Hubertine Auclert écrivait dans « Le Radical » le 18 avril 1898 « L’omission du féminin dans le dictionnaire contribue plus qu’on ne le croit à l’omission du féminin dans le droit. L’émancipation par le langage ne doit pas être dédaignée ». Aurait-elle imaginé que 128 ans plus tard la question n’aurait toujours pas été réglée, que la légitimité de celle-ci serait encore discutée, jusqu’aux bancs mêmes de l’Assemblée Nationale le 12 octobre 2023 ? Convaincue que la langue peut être un vrai levier en matière de lutte contre les discriminations, et menant de nombreux projets autour de l’égalité entre les filles et les garçons, la Cité scolaire de l’Iroise à Brest s’est lancé le défi de réécrire en langue égalitaire son règlement intérieur. Myriam Lechevalier-Bekadar, professeuse d’Histoire-Géographie au collège, et Chantal Philippe, professeuse-documentaliste au lycée, reviennent, pour l’ensemble du groupe investi dans le projet, sur ce travail de rédaction à plusieurs mains.
Sur quelles convictions votre projet s’appuie-t-il ?
Quand on croit aux « forces de l’écrit », on sait bien que le monde ne changera pas vraiment sans que ne changent les mots pour le dire, et donc qu’une représentation plus inclusive par une langue plus égalitaire est un outil certes insuffisant, mais précieux pour lutter contre l’invisibilisation des femmes, et donc pour l’égalité entre les femmes et les hommes.
C’est d’ailleurs ce que ne cessent de préconiser de nombreux textes officiels depuis la « Commission de terminologie chargée d’étudier les possibilités de la féminisation des noms de métiers, titres et fonctions » mise en place en 1984 par Roudy, jusqu’au B.O de 2021, sous le ministère Blanquer « Règles de féminisation dans les actes administratifs du ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports et les pratiques d’enseignement », en passant par le guide publié sous le gouvernement Jospin « Femmes, j’écris ton nom… », ou la Circulaire du 21 novembre 2017 relative aux règles de féminisation et de rédaction des textes publiés au Journal officiel de la République française sous celui de Philippe.
Car si on retient parfois de certains de ces textes uniquement ce qu’ils proscrivent (essentiellement l’usage du point médian), on oublie qu’absolument tous prescrivent l’usage d’une langue moins sexiste par le recours à la féminisation des métiers, voire à l’usage de la double flexion ou de la forme épicène.
L’Education nationale a bien évidemment un rôle prépondérant à jouer dans ce mouvement de démasculinisation et reféminisation de la langue, et se doit, elle qui a au cœur de sa mission la lutte contre les discriminations, de montrer l’exemple. Alors qu’attendions-nous pour nous attaquer au règlement intérieur justement destiné à la totalité de la communauté éducative (y compris aux élèves et aux familles) et consultable par tous et toutes ?
Comment le groupe s’est-il constitué et comment a-t-il travaillé ?
Pour comprendre notre travail, il faut remonter un peu dans le temps. Depuis plusieurs années un certain nombre d’actions étaient menées dans l’établissement autour de l’égalité filles / garçons, mais de manière assez confidentielle, un peu chacun.e dans son coin, et en ayant du mal à se diffuser et à créer de véritables synergies.
A la rentrée 2016, a germé alors l’idée de monter le « Groupe Mixité », avec l’aide de la référente académique de l’époque, Nicole Guenneugues. Son objectif était de fédérer, mutualiser un peu tout ce qui se faisait, de donner aussi davantage de légitimité, de poids, de visibilité, de cohérence, de susciter les bonnes volontés, d’impulser une dimension plus collective…Pendant un an, en réalité cela en a pris deux, le groupe s’est donné pour objectif de rédiger une Charte « Egalité filles / garçons » pour formuler un certain nombre d’engagements collectifs de l’établissement.
Mais une fois défini.es des orientations et des enjeux, il fallait aussi accompagner la mise en œuvre de cette Charte. Pour mener à bien ces nouveaux défis, le groupe s’est peu à peu renouvelé, de nouvelles personnes se sont inscrites dans le dispositif, venant enrichir la réflexion. Se sont organisés aussi des temps de formation en direction de l’ensemble des collègues. Le groupe, par exemple, a ainsi fait venir Gaël Pasquier et Fanny Gallot pour une présentation de leur livre J’enseigne l’égalité filles-garçons.
Un des articles de la Charte proposait de « Favoriser l’utilisation d’une communication sans stéréotype de sexe ». Article compliqué à formuler et à mettre en œuvre, car sur ce sujet, malgré les directives ministérielles, demeurent pas mal d’incompréhension et d’idées reçues, donc d’hostilité, exprimée plus ou moins explicitement. Mais nous avons eu la chance que les chefs qui se sont succédé depuis la constitution du groupe, aient tous été favorables au travail que nous menions.
A la rentrée 2022, une équipe réduite, composée de trois femmes, enseignantes, et d’un homme, conseiller principal d’éducation, s’est donc attelée, avec l’appui sans faille du Proviseur de la Cité scolaire, et l’assentiment de l’ensemble du C.A, à la réécriture du règlement intérieur du Lycée pour le mettre aux normes d’une langue plus égalitaire. Nous avons commencé à travailler en étant convaincu.es qu’en 2 ou 3 heures de relecture le tout serait bouclé. Cela a été en réalité « un peu » plus long, car bien que l’établissement soit actif sur les questions d’égalité filles/ garçons, le règlement intérieur n’avait jamais été toiletté sous cet angle. Il restait donc assez « archaïque » : fonctions encore uniquement masculinisées ou féminisées, selon les unes et les autres, usage systématique du masculin invisibilisant totalement les femmes, aucun recours aux formes épicènes ou à la double flexion … Mais tout chronophage qu’il ait été, ce travail de fourmi a aussi été beaucoup plus enthousiasmant que ce que nous imaginions, se transformant en véritable jeu de traque. Et nous avons pu présenter le nouveau règlement au C.A de juin 2023 qui l’a adopté à l’unanimité.
Pouvez-vous donner quelques exemples de réécriture ?
Certaines situations sont simples à résoudre par l’utilisation de la double flexion : « Le chef d’établissement » devient « Le chef ou la cheffe d’établissement », ou d’une forme épicène « Les parents » deviennent « Les responsables ». Il faut toutefois gagner en astuce parfois pour alléger le texte d’une double flexion systématique. Par exemple « Tout élève » peut bien sûr devenir « Tout et toute élève », mais ce redoublement systématique est lourd ; donc on va alors plutôt chercher une reformulation telle que « Chaque élève ».
Mais d’autres situations sont plus complexes, en particulier lorsqu’on veut éviter d’utiliser le masculin comme un neutre universel, ou le laisser « l’emporter sur le féminin ». Dans ce cas on se trouve face à un véritable jeu de réécriture. Par exemple : « Les lycéens doivent être ponctuels pour ne pas perturber le bon déroulement du cours par correction à l’égard du professeur » va devenir « Les élèves ont une obligation de ponctualité pour ne pas perturber le bon déroulement des cours par correction à l’égard de l’équipe enseignante ». Autre exemple : « L’inscription d’un élève vaut adhésion aux dispositions du présent règlement et engagement de s’y conformer pleinement. Tout membre du personnel est habilité à faire respecter ce règlement … » va devenir « L’inscription de chaque élève vaut adhésion aux dispositions du présent règlement et engagement de s’y conformer pleinement. Toute personne appartenant au personnel est habilitée à faire respecter ce règlement … ».
Cette lecture nous a aussi permis de réaliser combien les mentalités ont évolué ; à l’article sur les discriminations il n’était fait mention ni de la question du handicap, ni de celle de l’identité de genre, que nous avons donc ajoutées au passage.
Quelques regrets et quelques conseils pour ceux et celles qui voudraient se lancer dans un tel projet ?
Des regrets bien sûr : ne pas avoir, par exemple, pu finaliser aussi le règlement intérieur du collège, ne pas avoir impliqué d’élèves, mais cela aurait demandé un temps de formation dont nous ne disposions pas, ne pas avoir présenté au moins le résultat terminé au CVL, mais là aussi le temps nous a manqué, ou imaginé d’idées d’exploitation par les P.P … Mais tout cela peut encore se construire.
Quelques suggestions méthodologiques, mais à chacun.e d’inventer ses modalités :
S’assurer des soutiens institutionnels (chef.fe d’établissement + membres du CA), avoir un argumentaire simple en tête si besoin, et s’inscrire dans une démarche plus globale afin de légitimer plus facilement le projet.
Rester dans un cadre légal, et parler d’écriture égalitaire plutôt que d’écriture inclusive, l’expression étant souvent mal comprise.
Travailler dans un 1er temps sur format papier, à plusieurs (mais en équipe réduite), en présentiel, de manière synchrone pour se mettre au fur et à mesure d’accord sur la reformulation, et sur des plages horaires réduites : au bout de 2 heures ça pique vraiment les yeux !
Varier la reformulation : éviter le recours systématique à la double flexion qui rallonge le texte, et ne règle pas tous les problèmes d’accord, ne pas toujours mettre le masculin avant le féminin, ou l’inverse. L’ordre l’alphabétique est préconisé, mais la variété est bienvenue…
Derniers conseils : se dire qu’il y aura forcément des oublis, mais que ce n’est pas bien grave, et surtout, surtout RESTER CALME FACE AUX OBSTACLES !
Propos recueillis par Claire Berest
Ecriture inclusive ; la circulaire est publiée sur le site du Café pédagogique.
Eléonore Baude : enseigner un français égalitaire, enfin sur le site du Café pédagogique.
Lien vers le guide Femmes, j’écris ton nom…