« Il est plus urgent d’éduquer à l’information que d’éduquer à l’informatique » explique Bruno Devauchelle qui constate que malgré une semaine consacrée à la presse et aux médias, l’Éducation nationale investit peu la question de l’éducation à l’information, question pourtant centrale et aux enjeux majeurs.
Les jeunes, les élèves entrent dans un monde qui articule désormais des moyens techniques informatiques et des documents multimédias. Ce qui caractérise ces quelques dernières années, c’est l’importance et la quantité des informations diffusées au travers de ces moyens techniques, cela ne cesse d’augmenter. De plus, la qualité des contenus accessibles pour chacun est devenue de plus en plus difficile à évaluer. Le ministère de l’Éducation a accompagné dès la création du CLEMI cette évolution, même si l’arrivée d’Internet n’a pas été accompagnée d’une dynamique nouvelle liée justement à la généralisation et l’omniprésence de l’informatique. Les professeurs documentalistes ont toujours porté dans leurs établissements la cause de cet accès à l’information, même si plusieurs orientations existent au sein de la profession. Ce qui importe aujourd’hui c’est de constater qu’il est plus urgent d’éduquer à l’information que d’éduquer à l’informatique. Le monde informatique ne définit pas l’information de la même manière que le monde de la communication, des médias, de l’information. Et pourtant l’informatique, comme discipline scolaire a fait son entrée par la grande porte en 2018 avec les décisions prises par le ministre de l’époque. La crise sanitaire qui est passée par là, ainsi que les études sur la manière dont les jeunes et de nombreux adultes accèdent à l’information. C’est pourquoi l’information (définie comme un fait médiatisé et diffusé) s’est imposée contre l’informatique, comme une priorité éducative.
La semaine de la presse en question
Alors que se termine la « Semaine de la presse et des médias dans l’École », le ministre en poste demande à ce qu’il y ait « une action par an » sur le sujet dans chaque classe. Cette semaine si mal titrée aurait du s’appeler « Semaine de l’éducation aux médias et à l’information » car son titre officielle met de côté l’évolution majeure du paysage informationnel et communicationnel depuis près de quarante années. De surcroit, le propos du ministre semble oublier de mentionner le vadémécum (pourtant présent sur la page du ministère) publié en janvier 2022 et le texte officiel publié juste après : Vadémécum intitulé : Une nouvelle dynamique pour l’éducation aux médias et à l’information, Généralisation de l’éducation aux médias et à l’information . L’impression qui prévaut est que l’information n’est pas une cause suffisante pour que l’école s’en empare de manière plus structurée. D’ailleurs les professeurs documentalistes s’interrogent sur l’absence d’évolution significative de leurs missions, au-delà des mots, dans les statuts et les rémunérations associées. Comme pour d’autres éducations à et comme jadis avec le B2i, la responsabilité transversale se traduit par une absence de responsabilité globale. Et pourtant chaque enseignant devrait être impliqué et associé par le pilotage des professeurs documentalistes.
Information, une discipline ou non ?
Avant de choisir l’enseignement de l’informatique, il aurait peut-être été préférable d’enseigner l’information. Comme le sens du mot « information » n’est pas le même selon que l’on se situe dans le champ de l’informatique ou dans le champ de la transmission, il y a une confusion dans nos dirigeants qui est aussi fondée sur une évolution d’un monde professionnel de l’informatique qui continue de tenter de s’imposer à l’école – il y a encore du travail… là aussi, mais d’une autre manière. Le monde de l’information ne se réduit pas non plus à celui des médias, à moins que ce terme soit englobant (cf. Dominique Wolton). Mais ce terme ne recouvre souvent qu’une partie du problème, celui des tuyaux – d’où médias et informatique – mais pas celui des contenus – information et communication. Il ne s’agit pas ici de demander la suppression de l’enseignement de l’informatique, mais bien de donner une vraie place à l’information. Citons ici Nathalie Sonnac Présidente du CLEMI qui déclare : « On ne peut que constater que l’ensemble de notre processus de communication est aujourd’hui fragilisé ».
La notion de « fragilité informationnelle »
Le constat est accablant, nous sommes de plus en plus démunis face aux flots d’informations toutes plus fragiles les unes que les autres. Malheureusement, cette observation actuelle renvoie aux années antérieures. En effet, propagande, manipulation, trucages existent depuis bien longtemps. S’ils sont techniquement plus sophistiqués et plus difficilement décelables, ils reposent sur les mêmes mécanismes qui visent à « influencer ». L’école a été conçue justement comme un lieu d’instruction, de lutte contre l’ignorance face aux « sachants », face aux « savoirs ». Mais elle est fragilisée depuis d’une part l’émergence de nouveaux médias, d’autre part par une massification des publics. Ainsi les plus vulnérables sont face à nous dans les classes. L’école n’est plus sélective dans son accueil, mais elle le reste d’une autre manière, en organisant une sélection que jadis Pierre Bourdieu avait mise en évidence mais qui est aujourd’hui contestée. S’orienter en est un bon exemple : s’orienter, c’est savoir s’informer et donc construire ses choix. Or nombre de jeunes et de parents ont bien du mal à y voir clair et à comprendre comment cela fonctionne.
Des propositions concrètes
Au-delà de ces différents questionnements, nous faisons une proposition : que six séances de deux heures chaque année scolaire et pour chaque classe à partir du collège soient mises dans l’emploi du temps. A cela nous proposons aussi qu’à l’école primaire, on considère l’information avec plus de considération que l’informatique. L’information, c’est un aussi un langage, mais en plus complexe. Aussi l’école primaire devrait aussi permettre à chaque élève de comprendre l’environnement informationnel dans lequel il vit et en connaître les valeurs mais aussi les faiblesses. Attention, il ne s’agit pas, comme trop souvent de parler d’un « référentiel de compétences » qui refroidirait le sujet comme le fond les concepteurs des programmes de l’école. Il s’agit plutôt de proposer des activités qui permettent aux jeunes de connaître le panorama informationnel, de comprendre les mécanismes d’élaboration, de comprendre les enjeux sociétaux qui se cachent sous l’information – politique, économique, social, religieux etc… – et de s’en emparer pour construire leur « pensée originale ».
Bruno Devauchelle