« Des choses évidentes pour nous professeurs ne le sont pas pour les élèves ». Apprenti professeur, Corentin Roux est en master 2 MEEF (métiers de l’enseignement). Il vient de publier un mémoire de master MEEF particulièrement intéressant par son sujet (la colonisation, question « chaude ») et sa réflexion didactique (comment utiliser un document en histoire). Corentin Roux sait allier une vraie recherche d’historien à une vraie réflexion sur ce qui se passe (ou pas) en classe. Belle entrée dans le métier !
Porter le regard sur une question vive
La colonisation est au programme de 4ème. Ce n’est pas une classe facile pour les enseignants pour des raisons bien connues. Et le sujet n’est pas facile non plus. En ce début du 21ème siècle, le fait colonial reste une question socialement vive qui fait écho à des débats actifs dans la société. Corentin Roux n’a pas reculé devant la difficulté. « Le sujet m’intéresse sur le plan historique. L’approche de l’historien Daniel Foliard (Combattre, punir, photographier) m’a plu. Et la question coloniale est au concours« , nous confie C Roux. Enfin il y a un défi citoyen que C Roux ne veut pas escamoter. « Le regard colonial porté sur la population existe encore en France et c’est intéressant de le questionner d’un point de vue historique. L’histoire a un rôle social. Etudier le regard colonial d’hier c’est, dans une société post-coloniale comme la France, questionner notre regard et le regard des élèves sur une partie de la population. »
Un travail d’historien
Pour son travail en classe, il fait sortir de l’oubli un recueil de photos méconnu. Plus de 60 photos prises au Sénégal, principalement par le photographe B Bonnevide, réunies dans un recueil par une figure importante de la colonie, Emile Delor, qui l’a confié à la Société de géographie de Paris en 1885. Des photographies prises par un colonial qui jette son regard sur la colonisation et les colonisés, parfois astreints à transporter son imposant matériel.
Une réflexion didactique
« On s’intéresse généralement à ce que représente la photographie, rarement à la manière dont la photographie a été faite et à ses implications matérielles et humaines« , explique Corentin Roux. « Je voulais monter la matérialité derrière l’image. On fait un pas de coté et on envisage la photo comme un objet matériel construit« .
Sur le plan didactique, C Roux veut dépasser l’usage seulement illustratif de la photo. « Souvent en cours la photographie est illustrative », nous dit-il. « Elle est rarement vue comme un vrai document dans lequel on peut retrouver des indices. On peut l’utiliser pour porter un discours historique et pas seulement l’illustrer« .
Cela implique une éducation critique à l’image. « C’est compliqué » estime C Roux, qui a mené sa séquence en classe de 4ème. « Les élèves baignent dans les images. Il a fallu mettre en place une méthodologie d’analyse pour que les élèves fassent de l’histoire. Je me suis inspiré des travaux de Laurent Gervereau (Voir, comprendre, analyser les images, La Découverte). Cela m’a pris du temps mais cela a bien marché avec les élèves« .
Par exemple, Corentin Roux a mis en parallèle une photo de la gare de Kayes avec un texte sur le travail forcé dans les chemins de fer coloniaux. Du coup la photo se charge de significations. Les élèves travaillent en groupe en s’appuyant sur une fiche de travail qui lie texte et photo. Leur travail est ensuite repris en classe entière pour arriver à la trace commune.
Un métier difficile
« J’ai constaté que des choses évidentes pour nous professeurs ne le sont pas pour les élèves« , nous confie Corentin Roux. « Et il est compliqué d’anticiper sur ce qu’ils peuvent penser. Mais ce qu’ils voient sur les photos est aussi intéressant ». Une première constatation qui en amène une seconde. « Quand on peut prendre le temps avec les élèves on arrive à des choses vraiment intéressantes avec eux. Mais comment avoir du temps avec des programmes aussi denses ? Les élèves actuels ne sont pas moins bons qu’avant. Ce sont les professeurs qui sont à court de temps avec eux« . Une dialectique que Corentin Roux va pouvoir alimenter dans son nouveau métier.
Propos recueillis par François Jarraud