Lundi 16 octobre, l’ensemble des écoles, collèges et lycées a rendu hommage à Dominique Bernard, trois ans jour pour jour après l’assassinat de Samuel Paty. Dans les établissements du second degré, les professeurs ont eu deux heures pour se retrouver, pour réfléchir collectivement à l’organisation de la minute de silence. Dans le premier degré, c’est sur la pause méridienne que les enseignants ont dû s’organiser. Tous et toutes ont accompagné leurs élèves à respecter ce moment solennel.
Manuel, tout jeune professeur de lettres-histoire dans un lycée professionnel de Seine-Saint-Denis, appréhendait cette minute de silence. « Je craignais que l’un de mes élèves fasse le malin. Je savais que cela n’aurait pas été dans une volonté de provocation, mais juste pour épater la galerie. Mais ils ont été parfaits. Silencieux, révérencieux, à la hauteur de ce moment de recueillement », nous raconte-t-il. « J’ai honte de les avoir sous-estimés. Ça montre que malgré tout, malgré mon militantisme, mon implication, je suis plein de préjugés ». L’enseignant était présent dans son lycée dès huit heures lundi alors qu’il commençait plus tard. « J’avais besoin de voir mes collègues, j’avais besoin que collectivement on discute de la façon dont on devait évoquer les choses ». Dans ce lycée, l’équipe a choisi de lire le texte d’Albert Camus, Lettre à monsieur Germain du 19 novembre 1957. Un texte puisé dans les ressources mises à disposition pour parler de l’attentat sur le site Eduscol.
À plusieurs centaines de kilomètre de là, dans un lycée de Saint-Brieuc, la journée a commencé par la prise de parole du proviseur. Un IPR d’histoire-géographie était aussi présent. « On nous a demandé d’avoir une oreille attentive aux élèves sensibles et inquiets », nous raconte Pierre, professeur de mathématiques. « Beaucoup de collègues se posaient des questions sur comment répondre aux interrogations des lycéens. Et puis sommes-nous aptes ? ». L’équipe a aussi longuement échangé quant à la sécurisation du lycée. « Mais comment ? Nous avons des entrées un peu partout et près d’un kilomètre de périmètre ». La baisse des moyens a aussi été au centre des discussions. « Comment faire fonctionner l’école avec toujours moins ? ».
Du temps pour penser les mots
Dans ce collège d’Île-de-France, ils n’étaient pas nombreux en salle des professeurs à 8 heures. Pour autant, c’est collectivement qu’ils ont décidé de la façon d’aborder l’attentat de vendredi et la minute de silence. « On a écrit collectivement un texte à lire aux élèves lors de leur première heure de cours », nous raconte Elsa, professeure. « On voulait avoir une parole commune. Mais chacun était libre d’adapter ». Dans cet autre collège, à Grenoble cette fois, la démarche était sensiblement la même. « On ressentait le besoin de se retrouver, de partager, de se recueillir entre personnels avant de retrouver les enfants, les élèves » nous raconte Guillaume, professeur de FLE. « Il y avait cette nécessité de penser les mots justes que nous souhaitions communiquer aux élèves. Rendre hommage à Samuel Paty et à Dominique Bernard en expliquant avec simplicité la gravité des faits. Des hommes ont été attaqués, des personnels ont été attaqués, l’école a été attaquée… Mais nous voulions aussi, au travers de nos mots, rappeler aux enfants que l’école est là et sera toujours là pour les protéger, pour les aider à grandir ensemble, pour les aider à être libres… Être libre dans le recueillement également, en permettant à chacun d’y associer les victimes d’autres conflits, d’autres souffrances au travers du monde ».
À l’école primaire, les enseignants et enseignantes ont dû accueillir leurs élèves dès 8 heures. Certains encore déboussolés ont eu besoin de se retrouver avant comme dans cette école rep+ de l’Eure. « On s’est réuni une heure avant la classe, pour se retrouver, discuter, se préparer ensemble avant de recevoir les élèves », nous raconte Nathalie, directrice. « Notre école est classée Rep+ et accueille des enfants d’origines diverses. On voulait réfléchir ensemble à la façon de réagir si un gamin est réfractaire à l’hommage ». À l’ouverture des portes, chaque enseignant s’est retrouvé seul face aux questions de ses élèves. Mais l’après-midi, à 13h30, après un temps de préparation à la minute de silence dans chaque classe du CP au CM2, dans le calme, toutes les classes se sont retrouvées dans le hall de l’école. Nathalie a dit quelques mots pour marquer la solennité de l’instant. Puis, une longue minute s’est écoulée, les enseignants rendant un dernier hommage à leur collègue Dominique Bernard.
Lilia Ben Hamouda