La crise sociale est-elle aussi une crise du langage politique ? Après Laurence de Cock éclairant la « langue du vide » utilisée par Sarah El Haïry pour promouvoir le SNU, Claire Berest, professeure de lettres à Brest, interroge à son tour la langue que dévoie le pouvoir pour défendre la réforme des retraites. Quand l’exercice gouvernemental de la parole se fait au quotidien absurde, comment enseigner que les mots ont un sens et que la démocratie est juste ? Comment peut-on encore être professeur.e de français ?
« Socrate était donc un chat ? »
Et si la mise en scène d’une parole politique dégagée de la nécessité de dire le vrai était le principal péril auquel les enseignant.es étaient aujourd’hui confronté.es ?
Mettre en garde contre les dangers de la sophistique, apprendre à distinguer persuasion et conviction, belles paroles et paroles justes, lutter contre le désengagement citoyen, qui va de « Tous pourris », à « Voter ça sert à rient », en passant par « De toute façon c’est que des menteurs », voilà une des missions essentielles de l’Ecole.
Mais le pacte de vérité sur lequel devrait reposer le discours de ceux et celles qui gouvernent semble aujourd’hui tellement dysfonctionner, dissoner, et reposer sur des syllogismes dignes du Logicien de Ionesco, qu’il nous laisse démuni.es.
Quelle valeur donne-t-on à la parole politique lorsqu’on explique que renoncer au vote d’une loi, parce que l’on en sait l’issue défavorable, n’a rien d’un échec politique ?
Quelle valeur donne-t-on à la parole politique quand on explique qu’on voulait absolument « aller au vote » mais qu’on ne pouvait pas faire autrement que d’y renoncer puisqu’on allait perdre ?
Quelle valeur donne-t-on à la parole politique lorsqu’on explique que voter une motion de censure est l’aboutissement quintessentiel du processus démocratique ?
Face aux traces que ces raisonnements capillotractés risquent de laisser, face à la défiance, à la désillusion, à l’abstention qu’ils risquent d’alimenter, il reste aux enseignants et aux enseignantes à continuer d’enseigner et défendre sans relâche « les valeurs du véridique, du sincère, de l’authentique », en faisant confiance à leurs élèves pour construire, elles et eux, un discours de vérité.
Claire Berest
Titre tiré de la pièce d’Eugène Ionesco Rhinocéros
Citation du dernier paragraphe tirée du programme de la spécialité Humanités, Littérature et Philosophie 1ère