Outre le manque de candidats au concours qui met à mal le système scolaire, les démissions sont en hausse constante ces dernières années. Marianne, qui était professeur en lycée professionnel, témoigne. En 2021, elle a fait le choix de la démission. Selon le jeune femme, la perte de sens, les tâches administratives « qui éloignent du cœur du métier », la transformation du lycée professionnel ont achevé de la convaincre de rendre son tablier. Mais le chemin fut long entre le moment où elle prend sa décision et l’effectivité de celle-ci. « Pour démissionner de la fonction publique sereinement il faut s’accrocher. Difficile d’anticiper son départ quand il n’existe aucun préavis et que l’acceptation d’une demande de démission reste conditionnée au bon vouloir de l’employeur. Celui-ci peut décider du jour au lendemain d’accepter la demande, sans aucun préavis donc, ou tout simplement refuser la demande de démission en question » explique-t-elle.
Professeure en lycée professionnel, Marianne a décidé de démissionner en septembre 2021 après avoir enseigné 9 années dans l’académie de Nancy-Metz. L’expérience d’enseignement, dans un lycée que Marianne qualifie de difficile, a été positive : « je me suis épanouie dans ce métier, avec cette jeunesse abîmée, scolairement, socialement. C’est quelque-chose qui m’a plu, au-delà de l’enseignement disciplinaire ».
Devenir professeure, déjà une reconversion
Le métier de professeure n’était pas le premier métier de Marianne. Avant d’enseigner, elle a travaillé dix ans dans le secteur de la vente, essentiellement en téléphonie mobile. Après un bilan de compétence avec Pôle emploi, elle passe alors, à 32 ans, le concours de recrutement de professeurs en lycée professionnel, le CAPLP qu’elle obtient tout de suite. Cette reconversion professionnelle lui semble compatible avec la vie familiale, elle a alors trois enfants en bas âge et un mari souvent absent. A l’issue de son stage, elle est affectée dans le lycée où elle enseignera neuf années la vente qui lui « ont énormément apporté sur le plan professionnel évidemment, et surtout sur le plan personnel ». « Je me suis enrichie au contact de mes collègues et au contact des élèves, j’ai expérimenté la richesse de l’altérité et de la différence. J’ai essayé de mon mieux de mettre en avant une valeur qui me tient à cœur: la gentillesse. Et si je ne suis pas persuadée d’avoir formé la crème de la crème en termes de vendeurs et de chargés d’accueil, je sais que j’aurai montré aux élèves ce que c’est qu’être un adulte dans la Cité, et rien qu’avec ça je pense que j’ai fait le job. »
Un métier usant, éreintant
Le projet le plus marquant s’appelait « de la graine à l’assiette », monté avec la collègue de lettres-histoire sur deux ans avec une classe de CAP vendeurs en produits alimentaires, un projet transdisciplinaire avec plusieurs collègues de la classe, en trans-sections avec d’autres sections professionnelles du lycée et en trans-écoles avec une classe de maternelle à proximité du lycée. «C’était un projet magique, avec le soutien du lycée et l’adhésion des élèves. Cependant ce type de projet est particulièrement énergivore et cela s’inscrit en plus de tout le travail classique attendu par un enseignant (suivre le programme, faire des évaluations, les préparer au CAP, suivre les élèves en stage, remplir des tableaux et cocher des cases…)». Marianne affirme que les professeurs devraient enseigner ainsi, par projet, surtout avec ces élèves souvent fâchés avec le système scolaire, ou intégrant un nouveau système scolaire – il y a beaucoup d’élèves allophones en LP. «Or l’Éducation nationale, tout en encourageant ce type de pédagogie, souhaite toujours avoir un feed-back, un contrôle en quelque sorte». Pour Marianne, poursuivre ces projets avec la charge administrative habituelle n’est pas possible sur la durée, «c’est usant, c’est éreintant».
Mais pourquoi démissionner ?
Le choix de démissionner de Marianne résulte d’un faisceau de facteurs convergents. Originaire de l’ouest, une mutation dans son académie d’origine « qui coûte très cher en termes de points » est « hors d’atteinte ». Pour des raisons familiales et personnelles, Marianne souhaite se rapprocher de sa famille quand sa sœur tombe malade. Cet élément personnel semble déclencheur dans la décision, même si elle le voile de pudeur. « A quoi bon vivre loin de ceux qu’on aime ? », Marianne a besoin de proximité et veut du temps pour sa sœur, pour ses parents vieillissants, son père a une maladie neuro-dégénérative. Elle quitte l’Éducation Nationale soulagée «car voilà deux ans que je tournais comme en lion en cage dans un métier qui ne correspondait plus à mes valeurs et à mes aspirations », « mais non sans un pincement au cœur ».
Marianne parle de la surcharge de travail, « il y a de plus en plus de travail et de moins en moins de pouvoir d’achat, entre le gel du point d’indice et l’inflation il fallait compter sur les missions supplémentaires pour garder le même pouvoir d’achat», « au fil des ans, on nous a demandé des choses qui n’avaient pas de sens, remplir des tableaux, mettre des croix et justifier nos positionnements, autant de choses qui demandent du temps et qui se font au détriment du lien avec les élèves ».
Marianne parle de souffrance au travail de collègues, de burn out, « j’en ai vu bien plus que dans le secteur privé ». En cause, la charge mentale : « penser à prendre rendez-vous pour les douze élèves que l’on suit en stage, à cet, organiser une session de rattrapage pour les deux élèves qui ne se sont pas présentés à leur convocation, assister à la réunion d’harmonisation, la répartition, choisir les formations pour l’année suivante, préparer une inspection, fournir un sujet pour une épreuve nationale… il n’y avait plus de place pour le plaisir d’enseigner ». Marianne évoque un « ras le bol de la pression, de conditions de travail ». La transformation du lycée professionnel a ôté tout sens à son travail : « par exemple, le contenu des référentiels de ma spécialité : on insiste sur le développement du numérique et de la digitalisation… mais est-ce bien sensé quand tout cela implique toujours plus de ressources fossiles, toujours plus d’énergie alors que la planète brûle ? ». Elle parle aussi de l’équipement informatique offert à chaque lycéen par la région et qui va justement dans le sens de la révolution numérique : « C’était un beau cadeau, une belle opportunité pour de nombreux élèves, mais avec des jeunes qui ne prennent pas tous soin de leur matériel, je me suis retrouvée prof de maintenance. Je passais plus de temps à essayer de réparer leur matériel, leur installer leur manuel numérique, leur expliquer comment créer un portfolio numérique ou à tâcher de connecter leur portable au wifi du lycée qu’à faire cours ! C’était trop… »
« Pour démissionner, il faut s’accrocher »
«Mon idée n’était pas forcément de démissionner, j’ai d’abord demandé une rupture conventionnelle. J’ai été déboutée de ma demande, mais je ne me voyais pas rester. La DRH du rectorat m’a bien évoqué la demande de disponibilité, mais il y avait plus d’inconvénients que d’avantages. La sécurité de l’emploi tant mise en avant dans la fonction publique m’était totalement inutile. J’ai démissionné en septembre 2021. Je suis revenue dans l’ouest ».
« Pour démissionner de la fonction publique sereinement il faut s’accrocher. Difficile d’anticiper son départ quand il n’existe aucun préavis et que l’acceptation d’une demande de démission reste conditionnée au bon vouloir de l’employeur. Celui-ci peut décider du jour au lendemain d’accepter la demande, sans aucun préavis donc, ou tout simplement refuser la demande de démission en question ».
Une 3e carrière, toujours, à caractère social
Dans l’ouest, le projet professionnel est de reprendre la gestion d’une entreprise familiale, dont sa sœur était auparavant responsable. Marianne a également un autre projet professionnel, l’activité familiale n’étant pas suffisante financièrement. Elle avait pour projet – qu’elle vient de concrétiser- de monter une entreprise d’aide à la personne comme aide administrative, notamment à destination de personnes âgées. Sans rupture conventionnelle, Marianne n’avait pas d’allocations chômage. Quand Pôle Emploi, lui apprend qu’elle y serait éligible après avoir travaillé 3 mois dans le privé, elle enchaîne avec un CDD qui lui ouvre des droits au chômage et à des formations bénéfiques pour son projet. Aujourd’hui, sa structure de services de soin à la personne est là. La dimension sociale, chère à Marianne, reste présente dans son nouveau projet professionnel.
Un retour partiel à l’enseignement, avec d’autres conditions, avec ses propres conditions
« A la rentrée [2023], je reprends du service, un tout petit quart temps. C’est très confortable de pouvoir imposer la quantité et ses jours de travail. Déjà, c’est autre chose de se sentir considérée. Les rapports de force se sont inversés. C’est bien agréable ». Marianne reprend l’enseignement dans un lycée professionnel privé à proximité de chez elle à la rentrée 2023, un peu par hasard, et elle en est ravie. Le statut de contractuelle la soulage et lui convient dans la mesure où elle peut désormais choisir et dire non. Ce non n’est pas un non de rébellion, mais ce non semble davantage un stop, l’expression d’une limite dans un système devenu maltraitant.
Djéhanne Gani