La France, celle des paysages paradisiaques, celle située à plusieurs milliers de kilomètres de l’hexagone, a de quoi rougir de l’accueil qu’elle réserve à ses élèves au sein de l’école de la République. Locaux insalubres et insuffisants, chaleur, rats, termites, manque d’eau… sont le quotidien des quelques 565 000 élèves d’outre-mer. La FSU-SNUipp alerte sur la situation depuis plusieurs mois. Les responsables syndicaux de chacun des DROM – départements et région d’Outre-mer – sont venus présenter la situation de leur territoire. Une situation indigne de la France.
Là où les chiffres du chômage et de la précarité sont au plus haut, l’obligation scolaire n’est pas toujours respectée, la défenseure des droits s’était d’ailleurs indignée du nombre d’élèves non scolarisés dans ces territoires. Et lorsque les élèves vont à l’école, les conditions d’apprentissages sont détériorées par les conditions sanitaires. « Le taux d’échec scolaire est plus marqué dans les DROM que dans l’Hexagone » rappelle Guislaine David, porte-parole du syndicat. « Les taux de difficultés de lecture au test lecture de la journée défense et citoyenneté en 2022 sont très importants : 51,8% en Guyane, 55,7% à Mayotte alors que la moyenne nationale est de 11,2% ». « A plusieurs reprises, nous avons sollicité le ministère de l’éducation nationale et le ministère des outre-mer sans effet, chacun renvoyant la responsabilité vers l’autre, le ministère des outre-mer ignorant même nos demandes » déplore-t-elle.
Un tour du monde pas vraiment paradisiaque
À Mayotte, le manque de salles de classe empêche l’accueil de tous les élèves explique Zaidou Ousseini, secrétaire départemental. « Et lorsqu’ils sont accueillis, ils le sont dans des classes surchargées et avec bien souvent du personnel mal formé, voire pas formé du tout ». Malgré l’annonce du dédoublement généralisé, peu de classes de Grande section sont dédoublées déclare-t-il. « Et les CP et CE1 ont des effectifs qui explosent. Le manque de locaux oblige aussi à faire cohabiter deux classes dans un même local ». Afin de limiter le phénomène de déscolarisation, des classes itinérantes ont été initiées par le rectorat. « Un pansement sur une hémorragie » selon le responsable syndical. Les élèves n’ayant que quelques heures de cours, à la volée. La non-scolarisation des enfants doit faire l’objet d’une mobilisation générale, s’indigne-t-il. « Il faut cela soit, certes une priorité des autorités locales mais aussi celle de l’État ». Quant au bâti scolaire, la FSU-SNUipp estime qu’il manque près de mille salles de classe pour accueillir dignement les élèves – l’ile compte 61 000 élèves pour 221 établissements premier et second degré confondus.
En Guyane, l’état des écoles est indigne de la République, mais cela semble normal pour certains raconte Sulay Jair, secrétaire départementale. Toilettes insalubres, chauves-souris, rats, souris et termites sont le quotidien des élèves guyanais. « Tout est en mauvaise état, rien ne va » déclare-t-elle. « Le mobilier est inadapté, les cours d’école dangereuses pour les enfants ». Quand il y a de l’eau – et lorsqu’elle n’est pas contaminée par du mercure ou des bactéries, c’est l’électricité qui manque. Et quand, il y a de l’électricité, c’est pour la sécurité des enfants que les enseignants s’inquiètent. « Les normes ne sont pas respectées, des fils pendent. Une collègue a même été électrisée ». « Le Covid a mis en exergue les manquements de l’état mais rien n’est fait. On rationne même les élèves en savon et papier toilette ».
A la Réunion, même son de cloche. Bachir Ben Hamouda, responsable syndical local, raconte les écoles aux tailles démesurées – souvent plus grandes qu’un collège – et dont toute l’organisation dépend du directeur et de la directrice. Ni vie scolaire ni secrétariat n’accompagnent les équipes éducatives qui reçoivent jusqu’à 616 élèves. Malgré l’envergure des bâtiments, les salles de classe explosent sous les effectifs. Même les dédoublements ne sont pas appliqués dans nombre d’école. « Il n’y a ni programme de rénovation ni de construction » déplore-t-il. « En attendant, on empile les Algeco, au détriment d’espaces de jeux ».
Bâtiments mal conçues et manque de sécurité sont aussi le quotidien des élèves martiniquais. Alors que l’ile est classée en zone à hauts risques sismiques, 25% des établissements ne sont pas construits pour y faire face. Chaleur et humidité empêchent les enfants d’apprendre dans de bonnes conditions, certains enseignants déménagent même leur salle de classe au cours de la journée pour éviter la surexposition au soleil. Et pour rien arranger, l’échouage, depuis 2018, de sargasses – algues nocives – sur les plages de l’ile. « On doit parfois fermer les écoles car les gaz émis par la putréfaction de cette algues sont nocifs voire dangereux » confie Jennifer Louis-Joseph, représentante de la section départementale de la FSU-SNUipp sur place. Sans oublier le scandale du chlordécone dont les conséquences « sanitaires et pathologiques sont désastreuses » et qui entraine des conséquences sur les capacités cognitives des enfants.
Toutes les académies des DROM doivent être classées REP défend le syndicat, les profils socio-économiques des élèves accueillis le justifient largement. « Les résultats des évaluations montrent qu’il est urgent que gouvernement prenne le problème à bras le corps. Et ce n’est pas une visite de courtoisie à la rentrée dont on a besoin. On veut des actes » s’agace Béchir Ben Hamouda. « Les gouvernements successifs manquent d’ambition pour ces territoires » ajoute Guislaine David. « Il y a un sous-investissement de l’école en France, de façon générale, et particulièrement pour les DROM ». La FSU-SNUipp demande aussi que le matériel scolaire soit pris en charge par les collectivités pour des raisons d’équités. « Des écoles sont vandalisées, et le butin, ce sont des fournitures scolaires » raconte Sulay Jair. « En moyenne, 10 enfants sur 25 n’ont pas ce qu’il faut pour travailler en classe. La vie et l’école sont injustes pour une partie des enfants des DROM ». « Nous sommes français, nous ne demandons pas l’aumône, nous n’avons pas besoin de condescendance » s’énerve Tony Pioche, responsable syndical de Guadeloupe. « On ne vous expose pas nos caprices, on met sous vos yeux la réalité. Il est temps que cela change »
Cette situation, c’est celle de l’école française dans les DROM. Et à entendre ces témoignages, on est en droit d’en douter… Mais qu’à cela ne tienne, Emmanuel Macron l’avait annoncé à Orthez, pour rénover votre établissement, il n’y a qu’à monter un projet dans le cadre du CNR. On ne voit pas bien le lien avec l’innovation pédagogique… Quoiqu’enseigner dans une école salubre serait une innovation dans les DROM.
Lilia Ben Hamouda