Un jeudi sur deux, Daniel Gostain, enseignant et Jacques Marpeau, docteur en sciences de l’éducation, nous proposent de décortiquer certaines notions pour en faire un sujet de réflexion, pour ouvrir le débat, afin de mettre en relief les enjeux qui découlent de leur utilisation. Aujourd’hui, ils évoquent le mot Surprise.
La surprise réside dans le surgissement d’une réalité, d’un phénomène, d’un évènement ou d’une attitude nouvelle et inconnue. Elle nait du fortuit, de l’incongru, de l’accident ou du décalage. Le surgissement d’un imprévu dévoile soudainement un aspect masqué ou dénié de la réalité qui s’impose alors à la conscience. Il peut déclencher un étonnement amusé et une curiosité empathique et inventive. Il peut aussi déclencher une incompréhension et des réactions de défense, ou encore un saisissement inhibant les réactions de la personne surprise. On parle alors de bonne ou de mauvaise surprise selon ce que l’on en ressent.
On peut aussi se surprendre en se découvrant une capacité inexplorée dans une situation pourtant redoutée. Quelque chose de soi est brusquement révélé à soi-même et à autrui. La surprise est le signe d’un potentiel existant mais insoupçonné. Dans une démarche de recherche et d’apprentissage, elle révèle l’existence d’un impensé et parfois d’un impensable à partir du premier mode d’approche utilisé. Elle permet alors un changement dans la manière d’appréhender une situation.
La surprise peut engendrer une appréhension quand on s’en tient à sa façon habituelle de percevoir, de penser et d’agir. La personne surprise par ce qu’elle découvre est alors tentée de juguler l’insécurité du surgissement d’une énigme en s’en tenant au présupposé, au prévu, au pré-jugé de la situation ou du comportement observé. Dans ce qu’elle révèle d’étrange, la surprise fait entrevoir l’existence d’une réalité autre.
Dans la relation éducative, elle est la manifestation de la singularité de l’histoire et du cheminement humain. Elle permet à l’enseignant attentif d’entrevoir les capacités masquées à l’observation habituelle et ignorées par le dispositif dont l’enfant est cependant porteur. La surprise donne accès à des possibilités inexplorées en ouvrant à la possibilité de créations d’actions toutes autres.
La surprise est à penser moins comme un défaut de la connaissance chez l’observateur surpris que comme la marque de l’imprédictible de l’advenir de la personne humaine. Elle oblige à interroger les méprises de la compréhension habituée. Elle nous invite à la déprise, c’est-à-dire à renoncer à nos velléités d’emprise qui réduisent autrui à nos seules volontés de prévision de nos attentes et de notre estime de ses potentiels.
Le propre de l’éducatif, ce n’est pas de se préparer à ce qu’on sait, c’est de se préparer à l’inconnu du futur
Est-ce qu’on peut susciter la surprise en classe ?
On peut se préparer à la surprise par une vigilance à l’inattendu. C’est ce que j’appelle la déprise. C’est l’attention à ce qui surgit et à ce que je n’ai pas préparé. C’est presque en contradiction avec la préparation.
Par contre, on peut avoir des dispositifs qui sont en décalage avec ce qu’attendent les élèves, pour les rendre attentifs, non pas à ce qui est prévu mais à ce qui surgit et à ce qui est, en réalité. Là, on est dans une pédagogie où il y a de l’ouvert.
Est-ce qu’on peut former à l’accueil de la surprise ?
On se forme à l’ouverture, à l’accueil de ce qui est.
C’est en ce sens que je n’ai jamais prétendu avoir formé quelqu’un en tant que formateur. Les formateurs qui prétendent former des gens sont soit des adeptes du formatage, soit des imposteurs, parce que ce sont les personnes qui se forment. Mais elles ne peuvent pas se former toutes seules. Il faut de l’autre. Il faut de l’altération.
Une parole de Jacques Marpeau transcrite par Daniel Gostain