Yannick Trigance, secrétaire national du Parti Socialiste en charge du dossier École, Collège, Lycée, réagit à la nomination de Gabriel Attal au poste de ministre de l’Éducation nationale. Le conseiller régional énumère les défis qui attendent le nouveau ministre et s’interroge sur sa volonté mais aussi sa possibilité de les relever avec un « Président de la République particulièrement intrusif ».
Épilogue du laborieux feuilleton estival du « remaniement » gouvernemental : pour l’éducation, Gabriel Attal remplace Pap N’Diaye.
Au-delà de la seule question de l’incarnation – certes importante mais loin d’être décisive – le véritable enjeu pour l’École se situe bien ailleurs : quelles sont les problématiques auxquelles le nouveau Ministre va devoir se confronter dès la rentrée de septembre ?
À l’évidence le recrutement des enseignants demeure un sujet particulièrement aigu que Gabriel Attal ne pourra esquiver : avec plus de 3 000 postes non pourvus, la question des remplacements se posera très rapidement quelques jours après la rentrée, malgré une augmentation exponentielle des contractuels et des recrutements par « jobs dating » affectés dans des classes sans aucune formation digne de ce nom.
Le gouvernement n’a pas pris la mesure de l’enjeu que constitue l’attractivité du métier, proposant en guise de « revalorisation » un « travailler plus pour gagner plus » de l’époque Sarkozyste, après avoir renié une promesse présidentielle d’augmentation de 10% de tous les enseignants sans charge de travail supplémentaire.
Dévalorisés, délaissés, déconsidérés, les enseignants continuent pourtant à œuvrer au quotidien pour la réussite de tous les élèves, dans des conditions de travail et de salaires parmi les plus mauvaises des pays de l’OCDE.
Dans le même temps l’augmentation des inégalités territoriales va perdurer avec dans certains départements –souvent les plus en difficultés – des élèves qui seront privés de plusieurs semaines de cours faute de remplaçants, véritable rupture de l’égalité républicaine.
Souvent annoncée, sans cesse éludée, toujours décriée par la droite, la question de l’éducation prioritaire ne peut plus être esquivée face aux attentes et aux besoins. Les quelques pistes timidement avancées par Nathalie Élimas – secrétaire d’État en charge de l’éducation prioritaire en 2020 – ont généré à juste titre une réelle incompréhension et une inquiétude.
La possible –et probable – suppression des Réseaux d’Éducation Prioritaire – les REP – entrainerait un transfert de moyens des quartiers populaires vers les zones rurales, permettant ainsi d’appliquer l’engagement présidentiel en faveur du rural et donnant par la même aux Recteurs toute latitude pour négocier avec les collectivités locales.
On assisterait alors à un tournant majeur dans l’histoire de l’École avec une remise en cause sans précédent de 40 ans d’une politique éducative en faveur des élèves les plus défavorisés et qui, malgré ces insuffisances, a permis dans bon nombre d’endroits de freiner – sans pour autant la faire disparaître – l’aggravation des inégalités.
Par ailleurs, le Ministre devra trancher sur le devenir de l’expérimentation engagée dans plusieurs académies en faveur des établissements privés situés en éducation prioritaire qui bénéficient de financements publics sans aucune obligation ni contrainte comme celle de la carte scolaire, contrairement aux établissements publics.
L’échec de Pap N’DIAYE dans sa tentative d’imposer des critères de mixité sociale et scolaire à l’enseignement privé devrait permettre à son successeur de prouver son attachement à l’enseignement public en le replaçant au cœur de l’éducation prioritaire quand on sait que 40% des élèves du secteur privé sous contrat sont de milieu social très favorisé contre 19.57% dans le public et qu’inversement 18.3% des élèves du secteur privé sous contrat sont issus de milieu défavorisé contre 42.6% des élèves du secteur public.
Enfin, il conviendra de mesurer la capacité et la volonté du nouveau Ministre à influer sur une nouvelle organisation des épreuves du baccalauréat devenue une véritable course contre la montre, imposant aux élèves comme aux enseignants un rythme et une pression insupportables pour préparer les épreuves de spécialités en cinq mois, avec des épreuves qui, pour une même matière, se sont déroulées sur des journées différentes, aggravant ainsi les inégalités et démotivant dès le mois de mars une grande partie des lycéens.
Ces défis, parmi d’autres, révèleront la véritable capacité mais aussi et surtout la volonté politique du nouveau Ministre Gabriel Attal de remettre – ou pas – l’École de la République à sa juste place, c’est-à-dire au cœur d’une société plus égalitaire, plus fraternelle et plus émancipatrice.
Le voudra-t-il ? Et si oui, le Président de la République, particulièrement intrusif, lui en laissera-t-il la possibilité ?
Yannick TRIGANCE
Secrétaire national du PS