Entre chorale, enregistrement, création, les élèves interrogent les normes de genre dans le plaisir de chansons partagées. « Chantons l’égalité filles-garçons » est un projet sur trois saisons qui a enchanté quatre classes de CE2 du REP de Mourenx dans les Pyrénées Atlantiques.
« Inès a un gros caractère / elle ne va pas se laisser faire / Elle préfère jouer au ballon / que s’amuser à son poupon. Bryan n’est pas un bagarreur / c’est plutôt un gentil rêveur / Il aime faire du poney /Que tout autant se pomponner » Ne cherchez pas cette chanson sur les plateformes de streaming musical, elle n’est pas en ligne. L’histoire d’Inès et Bryan a été créée par les élèves de CE2 de Laetitia Péré à l’école Charles Moureu dans le cadre d’un projet sur le réseau d’éducation prioritaire de Mourenx (64).
Depuis plusieurs années la commune s’empare du 8 mars pour proposer une semaine d’actions autour de l’égalité femmes-hommes et pour le droit des femmes. Une démarche relancée par l’augmentation des violences intraconjugales lors du confinement et dont les écoles de cette ville des Pyrénées Atlantiques s’emparent volontiers. Cette année, depuis la fin de l’hiver, tous les élèves de CE2 chantent l’égalité filles-garçons.
Saison 1
En février, deux chants sont sélectionnés par les enseignant.es. « Y’a pas d’raisons » des Enfantastiques et « Fille ou garçons, je n’ai pas choisi mon prénom » des New Kids sont appris et répétés dans chaque classe avec l’accompagnement de Jean-François Batby, professeur à l’école de musique de Mourenx. Au-delà du travail de mémorisation, les élèves ont pu appréhender la structure des chants : leur construction, leurs thématiques avec une explicitation des paroles. Ils ont travaillé la projection de la voix, l’intensité à différencier selon les couplets et les refrains plus entrainants. Chanter assez fort, mais pas trop, écouter les autres pendant qu’on chante… L’apprentissage de l’ajustement avec la partie instrumentale nécessite également une attention vocale et auditive particulière. Pas si facile de commencer au bon moment, tous et toutes ensemble ! Progressivement, les enfants ont ajusté leur production vocale, se sont approprié les chants. L’enjeu était de taille : les élèves des trois établissements engagés dans le projet avaient rendez-vous à l’école de musique en mars pour un enregistrement collectif. Le plaisir de l’interprétation, lors de cette chorale commune, était notable. La découverte du lieu et du matériel d’enregistrement renforçait l’enthousiasme, malgré une concentration intense pas forcément anticipée ! En effet, l’enregistrement demande plusieurs prises, de reprendre tout ou partie des chants selon les indications de Jean-François. Une expérience de la patience gratifiée par la joie de s’écouter à la fin d’une longue séance.
« Les élèves ont beaucoup aimé les deux chansons choisies » témoigne Claire Cousson enseignante à l’école De Bordeu. « Puis il y a ce plaisir et la fierté d’être accompagné par un musicien. » Un retour partagé par Bénédicte Roubert, sa collègue de la même école qui a trouvé les élèves « très enthousiastes pour apprendre ces deux chansons bien rythmées ».
« S’interroger sur ce qui est possible »
Toutes deux apprécient également le travail en Education morale et civique. « En amont, nous avons parlé de la notion de stéréotypes en cherchant des exemples de la vie quotidienne. Nous avons trouvé de nombreux exemples qui « cassent » ces clichés : les équipes féminines de foot, les maillots de foot roses, les danseurs étoiles… Cela nous a permis d’introduire les paroles des deux chansons apprises en classe. » explique Bénédicte. « Pour toutes les paroles, nous nous sommes interrogés sur ce qui était possible : jouer à la marelle si on est un garçon, vouloir un pistolet en jouet si on est une fille, avoir les cheveux longs et se maquiller si on est un garçon…. L’analyse des paroles a été l’occasion de nombreux débats au sein de la classe car même si tous les garçons trouvent qu’il n’y a pas de problème de voir un garçon en jupe, personne ne le ferait, sauf pour rigoler et se déguiser. » une dichotomie entre une tolérance théorique et une mise en œuvre que note également Claire. « Beaucoup d’élèves sont d’accord sur le principe avec les paroles mais dans la réalité c’est autre chose. Les schémas familiaux, le regard d’autrui jouent beaucoup, notamment pour les habits. » Elle relate aussi un sujet qui semble investi différemment : « Durant la phase d’échanges ce sont les filles qui ont le plus pris la parole et à qui l’égalité fille garçon semble tenir le plus à cœur ».
Saison 2
Cette réflexion sur les normes liées au genre et les inégalités que cela entraîne se prolonge. En effet, fort de ce premier temps de partage, le projet a repris depuis la rentrée des vacances de printemps avec la création d’une chanson par chacune des quatre classes.
Les CE2 de Jean Alvarez, sur l’école Victor Hugo, ont réactivé les débats sur le thème en commençant par créer un refrain. Recherche de paroles, fredonnement de plusieurs mélodies enregistrées pour en retenir une seule. Les élèves ont ensuite envoyé leur début de production à Jean-François avec qui le partenariat se poursuit et qui crée une instrumentalisation sur mesure. Le musicien propose de commencer originalement leur chanson par le refrain, afin de laisser planer le mystère « Et alors et alors ? Qu’est-ce que ça peut faire ? T’es d’accord, t’es d’accord ! Que peut-on y faire, que peut-on y faire ? » lance ainsi la réponse de divers couplets écrits par groupe. « Le plus compliqué c’était d’appliquer la structuration de chaque phrase que nous avions définie, en deux temps : une première partie qui expose la déconstruction d’une norme, une seconde partie qui met en avant le droit à cette égalité. » souligne Jean. Autour de quatre thèmes (les actions, les jeux, les sports et les métiers), l’enseignant prend soin de ne pas donner d’exemple pour éviter de freiner l’imagination et de cantonner à une modélisation, ce qui a rendu le lancement parfois difficile. Un travail d’écriture exigeant qu’il va falloir remanier encore pour l’accorder au morceau instrumentalisé, mais qui a pu s’appuyer sur un travail de coopération. « Quand certains groupes n’y arrivaient pas, ils s’entraidaient. Puis, nous avons réinvesti le travail effectué en poésie sur les rimes du début d’année ».
La contrainte des rimes est également très présente dans les classes de Claire et Bénédicte qui ont proposé de créer deux slams grâce à l’intervention de l’artiste Gabrielle Colibri « Gabrielle a expliqué qu’il existait trois sortes de rimes : les rimes pauvres (comme riz/parti), les rimes suffisantes (comme cheval/fatal) et les rimes riches (comme cheval/rival) » expliquent les élèves de CE2-CM1. La plupart d’entre eux n’avaient jamais écouté Grand Corps malade et découvrent ce genre d’’écriture avec la présentation de Gabrielle. « Très peu connaissaient cette façon d’entrer dans la poésie. Ils ont bien aimé le débit faisant référence au rap » raconte Bénédicte. La rencontre avec l’artiste est une satisfaction commune. « Ce projet fait vraiment sens pour moi à la fois pour parler de cette thématique très importante et pour les accompagner dans l’expression de leur créativité, et ils en ont beaucoup ! De vrai.es poètes et poétesses en herbe ! » L’écriture accompagnée est très progressive et relance les échanges entre élèves et les questionnements sur les normes de genre. « La venue de Gabrielle permet d’avoir des regards croisés sur les réactions des enfants. Même si ce thème est abordé chaque année en Education Morale et Civique, je suis encore étonnée de certaines certitudes encore bien ancrées. Par exemple la répartition des tâches ménagères ou les émotions que l’on peut ou ne peut pas ressentir selon que l’on soit un garçon ou une fille. » confie l’enseignante. Interroger les évidences culturelles peut s’avérer en effet délicat, avec des stéréotypes tenaces sur les filles qui seraient « fragiles, qui aiment surtout le rose et les princesses » ou sur les garçons devant répondre aux injonctions d’être « forts, costauds et courageux ». Bénédicte poursuit son analyse en relevant « de nombreuses remarques des élèves faites par le biais de l’humour permettant de faire rire la classe entière. Mais au-delà de ces rires parfois gênés ou d’identification, de nombreux messages libérateurs ont pu sortir et pourront, je l’espère, faire évoluer un peu les représentations. » Gabrielle partage le choix de cette thématique : « les discussions que nous avons eues avant de démarrer l’écriture des chansons, montrent qu’il y a un vrai enjeu de promotion de l’égalité fille/garçon. »
Saison 3
« Ce qui est chouette, c’est qu’on sent malgré tout un changement à l’œuvre, de la part des filles notamment qui ne se laissent pas faire mais de certains garçons aussi. Ce projet leur permet d’en parler et de semer des graines de réflexion ! » s’enthousiasme la slameuse. Pour Jean aussi « Le chant a permis une mise à distance qui a autorisé, libérer la parole. J’ai été surpris des propositions des enfants. Il n’y avait pas de censure entre eux, finalement, le droit de choisir devenait la règle. » Il cite, assez fier des créations de ces élèves, certains couplets : « Une fille qui joue au rugby, elle a le droit aussi. » « Un homme et un homme qui s’aiment, est-ce que ça vous pose problème ? » « Un homme qui fait le ménage, ça c’est du partage ! » Les élèves des quatre classes se retrouveront à nouveau en début d’été, à l’école de musique, pour écouter leurs créations et pour le plaisir de partager ensemble le monde plus égalitaire qu’ils et elles ont imaginé en chanson.
Cerise Lenoir
*extraits du slam de la classe de CE2-CM1 de l’école Charles De Bordeu