Dans son rapport consacré aux inégalités scolaires – « La force du destin : poids des héritages et parcours scolaires » publié mercredi 6 septembre, France Stratégie, institut rattaché à Matignon dépeint une École plus qu’inégalitaire. Alors que l’on attend de cette dernière qu’elle résorbe les inégalités, les autrices montrent que c’est l’inverse qui s’y passe. Un rapport qui vient valider les différentes recherches et publications internationales sur la question des inégalites. « C’est l’origine sociale qui, dans notre pays, pèse le plus sur les trajectoires des élèves. Même avec de bons résultats en début de scolarité, les enfants de famille modeste ont des parcours en moyenne plus heurtés, aux débouchés nettement moins favorables. Sept ans après l’entrée en sixième, près des deux tiers des élèves d’origine favorisée gagnent l’enseignement supérieur, contre un quart des élèves d’origine modeste » écrivent Johanna Barasz, Peggy Furc et Bénédicte Galtier.
« Dès la petite enfance, on observe une empreinte massive de ces caractéristiques « héritées » sur les acquis et les performances, empreinte que n’effacent ni l’accueil des jeunes enfants ni le passage par l’école primaire. Au collège se produisent les premières bifurcations de trajectoires. Puis les orientations en fin de troisième amplifient des divergences fortement corrélées aux origines et au sexe : près de 80 % des élèves d’origine favorisée, 61 % des filles, 55 % des enfants de natifs entrent en seconde générale et technologique, contre 35 % des élèves d’origine modeste, 48 % des garçons et 47 % des enfants d’immigrés. Aux inégalités d’accès et de niveau de diplôme se superposent au lycée des inégalités liées à la nature et aux spécialités des formations, dont les choix sont eux-mêmes fortement dépendants de l’origine sociale et du genre des élèves. La transition vers l’enseignement supérieur viendra parachever la construction scolaire des inégalités de chances » écrivent en préambule de leur rapport les trois spécialistes de France Stratégie. L’origine sociale, « saisie par le capital économique et/ou culturel des parents », a un effet significatif sur les trajectoires scolaires. Elle « influence de manière prépondérante tant les performances et les progressions que les choix d’orientation et de spécialisation des élèves et de leurs familles, mais aussi le regard que l’institution porte sur eux et sur leurs chances de réussite ». Un enfant dont les parents sont diplômés de l’enseignement supérieur a 14 fois plus de chances d’atteindre ce même niveau de diplôme que celui dont les parents ont un niveau d’éducation moins élevé, contre 11 fois en moyenne dans l’OCDE et seulement 3 ou 4 fois en Nouvelle-Zélande, au Canada, en Estonie, en Finlande et en Suède.
Une corrélation réussite scolaire au milieu socio- économique dès 2 ans
« La forte dépendance de la réussite scolaire des élèves se construit depuis les premières années de vie et s’observe tout au long de la scolarité » révèlent les autrices. « Dès l’âge de 2 ans, les enfants issus d’un milieu socialement ou culturellement favorisé maîtrisent davantage de compétences utiles pour l’acquisition ultérieure des savoirs scolaires que les enfants de milieu défavorisé : compétences langagières (vocabulaire plus riche) et pré-mathématiques, mais aussi socio-comportementales (persévérance, motivation, auto- régulation, etc.) ».
Alors que les premières années sont considérées comme déterminantes pour l’acquisition des compétences scolaires, France Stratégie montre comment les enfants de familles de milieux populaires sont les moins accueillis dans les structures collectives de type crèche. « Les enfants qui vivent dans des foyers à faibles revenus, ceux dont la mère a un faible niveau d’éducation ou ceux issus de l’immigration ont le plus à gagner des modes d’accueil formels, notamment collectifs comme la crèche. Les bénéfices concernent le langage, les capacités pré-mathématiques comme les capacités socio-comportementales. Or seuls 5 % des enfants de moins de 3 ans appartenant aux 20 % des ménages les plus pauvres sont accueillis en crèche, contre 22 % des enfants des 20 % des parents les plus aisés » est-il indiqué dans le rapport. « La France figure en tête des pays où l’accès à l’accueil formel est le plus inégalitaire selon le niveau de revenu des parents ».
Quant à la scolarisation des enfants de deux ans que le Président annonce effective dès cette année – alors qu’aucune dotation spécifique n’a été fléchée à cette fin, l’institut montre son intérêt pour les enfants d’ouvriers et plus clairement encore pour les enfants qui ne parlent pas le français à la maison.
S’agissant de l’impact de l’école maternelle dans sa globalité, elle « n’efface pas les écarts initiaux d’origine et de genre, en particulier ceux liés aux pratiques culturelles et éducatives des familles − lecture partagée, activités culturelles, etc ». Les élèves de milieux favorisés obtiennent à l’issue de la maternelle « de meilleurs résultats que la moyenne en littératie comme en numératie − les enfants les plus défavorisés accusant déjà pour leur part un retard significatif… Ils maintiennent cet avantage à l’école ». Et si l’école primaire ne fige pas de manière définitive les destins scolaires des enfants, « elle constitue une étape importante de la cristallisation de leurs trajectoires ».
Le collège : un accélérateur des inégalités scolaires
« Les élèves de milieu défavorisé, en particulier les garçons, en difficulté au début du secondaire, le demeurent pour la plupart, et les élèves de milieu favorisé en situation de réussite conservent leur position relative par la suite » indiquent les autrices. Alors que l’on pouvait escompter une scolarité réussie pour les élèves ayant de bons résultats en sixième, cela n’est pas une garantie de réussite pour les enfants des classes populaires et pour les enfants d’immigrés qui voient leur position relative se dégrader.
Et selon Johanna Barasz, Peggy Furc et Bénédicte Galtier, qui s’appuyent sur les différentes enquêtes et évaluations de 1987 à 2022, c’est au collège que les trajectoires commencent à bifurquer. On y constate « les premiers décrochages affectant prioritairement les garçons et les enfants les plus défavorisés, notamment ceux des inactifs et des immigrés, plus nombreux à être évincés du cursus général − voire de la scolarité − avant la fin du collège… La surreprésentation des enfants des classes populaires − en particulier des garçons − est massive dans les dispositifs spécialisés ou de pré-orientation (Segpa, prépa métiers, préparation du brevet en série technologique ou professionnelle, etc.) qui concernent à peu près 15 % des élèves. En miroir, les filles et les enfants d’origine favorisée − y compris dans l’éducation prioritaire – sont majoritaires dans tous les dispositifs destinés aux bons élèves du collège : option latin, sections européenne et internationale, classes à horaires aménagés… ».
Et c’est la faute, en partie à la ségrégation entre établissements qui est importante souligne France Stratégie, « car aux effets de la ségrégation résidentielle, que connaissent aussi les écoles primaires, s’ajoute un recours plus massif et socialement différencié à l’enseignement privé et au contournement de la carte scolaire ». « Cette faible mixité contribue à la divergence des parcours par de multiples effets de contexte : « effets de pairs » (résultant des interactions entre élèves), « effets enseignants » (plus ou moins grande expérience des professeurs, difficultés de remplacement…) et « effets établissements » (taille des classes, moyens pédagogiques…)… Si les bénéfices de la mixité sociale sur les performances des élèves restent discutés, l’impact de cette mixité sur leurs trajectoires et leur orientation est net et bien documenté ». Et ce n’est pas le protocole mixité signé en mars dernier qui améliorera cette situation…
La fin de la troisième signe « la grande bifurcation » notent les autrices. « Le parcours scolaire (quasi) unique prend fin quand les élèves s’orientent au lycée dans la voie générale, technologique ou professionnelle − ou sortent du système scolaire. Les élèves aux résultats et au passé scolaire comparables s’orientent − et sont orientés − différemment. À niveau équivalent en fin de troisième, mesuré notamment par les notes au brevet, les filles et les enfants d’origine favorisée souhaitent davantage s’orienter dans la voie générale et technologique − et le sont de fait… Les vœux d’orientation des élèves des familles populaires, y compris ceux dont le niveau leur permettrait d’accéder à la seconde générale et technologique, ne sont que très rarement corrigés « à la hausse » par les conseils de classe ».
La réforme du bac amplifie les inégalités
Au lycée se construisent « des inégalités horizontales » (liées à la nature des formations/diplômes, des disciplines ou spécialités). Des inégalités qui viennent « se superposer aux inégalités verticales d’accès et de niveau de diplôme ». « La réussite, qu’elle soit mesurée par l’obtention du diplôme, le temps mis à l’obtenir ou la capacité à le rentabiliser dans le cadre de l’orientation dans le supérieur, demeure − au sein de chaque filière − tributaire de l’origine sociale, du genre et de l’ascendance migratoire. Non seulement les enfants des catégories populaires et les garçons passent moins souvent le bac général, mais ils le réussissent moins bien ».
Et la réforme du bac est venue amplifier cet effet inégalitaire selon France Stratégie. « Les choix de spécialités, de séries et de familles de métiers recouvrent en effet des mécanismes de différenciation et de hiérarchisation. L’empreinte du genre et de l’origine sociale était déjà massive du temps des séries… La récente réforme du lycée paraît l’avoir approfondie. Dans la voie générale, les élèves d’origine favorisée et très favorisée, plus que les autres, ont tendance à recréer, par un choix restreint d’options en « doublettes » et « triplettes », les séries d’avant-réforme perçues comme les voies d’accès aux « meilleures » études supérieures, plus rentables ou plus prestigieuses que les autres. Les choix des élèves défavorisés sont plus dispersés et peuvent apparaître moins cohérents ou moins valorisés au moment de l’orientation dans le supérieur ».
Et quant à la poursuite d’études dans le supérieur, c’est « un moment charnière qui parachève la construction scolaire des inégalités de destin ». « À l’image des choix de spécialités au lycée, ces vœux varient grandement selon l’origine, le sexe et l’ascendance migratoire, amplifiant la ségrégation des études supérieures au-delà de ce que les seuls résultats au cours du lycée et au baccalauréat pour- raient justifier. À même niveau scolaire – voire meilleur, les élèves d’origine défavorisée et les filles s’orientent moins vers les filières prestigieuses et sélectives dont les rendements professionnels sont pourtant meilleurs ».
Lilia Ben Hamouda
La note d’analyse et le rapport