Un jeudi sur deux, Daniel Gostain, enseignant spécialisé, membre de la FNAREN, et Jacques Marpeau, docteur en sciences de l’éducation, nous proposent de décortiquer certaines notions pour en faire un sujet de réflexion, pour ouvrir le débat, afin de mettre en relief les enjeux qui découlent de leur utilisation.
L’accompagnement définit avant tout un rapport de place : « à côté de ». Celui qui accompagne ne précède ni ne suit. Il ne se situe ni au-dessus, ni au-dessous, mais avec.
L’accompagnement se démarque de l’asymétrie de la relation maître/élève, enseignant/enseigné. Accompagner un élève nécessite de se dérouter de son propre chemin et d’entrer dans le cheminement de cet élève-là, afin d’avancer à son rythme, à partir de là où il en est de sa progression. Le compagnon du latin com, avec, et panis, pain, est celui qui partage avec l’autre ce qui nourrit sa vie. Il y a partage et reconnaissance de ce qui anime l’existence de l’enfant tout en étayant ses fragilités, dans une mise en travail de transformation de ses différents « rapports à » : à lui- même, à autrui, à l’erreur, au savoir, à l’autorité…
Par le partage de ce qui est ressenti, de ce qui est vécu, l’accompagnement instaure une relation de sujet à sujet, dans un agir ensemble et partagé. C’est cet agir commun qui est porteur de sens en actes. Les mots ne précèdent pas l’agir, ils sont une autre voie venant confirmer l’expérience d’une confrontation partagée à une même réalité.
L’accompagnement n’est pas une relation de « copinage ». Il ne gomme pas les différences. Il est un mode d’échange entre des personnes, aux identités radicalement singulières. Cette expérience permet à l’élève accompagné d’accéder à la conscience de sa place et de son identité particulière dans et par les modes de relations vécues.
C’est le partage d’une situation objectivement commune, et cependant différemment investie, qui permet à l’élève d’échapper à l’enfermement de son mode habituel de perception et de compréhension. En même temps qu’il vit son propre mode d’investissement face à une difficulté, il voit vivre cette même situation, sur un mode différent.
Accompagner un élève en difficulté c’est être à ses côté dans le cheminement particulier qui est le sien. C’est être présent en le suivant dans ses doutes, ses tentatives de transformation, ses erreurs, ses surprises et ses réussites inattendues. Il y a partage du chemin de l’autre et cheminement commun. Or, cheminer ce n’est pas suivre un chemin déjà tracé. C’est construire un chemin ensemble en avançant.
Accompagner, c’est agir avec et agir ensemble
Agir, dans le champ de l’enseignement, c’est faire en sorte qu’un élève devienne capable de se construire et d’apprendre par lui-même. C’est être attentif à ce qu’il s’anime en organisant sa propre énergie, au regard de ce à quoi il attribue une priorité de valeur et de sens. C’est penser ce qui permet à un élève d’élaborer sa propre pensée. Ce n’est pas obtenir un changement de comportement, mais porter attention à la dynamique d’existence et aux processus sous-jacents aux comportements, afin de favoriser une expression créatrice de connaissances nouvelles.
L’agir ne dissocie ni n’oppose la pensée et l’action. Il est le moyen d’une élaboration tant individuelle que collective, alliant perceptions et réflexion. L’affectivité et la connaissance sont des composants de l’humain qui s’interpénètrent et se fécondent.
La pensée pédagogique se nourrit de la participation à l’action en cours, mais aussi des interactions avec le contexte, les attitudes, les paroles échangées, les évocations, l’ambiance, les tensions et les rapports de place. C’est une compréhension de l’humain en train de « s’autoriser », c’est à dire en train de se constituer comme auteur de son jugement et de ses actes.
Les enjeux d’une véritable pédagogie de l’accompagnement
Dans un accompagnement authentique, la pédagogie comme la matière enseignée deviennent le terreau de la mise au travail « à bas bruits » des fondements de la citoyenneté. La liberté passe par la prise de pouvoir sur soi-même, dont l’enjeu est l’accès à la confiance en soi et à l’estime de soi.
L’égalité nécessite l’expérience vécue de l’élaboration collective de l’appropriation des savoirs. Cela passe par le rapport à la règle, à la loi et à l’autorité garantissant les droits de chacun et de tous, mais aussi l’expérience de la fonction des interdits.
La fraternité passe par le vécu du rapport à l’Autre et aux autres. Cela nécessite le vécu de ce qu’est l’altérité et de l’altération de soi qui en découle et qui contraint au dépassement de la frustration dans un organisation de la volonté et de l’effort. Cela suppose de sortir de la compétition individuelle dans le partage et l’échange de la création collective et solidaire.
Ce ne sont pas là des « en-plus » des apprentissages mais des « sous-jacents » aux apprentissages, condition de leur inscription dans les visées humanistes et émancipatrices revendiquées par l’institution « l’Éducation Nationale ». Cela nécessite du temps pour l’enseignant et le respect de sa liberté et de sa créativité pédagogique.
À quelle condition et à quel moment un accompagnement doit-il cesser ?
C’est le terme « cesser » qui pose le plus de questions. Cesser, c’est souvent faire un glissement, c’est-à-dire changer de mode d’accompagnement. Nous connaissons très bien ça dans les structures de l’éducation spécialisée, où à un certain moment, on va faire des séjours de rupture. Ce terme de rupture fait un choc, car l’environnement va changer, mais il va y avoir une continuité de l’accompagnement dans la notion de suivi et ça va être fait par d’autres et autrement.
La finalité-même de toute action éducative est de passer de l’autorité de celui qui accompagne à l’autorité de la personne accompagnée, quand elle a pris pouvoir sur elle-même. En revanche, il y a bien une continuité du travail, parce que l’enfant est rendu disponible à d’autres rencontres et à d’autres aventures.
« Les visées humanistes et émancipatrices revendiquées par l’Éducation nationale » : réalité ou leurre ?
Le drame c’est que, plus ça va, plus c’est une illusion volontairement manipulée par le pouvoir.
En revanche, une véritable connaissance est bien émancipatrice, puisqu’on n’est plus le jouet des illusions et des opinions. Donc, faire un vrai travail éducatif avec la construction d’une connaissance, c’est bien effectivement se libérer de quelque chose, mais il faut que ce travail soit réellement produit avec un travail de construction des savoirs libérateur et non pas d’ingurgitation et ce n’est possible que si, dans le travail pédagogique, il y a l’accès à la construction de la pensée critique. C’est possible dans toutes les matières. Il suffit de laisser un peu de temps au débat pour que les idées contradictoires se mettent en scène et qu’on demande à chacun de fonder ses positions.
Un propos de Jacques Marpeau recueilli par Daniel Gostain