Les résultats de l’enquête Pirls montrent que la France a stabilisé le niveau de ses élèves. Elle a même réussi à limiter l’impact de la crise sanitaire. Pour autant, les élèves de milieux populaires restent en grande difficulté. L’École française ne réussit pas à résorber l’écart entre ces derniers et ceux de milieux favorisés. Michel Fayol, chercheur, spécialiste de l’acquisition de la lecture et de l’orthographe et ancien membre du CSEN, analyse ces résultats pour le Café pédagogique.
L’enquête Pirls montre une stabilité du niveau des élèves français, voire un très léger progrès. A quoi attribuez-vous cette amélioration ?
Les résultats de Pirls 2021 montre une stabilité du niveau des élèves et un arrêt de la baisse des performances. C’est en soit une très bonne chose. Le fait d’avoir gardé les écoles ouvertes autant que possible et que les enseignants aient été fortement présents et mobilisés pour leurs élèves expliquent sans doute l’impact limité de la crise sanitaire sur les résultats.
Pour autant, la France est toujours mal positionnée par rapport à ses voisins européens. Qu’est ce qui ne va pas dans l’apprentissage de la lecture chez nous ?
Je suis toujours surpris que l’on n’évoque pratiquement jamais le fait que le système orthographique du français est plus compliqué à maîtriser que les systèmes finlandais, espagnols, italiens… qui sont extrêmement réguliers. Le chercheur Seymour, en 2003, avait comparé les systèmes orthographiques en Europe. Il avait calculé les temps d’apprentissage de la lecture en fonction de la langue. Il a démontré que certaines langues ont des temps très rapides, comme le finnois ou l’italien. Ce n’est pas le cas de notre langue. Il existe donc une difficulté d’apprentissage du système orthographique liée aux caractéristiques de chaque langue. Ces différences justifient que nos élèves mettent plus de temps et rencontrent plus de difficulté dans l’apprentissage de la lecture. C’est d’autant plus vrai lorsque nous avons affaire à des enfants de milieux défavorisés. Il faut noter que la situation est bien pire lorsque l’on regarde du côté des productions orthographiques. Le système français est l’un des plus difficiles.
Il est donc normal que nos élèves aient besoin de plus de temps pour le maîtriser. Que leur niveau de performance à âge égal, ici le cours moyen première année, ne soit pas de même niveau que celui d’élèves finlandais, italiens ou espagnols est donc légitime.
Il faudrait trouver le moyen de comparer les niveaux des élèves en tenant compte des spécificités des systèmes orthographiques. Cela serait plus pertinent.
Nos élèves sont particulièrement en difficulté dans les tests liés à la compréhension. Comment l’expliquez-vous ?
La compréhension, en tant qu’activité de compréhension, n’est pas dépendante du système orthographique. Mais la lecture est une tâche partagée. Lorsqu’on lit, on fait deux choses : reconnaître les mots – et lorsqu’on ne les connait pas, on les décode – et en même temps, on doit intégrer ce qu’on a lu en le comprenant. Et c’est vrai dans tous les champs disciplinaires. Roland Goigoux souligne, à juste titre, que l’activité de compréhension en lecture vaut en histoire, en mathématiques… Cette activité de compréhension ne se déroule donc pas sans que le décodage n’intervienne – la part de traitement de l’écrit. Lorsque cette part n’est pas suffisamment assurée, fluide, quand les mots ne sont pas suffisamment connus, elle pose des problèmes d’intégration et de compréhension. Nous devrions tenir compte, là encore, des difficultés spécifiques à la langue française.
Et quid de l’accentuation de l’écart entre les filles et les garçons ?
L’écart de performance entre les filles et les garçons n’est pas non plus une spécificité française. Il y a quelques années, il y a eu une étude basée sur une comparaison internationale – qui portait sur près de quatre millions d’élèves – dont personne n’a parlé. Cette étude montre que dans tous les pays ayant une culture scolaire, le niveau des filles est supérieur à celui des garçons. C’est vrai en lecture et en production. La supériorité des filles sur les garçons en lecture et écriture n’est donc pas propre à la France.
Dans le cas de Pirls 2021, l’augmentation de l’écart de performance entre les filles et les garçons s’explique peut-être par le fait que les filles aient continué à lire lorsque les écoles étaient fermées. Mais je n’ai pas creusé la question.
Les résultats des élèves de milieux défavorisés sont toujours très éloignés de ceux de milieux plus favorisés. Qu’est-ce qui l’explique ?
Le terme milieu favorisé est un terme « parapluie ». Il englobe une diversité de ressources : le capital culturel, le nombre de livres, les conditions de vie mais aussi les établissements dans lesquels les élèves sont scolarisés. Ce n’est pas la même chose que d’être scolarisé dans une école élémentaire dont l’IPS est élevé que dans une école à l’IPS bas. Ainsi, selon le milieu social des élèves –la mixité sociale à l’École n’étant pas franchement effective en France, les résultats varient très fortement. Les élèves de milieux défavorisés ont besoin d’un soutien scolaire plus important.
Le vocabulaire est un exemple très parlant des disparités en fonction du milieu. Les enfants arrivent à l’École avec un lexique terriblement dépendant de leur milieu. C’est avec ce lexique, et à partir de celui-ci, qu’ils vont apprendre à lire, à comprendre et à interpréter des textes. C’est vrai au moins jusqu’en Cm2. Ensuite, l’apprentissage du lexique se fera quasi exclusivement à travers la pratique de la lecture. Au début de la scolarité de l’enfant, la lecture est un apprentissage, ensuite, elle devient un outil des apprentissages.
La mise en place de dispositifs comme les classes dédoublées devrait porter ses fruits, à condition de former les enseignants pour qu’ils puissent faire face aux difficultés de leurs élèves. L’individualisation doit être plus importante, les diagnostics plus précis pour les élèves scolarisés en éducation prioritaire, ou tout du moins pour les élèves issus de milieux défavorisés.
Les outils conçus par la DEPP devraient servir aux enseignants plutôt qu’aux évaluations globales de performance au niveau national. Ils sont pertinents. Il faudrait que les professeurs soient initiés à leur interprétation et, surtout, à l’élaboration d’outils pour aider les élèves, plus ou moins individuellement. Ces outils auraient un double intérêt : repérer chez l’élève ce qui pose des difficultés et repérer les lacunes de certains types d’interventions pédagogiques pour une modification des modalités d’intervention des enseignants.
Comment faire pour inverser cette tendance ?
La pédagogie est la clé. Il faut former plus et mieux les enseignants. La formation initiale doit être renforcée. Mais la formation continue aussi afin de permettre un meilleur suivi de l’actualité scientifique autour de la lecture dans une visée d’amélioration des gestes professionnels des professeurs. Non pas qu’ils soient peu compétents, mais pour qu’ils puissent voir que des approches un peu différentes peuvent avec certains élèves réussir.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda