Les 20, 21 et 22 octobre a eu lieu l’Université d’Automne de la FSU-SNUipp. Trois jours lors desquels chercheurs, chercheuses et enseignant·es ont échangé autour de thèmes aussi variés que la polyvalence du professeur des écoles, l’EMC le numérique à l’école, l’égalité fille-garçon… Edwige Chirouter, professeure des universités spécialiste de la philosophie, en était le grand témoin. Lors de ces trois jours, la chercheuse a eu en tête une petite musique explique-t-elle, celle d’une École qui « résiste, qui prouve qu’elle résiste ».Trois jours lors desquels, elle a aussi eu en tête la parabole du chêne et du roseau : « une école, notre école, qui plie mais ne rompt pas ».
« Contrairement aux discours déclinistes, réactionnaires, péjoratifs – et parfois mêmes insultants – à l’égard du métier et de l’institution, toutes les communications entendues depuis vendredi montrent que les enseignants et enseignantes ne lâchent rien » a déclaré Edwige Chirouter lors de la conférence de clôture de l’UDA. « Malgré les conditions matérielles – salariales – détériorées, malgré le mépris social de plus en plus ressentis par les collègues, les enseignants et enseignantes œuvrent au quotidien sans relâche pour leurs élèves ».
Pour la chercheuse, les échanges entendus lors des différentes conférences et tables rondes ont souligné « une grande violence institutionnelle, une situation schizophrénique où les injonctions contradictoires sont incessantes, les changements de programmes permanents dans un contexte d’austérité budgétaire marqué évidemment par le manque de moyens donnés en termes de formation, de concertation, de temps d’appropriation ».
Une situation de tension – ambition des programmes vs manque de moyens/de temps donnés aux enseignant·es pour leur permettre de les appliquer – qui participe à creuser les inégalités sociales entre les enfants générant ainsi « une vraie souffrance psychique ». « On peut avoir le sentiment de contribuer, de collaborer même, à une situation politique profondément injuste et qui est à l’opposé des valeurs qui président aux choix même de faire notre métier… ». Une situation « perverse » – générée par des décisions politiques – qui engendre une « immense fatigue, une culpabilité diffuse, une rancœur, un sentiment de manque de prise avec le réel, donc d’utilité, voire une colère ». « Et malgré tout ; on tient, vous tenez, et tel le roseau de la fable, dans la tempête, le corps et le cœur enseignant plie mais ne rompt pas… On ne lâche rien !… Nous avons une grande responsabilité collective pour redonner de la voix, pour re-gagner la bataille culturelle du langage, du discours public sur l’école et le métier ». Il s’agit de « rappeler donc avec force à chaque fois qu’on entend le contraire : On travaille les fondamentaux – pas besoin de nous demander d’y revenir. On traite le programme. On cultive les valeurs » a-t-elle ajouté.
Les ateliers philos : des « oasis de pensée »
La chercheuse fait le lien avec les ateliers philos, sa spécialité. Elle est d’ailleurs titulaire de la chaire Unesco « Pratiques de la philosophie avec les enfants : une base éducative pour le dialogue interculturel et la transformation sociale ». « Une école sera empathique non pas parce qu’on y propose 30 minutes d’exercice d’empathie dans un environnement qui au quotidien serait stressant et injuste » tacle-t-elle en référence au propos du ministre sur les ateliers philos comme outil de lutte contre le harcèlement. « C’est bien toute l’école dans son ensemble – par une reconnaissance de tous les acteurs et actrices de cet écosystème – qui doit permettre au quotidien d’éprouver et de s’approprier le sens et les valeurs de ce qu’on y transmet. Ce qui se joue et se pratique dans les ateliers de philosophie – l’éthique de relation aux enfants, le rapport au savoir, l’exigence unie à la bienveillance, la posture de l’enseignant – doit servir de modèle pour mettre en œuvre au quotidien à l’école ». Et cela passe par cinq pédagogies argue-t-elle. « Une pédagogie de l’enquête, du problème, de l’interprétation et non de la transmission verticale, autoritaire, passive et froide des résultats. Une pédagogie du sens, de la résonnance, de l’expérience, de la sensibilité, qui sait dévoiler aux élèves comment les savoirs font écho à leurs préoccupations et leur volonté de donner sens au monde. Une pédagogie de l’intelligence collective – pour cultiver l’esprit de coopération. Lorsque les élèves sont effectivement invités à réfléchir aux grandes questions universelles, ils font ensemble l’épreuve d’une commune vulnérabilité face à la complexité de ces questions qui ne trouvent pas de réponse unique et définitive. Les enfants se rendent compte ainsi qu’ils ne vont pas pouvoir prendre en charge seuls la difficulté de ces questions qui nécessitent de fait une coopération de toutes les intelligences. Une pédagogie critique des valeurs qui instaure un rapport réflexif à la loi, aux normes et aux conflits – « Y-a-t-il des violences légitimes ? », « faut-il toujours obéir ? » – au-delà d’une obéissance aveugle aux règles et surtout aux inutiles et contre-productives injonctions morales. Il faut faire preuve de ruse comme le dirait Jean-Jacques. Enfin une pédagogie de la lenteur qui prenne le temps – loin des injonctions à l’urgence permanente – d’apprendre patiemment à grandir et penser ».
Selon Edwige Chirouter, les ateliers de philosophie, en offrant aux enfants des oasis de pensée et de décélération pour prendre le temps de rentrer de résonance avec soi, les autres et le monde, sont un des leviers pour reprendre part au processus d’émancipation. « Ils nous imposent ce temps de suspension nécessaire pour penser, ils permettent de construire patiemment du lien entre les savoirs et les idées, et obligent à prendre de la distance face à l’urgence du monde. Si l’émancipation principale aujourd’hui se situe dans une réappropriation du temps et d’une nouvelle résonance au monde, alors effectivement la philosophie avec les enfants participe pleinement de ce projet politique ».
Lilia Ben Hamouda