La dissertation sur œuvre est un des sujets de l’E.A.F. Peut-on désinhiber les élèves face à un exercice académique qui s’avère chaque année peu choisi ? Au lycée Olympe de Gouges à Noisy-le-Sec, Joachim Arthuys s’y attelle selon une modalité originale : la préparation et l’enregistrement d’émissions de radio. « Le principal intérêt de passer par l’écriture radiophonique, explique le professeur de lettres, c’est de faire oublier un temps que la dissertation est un exercice scolaire, pour privilégier le plaisir de confronter les points de vue sur une œuvre. » Le travail mené engage les élèves dans l’appropriation réflexive de l’œuvre, dans la mise en scène d’un espace dialogique, dans la construction d’une posture d’experts s’adressant à des auditeurs qui n’auraient pas lu l’ouvrage, dans les plaisirs de la lecture, de l’oral et de la collaboration. Bilan : « Plus j’y consacre du temps, plus les élèves choisissent la dissertation (et la réussissent souvent) ».
La dissertation est un exercice canonique que les élèves choisissent peu à l’EAF : pourquoi selon vous ?
Je pense que c’est un exercice qu’on a tendance à moins travailler avec nos élèves. On les prépare très bien aux analyses des textes à travers les études linéaires et l’exercice du commentaire qui occupent une grande partie de nos heures, et on consacre, de fait, moins de temps à la dissertation. Cela expliquerait peut-être que les élèves aient le sentiment de mieux maîtriser l’exercice du commentaire et n’osent pas choisir la dissertation.
D’autant plus, que c’est un exercice qu’en tant qu’enseignant on a peut-être trop tendance à considérer comme étant canonique, comme vous le dites, et qu’on est inhibés par sa dimension technique. Je m’en suis longtemps fait une montagne, et avec un programme extrêmement dense, j’ai longtemps pensé que je n’avais pas le temps de bien y préparer mes élèves. Mais il faut revenir à sa définition dans le B.O., qui est simple : il s’agit de « mener une réflexion personnelle organisée sur une question littéraire ». Ce qui prime, c’est la réflexion personnelle, et, sans renoncer à certaines exigences formelles, ce n’est pas le savoir-faire technique. Mais j’espère qu’à la faveur de la dernière réforme les élèves seront plus nombreux à choisir cet exercice : la disparition de la question de corpus et du sujet d’invention au baccalauréat permet de lui consacrer plus de temps, et le passage d’une dissertation de littérature générale, qui nécessitait une culture littéraire vaste pour être réussie et que je trouvais passionnante mais discriminante, à une dissertation resserrée sur une œuvre que les élèves ont pu s’approprier durant l’année, rend l’exercice plus accessible, je crois.
A quelles conditions vous semble-t-il possible de revitaliser l’exercice ?
Je ne sais pas. Peut-être en lui consacrant plus de temps, tout simplement ? On sait que les élèves adorent débattre, et on peut s’appuyer là-dessus pour les conduire à la dissertation, sans l’aborder comme un exercice scolaire mais plutôt comme le prolongement d’une pratique régulière. En menant par exemple, dès la seconde, des ateliers de débat (sur des sujets littéraires ou non) pour apprendre aux élèves à organiser, développer et préciser leur réflexion, travailler avec eux les stratégies argumentatives, les postures etc. Ces ateliers peuvent s’articuler à des cercles de lecture organisés autour d’une question littéraire, par exemple. Les élèves développent la technique de la dissertation sans que celle-ci soit forcément nommée, et surtout ils s’approprient les œuvres.
Je me demande d’ailleurs si ce n’est pas la principale condition pour revitaliser l’exercice : démystifier les œuvres, faire comprendre aux élèves que ce n’est pas l’enseignant expert qui en détient le sens, qu’elles vivent dans la confrontation de leurs interprétations, de leurs jugements affectifs, éthiques, esthétiques etc. J’ai constaté que beaucoup d’élèves ont tendance à mettre les œuvres littéraires qu’on étudie avec eux sur un piédestal, et il faut souvent déconstruire avec eux tous les obstacles symboliques qui les en éloignent pour qu’ils puissent se les approprier et en faire une expérience intime. J’ai remarqué que les élèves qui y parviennent choisissent plus souvent la dissertation, parce qu’ils se sentent non seulement préparés, mais aussi autorisés à mener cette « réflexion personnelle » sur les œuvres.
Quels vous semblent les intérêts de mener l’initiation en passant par une forme d’écriture non scolaire : l’écriture radiophonique ?
Je pense que le principal intérêt de passer par l’écriture radiophonique c’est de faire oublier un temps que la dissertation est un exercice scolaire, pour privilégier le plaisir de confronter les points de vue sur une œuvre. L’idée, c’est avant tout d’impliquer les élèves en leur proposant un exercice nouveau et original qui leur permet d’explorer un espace non codifié scolairement. En travaillant à une émission radio, ils s’adressent non à un examinateur expert, mais à des auditeurs qui sont leurs pairs et dont je leur demande d’imaginer qu’ils n’ont pas forcément lu l’œuvre dont ils parlent : ils deviennent eux-mêmes les experts, et étant entre eux (je n’assiste pas forcément à leur enregistrement) ils sont en quelque sorte désinhibés. C’est aussi, bien sûr, du point de vue méthodologique, une façon de leur faire sentir que toute dissertation a une dimension dialogique, que l’émission de radio, mieux que le débat, permet d’organiser et de mettre en scène.
Vous avez proposé le sujet de réflexion suivant : « La Princesse de Clèves est-elle un personnage libre de ses choix ? » Quelles ont été les étapes et modalités de travail ?
J’ai d’abord fait écouter aux élèves un débat radiophonique, qu’on a rapidement analysé pour distinguer les étapes du débat, les différents rôles possibles etc. Puis je leur ai proposé, comme sujet : « La Princesse de Clèves est-elle un personnage libre de ses choix ? » Les élèves ont constitué des groupes et la suite du travail a consisté à alterner des moments de travail à l’oral et à l’écrit (le script devait être préparé sur un document partagé afin que je puisse y accéder) pour aboutir à une émission où chacun a sa place, où sont réinvestis les études linéaires, les études transversales, les journaux de lecture etc. pour développer l’argumentation, proposer des exemples précis… Une partie de ce travail s’est faite en classe, l’autre à la maison. Les élèves pouvaient personnaliser leur émission autant qu’ils le souhaitaient : musique, diffusion d’extraits de films… Une dernière séance a été consacrée à certains aspects de l’oralité, juste avant l’enregistrement des émissions : s’exprimer naturellement au micro ne va pas de soi.
Quel regard portez-vous sur les émissions réalisées par les élèves ?
Ce que je retiens avant tout, c’est l’adhésion des élèves à l’exercice, le plaisir de beaucoup d’entre eux au moment de l’enregistrement et la fierté pour certains groupes d’entendre leurs émissions. Évidemment, tous les groupes n’ont pas été également impliqués, et tandis que certains ont proposé des émissions très complètes où ils ont pu développer des réflexions très personnelles et très fines, d’autres ont enregistré des émissions plus superficielles, moins abouties. Mais presque tous ont eu l’impression de mieux connaître l’œuvre après ce travail, et d’avoir mieux compris la dimension dialogique de la dissertation à travers la façon dont ils ont pu organiser le développement des différents points de vue. Je crois que cela a permis de lever quelques blocages, de dissiper quelques inhibitions.
Y a-t-il ensuite une exploitation de ces différentes émissions ?
Oui, les travaux ont été exploités en classe. Même si ce n’est pas toujours simple parce que tous les élèves ne souhaitent pas que les autres écoutent leur émission. Ils devaient, chez eux (mais j’aurais tout aussi bien pu leur demander de le faire en classe), écouter une émission en l’évaluant à l’aide d’une grille comportant quelques critères (pertinence et développement des arguments, précision et explication des exemples, qualités orales). Ils devaient également y relever les arguments et exemples développés, qui ont ensuite été collectés et réorganisés dans un document collaboratif sous la forme d’un plan de dissertation qui a servi de corrigé.
« C’est chronophage ! » objecteraient peut-être certains collègues confrontés à de copieux programmes : que leur répondriez-vous ?
C’est vrai, c’est chronophage. Je suis conscient que ce n’est pas évident de faire de la place pour ce type de projets, mais ça en vaut la peine je crois. Je constate que plus j’y consacre du temps, plus les élèves choisissent la dissertation (et la réussissent souvent). Et puis ce sont des moments de plaisir partagé avec les élèves. Je n’oublie pas que l’année de 1ère est pour beaucoup d’entre eux la dernière année de français, et donc la dernière année où ils sont en contact régulier avec des œuvres littéraires : le bon souvenir qu’ils gardent, pas forcément de l’œuvre en tant que telle, mais de la lecture et de tous ce qu’on a pu faire autour, est vraiment essentiel à mon avis.
Propos recueillis par Jean-Michel Le Baut
Une émission sur La Princesse de Clèves
Coopérative de voix avec Rachel Pouliquen à Brest