“Cette classe a vraiment bon esprit”, “Il y a une bonne ambiance entre eux”, “C’est une classe travailleuse”. A chaque rentrée scolaire, c’est un peu la loterie et on espère toutes et tous tomber sur cette classe idéale, qu’on croise parfois dans une carrière : un ensemble d’élèves volontaires, travailleurs et solidaires. Quand on cesse d’espérer pour essayer d’agir sur le collectif classe, on est souvent tenté d’organiser une sortie en début d’année. Pour que les élèves se connaissent mieux et apprennent à travailler ensemble, on propose alors la traditionnelle “sortie d’intégration”.
Intégration ou cohésion ?
Intégrer c’est “insérer quelque chose dans quelque chose, le faire entrer dans un ensemble” or précisément la classe ne préexiste pas aux élèves qui la composent. Tout au plus, l’ensemble dans lequel on souhaite faire entrer les élèves correspond à un idéal qu’on se représente mais qu’on a parfois du mal à expliciter. En voulant se détacher de cette condition du préalable, on tombe alors sur le mot cohésion, “propriété d’un ensemble dont toutes les parties sont solidaires ; solidarité”. Dès lors, avec les collègues des classes coopératives du lycée Jacques Feyder situé à Epinay-sur-Seine, nous avons opté pour une autre perspective : “la sortie de cohésion”.
Se rendre sur place : un début de cohésion
Avant même le lancement du jeu, les élèves sont invités à se rendre au parc du Luxembourg à Paris. La veille, ils sont répartis en groupe et reçoivent un ticket de transport individuel. Les élèves ont alors le choix. Soit ils décident de faire le trajet avec leur groupe et ils gagnent des points s’ ils arrivent ensemble et à l’heure; à l’inverse ils en perdent s’ ils ne remplissent pas ces deux conditions. Soit ils décident de faire le trajet depuis le lycée accompagnés par un professeur et ils ont alors la garantie de ne pas perdre des points, mais n’en gagnent pas non plus. Depuis 6 ans de pratique, nous avons rarement vu cette dernière option se concrétiser. Par contre, les deux dernières années, on ne voit plus arriver successivement les groupes mais la classe entière dans le parc à l’heure précise. Pourtant ils ne se connaissent que depuis une semaine de cours. Sans doute que l’appréhension de se rendre à Paris les amènent à s’organiser collectivement en amont, avec par exemple un groupe de discussion sur les réseaux, et ainsi ils commencent à fédérer le groupe classe.
Une chasse au trésor : un prétexte aux habiletés coopératives
La sortie s’apparente à un jeu de piste que les élèves suivent, en groupe de 4 avec un enseignant, en passant d’un indice à un autre pour trouver des lieux dans un quartier parisien. Un fragment d’indice révèle par exemple l’information suivante : “[…] quand vous verrez le poème bleu sur la façade en face de vous, tourner vers l’Est [..]”. Après une lecture hâtive, les élèves échangent : “Ok allez c’est par là !”, “Attends tu es sûr ? “, “Non, les gars le soleil se couche à l’Est donc c’est par là”. Ainsi, pour avancer dans le parcours, les groupes d’élèves doivent échanger des avis et recouper des informations pour s’orienter avant de décider ensemble du chemin à suivre.
L’utilisation du téléphone portable est interdite, l’enseignant qui accompagne le groupe y veille. Les élèves doivent donc communiquer avec d’autres personnes croisées dans les rues (commerçantes, postières, passantes, etc). Très vite, ils comprennent qu’il ne suffit pas de communiquer pour avoir accès à des informations fiables, nombreux sont les passants qui indiquent une direction à l’opposé de l’endroit recherché. Il faut donc croiser les informations avant de décider. Parfois, il faut même croiser les langages avec des touristes, ou avec la responsable de la librairie anglaise qui détient un des indices.
Les indices ne dévoilent pas si facilement leurs sens, il faut les manipuler : puzzle à reconstituer, codes à décrypter, références culturelles à retrouver, etc. Pour avancer, les élèves doivent donc interagir et mutualiser. Ils oscillent entre la coopération pour optimiser le choix des stratégies, et la collaboration pour réaliser les manipulations.
Les élèves trouvent le trésor mais le travail est-il fini ?
Le jeu est conçu pour que tous les groupes parviennent, plus ou moins rapidement, à trouver le trésor. Mais la sortie n’est pas pour autant terminée au moment de la découverte. Nous prenons ensuite un moment, soit assis dans l’herbe quand on a le temps soit bien plus souvent en classe lors de la même semaine, pour partager ce que les élèves ont fait et ressenti mais aussi pour analyser ensemble les stratégies à l’œuvre. On parvient alors à dégager les avantages du collectif comme la répartition des tâches, l’accès à davantage d’idées ou d’informations, la démultiplication des ressources, etc. On voit aussi apparaître les risques et les vigilances comme la spécialisation de certains élèves, la prise de leadership, la lenteur des prises de décision, l’écoute de plusieurs avis, etc. Par exemple, un constat partagé dans tous les groupes s’observe lors de la découverte des indices. Après une lecture rapide par un élève, tout le groupe fonce dans une direction sur une intuition ou déploie un foisonnement d’idées sans bien lire les détails du message. Revenir sur ces constats avec les élèves, en les aidant à les transposer au contexte scolaire, permet de dégager des pistes de travail que nous réinvestissons ensuite pendant nos séances de cours. Il s’agit par exemple de l’importance d’apprendre à surseoir à une intuition personnelle, d’apprendre à douter des certitudes, de prendre le temps de lire les consignes et les comprendre, etc. Toutes ces pratiques, qui mobilisent la coopération dans le contexte d’une séquence de cours, sont détaillées dans l’ouvrage Faire collectif pour apprendre.
A l’image de Rome, le collectif classe ne se construit pas en un jour. Il serait donc simpliste de prétendre que cette sortie de cohésion fait tout, mais elle fait sans doute quelque chose. Elle permet au moins de faire éprouver les avantages et les inconvénients d’un collectif de travail. Une expérience qui s’avère féconde à condition de faire un pas de côté sur ce qui s’est passé durant cette sortie avec les élèves, de transposer ces retours au contexte scolaire et de déployer des pratiques de classe susceptibles de réactiver ce que la sortie a permis d’apprendre. L’analyse de cette sortie oublie parfois de s’intéresser au ressenti et à ce qui marque l’esprit des élèves. Pourtant, sans pouvoir renseigner précisément les causes et les conséquences, on constate simplement qu’en fin d’année les élèves nous parlent systématiquement de cette sortie de septembre et parfois certains, trouvent de jolis mots pour l’évoquer “là où on a appris à créer une amitié de travail”.
Reynaud Laurent
Feydercoop : blog des classes coopératives du lycée Jacques Feyder