C’est la deuxième rentrée en toute petite section pour Sophie Le Buzzelier, une classe « coup de cœur » qui amène progressivement le jeune enfant dans le monde de l’école. Pour cette enseignante de Seine Saint Denis, la liberté d’organisation des enseignements change le rapport au temps et peut construire les bases d’un plaisir d’apprendre ensemble.
Quelques jours avant la rentrée des classes, Sophie Le Buzzelier s’est provisoirement convertie en décoratrice d’intérieur. « Les classes toutes blanches, avec des murs vierges, je trouve cela inquiétant pour des tout petits. Alors j’ai cherché à donner une ambiance chaleureuse proche de celle d’une chambre d’enfant ». Sophie a ainsi demandé pendant l’été un rafraîchissement coloré des murs sur lesquels elle a depuis accroché quelques productions plastiques. « L’idée est bien sûr que les enfants se l’approprient au fur et à mesure par leurs propres productions, mais je voulais éviter un sentiment de vide pour les accueillir. »
Il faut dire que les enfants que Sophie accueille font leur toute première rentrée. Ils et elles ont entre deux et trois ans selon leur mois de naissance et arrivent en section de tout-petits à l’école Guy Môquet de Stains (93). Pour éviter une légitime anxiété liée à la peur de ce lieu étranger et pour accompagner la séparation, souvent une des premières autre que la famille, la rentrée se fait très progressive. Les enfants et leurs parents sont accueillis par phase, cinq par cinq, pour une durée de 1h30 qui augmente petit à petit vers 3h. De même les semaines sont d’abord de deux jours avant de passer à quatre jours hebdomadaires. A la carte, échelonnée selon l’adaptation des enfants à ce nouvel environnement, selon la confiance gagnée des parents. « Au début, tout le monde observe, les parents, les enfants… Donner à voir le déroulement de la matinée, les jeux, cela rassure. Puis parfois ce sont les enfants qui mettent leurs parents dehors ! » raconte l’enseignante. « Lorsque cela se passe bien, l’autonomie peut se mettre en place. »
Dans l’année, parmi les vingt élèves inscrits, huit auront la possibilité de faire des journées complètes et d’aller à la cantine. « C’est aussi un enjeu. Certains sont encore au biberon quand ils arrivent. Manger à table, sans bavoir, avec des couverts, en collectif, c’est aussi un apprentissage. »
A contre temps d’une course précoce
Lorsque Sophie a accepté de prendre ce poste particulier de TPS, après environ cinq ans en petite section sur cette école maternelle, elle avait posé des conditions au préalable : prendre soin des enfants, de leurs rythmes, de leur âge, de leurs besoins… « C’était impossible de ne pas être en accord avec mes valeurs d’ancienne travailleuse sociale, d’enseignante et de maman aussi. Il fallait que ces tout jeunes enfants soient en sécurité affective pour qu’ils puissent avancer et apprendre. »
Si elle ne comprend pas trop le profilage du poste qui l’exclut symboliquement de l’équipe et précarise sa place dans l’école, elle apprécie une formation adaptée. Alors qu’en maternelle les animations pédagogiques sont souvent ciblées GS, de plus en plus en lien avec la pression des évaluations CP, faisant passer la PS « à la trappe », elle a pu bénéficier d’un accompagnement spécifique très appréciable.
Et l’enseignante a bien conscience de la singularité de ce dispositif qui n’est ni la crèche ni l’école sur le mode scolaire qu’on lui connaît. Elle sait aussi que cette progressivité d’accueil nécessite une disponibilité des familles. Certains enfants sont orientés par la PMI, alertée par des situations de grande précarité ou des interrogations sur le développement de l’enfant. Pour Sophie, c’est d’autant plus important de les rencontrer en amont, d’expliquer, de rassurer, de construire ce lien. Pas évident de confier son si jeune enfant… Parfois elle retrouve son rôle d’éducatrice, fonction qu’elle a occupée avant de se lancer dans l’enseignement : elle échange avec les parents sur des problématiques éducatives telles que le sommeil, la gestion des conflits ou l’usage des écrans. Enthousiaste, Sophie a même mis en place un coin « ne jetons pas, partageons » où les parents sont invités à libérer leurs placards de leurs anciens jeux et à les mettre à disposition des autres familles. Une responsabilisation partagée et solidaire qui renforce une communauté d’école.
« Le droit de jouer, de rire, de découvrir, de créer ensemble »
Côté pédagogie, il y a des similitudes avec les activités que l’enseignante mettait en place en PS ; les modalités, le matériel sont souvent similaires mais le rapport au temps est encore plus différent. « Au début je craignais une forme de précipitation dans l’entrée dans l’école, mais comme il n’y a pas de programme pour ce niveau, le temps est élastique et permet d’aborder très tranquillement de premiers apprentissages scolaires ». Pour cela, Sophie diversifie les jeux symboliques qu’elle laisse à disposition des enfants : cuisine, garage, poupées, ferme… Parfois elle accompagne un groupe de deux ou trois élèves seulement. La maîtresse réalise les activités avec les enfants et commente ce qu’elle fait plutôt que de questionner directement un enfant timoré. Elle verbalise par exemple les stratégies pour réussir les encastrements. Cette « attention conjointe », comme dirait Mireille Brigaudiot, permet de faire entrer paisiblement en communication. Elle exagère son enthousiasme et les premières réussites scolaires prennent la forme d’exploits : « il y a beaucoup de théâtralisation en maternelle, cela permet une attention, un engagement. »
Elle fréquente énormément la salle de motricité, lieu où beaucoup de liens entre enfants se créent. Grâce à l’aide de l’atsem dont « le rôle est précieux », la professeure des écoles privilégie la spontanéité, le jeu libre tout en induisant discrètement des propositions, des déplacements, des gestes… Evidemment, le langage et les albums choisis avec soin ont une place privilégiée. Non seulement à cet âge les contrastes langagiers entre enfants sont importants mais beaucoup ont une autre langue à la maison, ce qui accentue l’intérêt de cette première année préalable à la scolarité obligatoire. « On tient compte de leur langue d’origine, tout en leur permettant d’entendre et de parler français. Finalement le français est leur langue commune et ils sont en demande de discuter entre eux. ». De même les comptines et les chansons sont régulières dans la journée. En maths, la maîtresse installe patiemment la quantité un avant d’introduire le deux, elle travaille le « beaucoup » et le « rien » parce que le « peu » reste trop relatif. Elle propose également nombre de moments en arts plastiques : pâte à modeler, découpages, collage, peinture. « Je donne pas mal de place à la patouille, au plaisir de toucher, de sentir, de s’exprimer… Apprendre à se salir d’une crasse propre, qui offre le droit de jouer, de rire, de découvrir, de créer ensemble… »
En cours d’année, les tout petits vont monter l’escalier – une épreuve motrice en soi – pour aller rencontrer les camarades de PS et leurs futures enseignantes afin de tisser les premiers liens avec elles. Les récréations se feront communes petit à petit… A cette rentrée, Sophie a une impatience supplémentaire : « Je savais que j’allais apercevoir mes élèves de l’an dernier, il me tardait de vérifier si cette année passée en TPS les avait aidés à grandir et à mieux appréhender la petite section. » Hypothèse confirmée après les premiers jours de rentrée où « ses » petites sections ont fait une rentrée sereine. « C’est un peu comme si j’avais préparé un terrain de construction. Je travaille le sable pour qu’il devienne une base plus stable pour bâtir la suite. »
Cerise Lenoir