprend pas grand-chose : la mixité bénéficie (bien que modérément) aux élèves les plus défavorisés et ne nuit globalement pas aux élèves les plus favorisés. La nouveauté, ce sont les effets sur les compétences non cognitives, la capacité à poursuivre des études dans le supérieur, sur le risque de décrochage et sur l’insertion professionnelle. Pour les autrices et l’auteur, la mixité serait un enjeu de cohésion sociale. Marion Monnet répond aux questions du Café pédagogique.
Dans votre rapport, vous pointez plusieurs raisons à la ségrégation en milieu scolaire : l’orientation, la politique d’affectation, l’enseignement privé…
La ségrégation sociale est directement liée à la ségrégation résidentielle, c’est-à-dire à la propension d’individus de milieux sociaux identiques à se regrouper sur une même zone géographique. Mais ce n’est pas la seule raison, en effet. Notre rapport montre que cela va au-delà de la ségrégation résidentielle. C’est la manière dont s’organise le système éducatif, et notamment le système d’affectation des élèves avec l’existence du secteur privé, qui crée un surplus de ségrégation.
Avec des effets directs et indirects ?
Les effets directs du manque de mixité font directement référence à ce qu’on appelle les effets de pairs, c’est-à-dire au fait de bénéficier d’interactions avec des camarades d’origines sociales ou de niveaux scolaires différents du nôtre. Ces interactions bénéficient aux apprentissages. Par exemple, si on a un élève en difficulté dans une classe au niveau hétérogène, il bénéficiera de ses interactions avec ses camarades d’un niveau plus élevé, en leur posant des questions, en leur redemandant d’expliquer certains points… Le manque de mixité fait qu’il y a moins d’interactions directes entre élèves de milieux sociaux ou scolaires différents.
Les effets indirects, qui sont potentiellement plus importants du point de vue de la progression des élèves, mais qui sont moins étudiés, c’est le fait que la concentration d’élèves en difficulté scolaires ou sociales au sein de certains établissements les rendent moins attractifs pour certains profils d’enseignants. On sait très bien que les établissements en REP attirent moins les enseignants les plus expérimentés. L’effet indirect c’est donc celui induit par le regroupement au sein d’un même établissement d’élèves aux niveaux scolaire et social identiques et d’enseignants moins expérimentés. C’est donc une double peine pour les élèves de ces collèges ou lycées.
Quels leviers pour favoriser la mixité ?
Il y en a plusieurs. On peut agir sur les préférences des familles, notamment des familles favorisées qui ont tendance à demander des dérogations pour ne pas être dans l’établissement de secteur ou à scolariser leurs enfants dans les établissements privés. C’est la démarche en partie utilisée par le ministère de l’Éducation nationale en donnant des indications sur la qualité des établissements – IPS, indicateurs de valeur ajoutée des établissements (IVAL et IVAC) …
Une autre piste, et surement la plus rentable en termes de mixité, serait d’intégrer le secteur privé à l’effort de mixité sociale. Le privé contribue pour un tiers à la ségrégation sociale entre établissements, on ne peut donc se passer de soumettre les établissements privés à cet effort de mixité. Cet effort peut prendre différentes formes. Aujourd’hui, le privé sous contrat est financé à près de 75% sur des fonds publics. En Haute-Garonne et à Paris, la partie des financements alloués par le département aux établissements privés sous contrat est modulée en fonction de la part d’élèves de milieux sociaux défavorisés qui sont scolarisés. Plus la part d’élèves défavorisés scolarisés dans ces établissements est élevée, plus les financements publics sont importants.
Autre idée : le découpage des secteurs d’affectation. Youssef Souidi a notamment montré qu’une modification, même mineure, de la carte scolaire pourrait diversifier le vivier de recrutement des établissements et potentiellement améliorer la mixité sociale.
Et puis dernière piste, qui est déjà sur la table, c’est de rendre plus attractive l’offre scolaire des établissements ségrégés socialement – cours de musique… . C’est une solution, mais à la seule et unique condition que cela ne conduise pas à de la ségrégation intra-établissement, c’est-à-dire au regroupement des élèves choisissant ces options, majoritairement issus de milieu favorisé, au sein des mêmes classes.
Pour quels effets d’un point de vue scolaire ?
Il y a des effets à court et long terme. C’est important de le signaler, car les résultats sont parfois un peu contre-intuitifs.
Le débat public s’est très souvent focalisé sur les effets de la mixité sur la performance scolaire à court terme. Beaucoup de familles craignent un nivellement par le bas si leur enfant se retrouve avec une proportion plus forte d’élèves défavorisés, avec des résultats scolaires généralement moins bons. Notre rapport – qui fait état d’une riche littérature sur cet aspect– montre que si les élèves avec un bon niveau scolaire ne sont pas pénalisés par la mixité au sein de la classe, les élèves les plus faibles scolairement bénéficient de celle-ci, bien que les effets soient modérés.
Notre rapport fait aussi état de nouvelles découvertes de la recherche sur ces questions : pour un bon élève, être entouré que de bons élèves peut avoir un effet contre-productif sur sa confiance en lui. Pour caricaturer, il y a toujours un dernier de la classe, il vaut donc peut-être mieux être le premier d’une classe hétérogène que le dernier d’une classe de très bon niveau.
Et sur le long terme ?
À long terme, la littérature montre que plus les élèves de milieu défavorisé évoluent dans des classes au niveau et à la composition sociale hétérogènes, plus ils ont de chances de poursuivre des études supérieures et moins il y a de risque de décrochage. Pour ces élèves, faire des études supérieures n’est pas uniquement lié à leur performance scolaire, mais aussi aux interactions sociales qu’ils ont avec des élèves de milieux favorisés qui ont une meilleure connaissance du supérieur. Côtoyer ces élèves de milieux favorisés crée le futur réseau d’amitié, le futur réseau professionnel.
La mixité sociale a aussi des effets relativement forts et bénéfiques sur les compétences non cognitives : l’altruisme, la générosité, l’estime de soi, la confiance en sa capacité à réussir scolairement si on fournit des efforts… Et ces effets sont bénéfiques pour tous les élèves, quel que soit leur milieu social d’origine. Soulignons également que ces compétences sont valorisées sur le marché du travail.
Autre effet potentiel, celui sur la délinquance – dont les effets sont mesurés principalement sur des données américaines. A partir des années 60, les cours de justice aux États-Unis ont progressivement jugé inconstitutionnelle la ségrégation raciale à l’école, ce qui a engendré une vague de politiques de déségrégation. Des politiques relativement massives qui ont permis progressivement que des élèves blancs et des élèves noirs soient dans les mêmes écoles. Cela a positivement impacté la qualité des établissements, mais cela a aussi réduit de 20 à 60% la probabilité d’être arrêté pour un acte de délinquance ou même pour un acte d’homicide notamment chez des élèves les plus à risque de les commettre initialement, c’est-à-dire les élèves afro-américains, plus fréquemment issus de milieux sociaux défavorisés. Et lorsque certains territoires ont fait le choix de revenir sur ces politiques, comme dans la ville de Charlotte au début des années 2000, les chercheurs ont mesuré un retour de la délinquance.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda
Le rapport