« Tout peut être enseigné à condition qu’on accepte de répondre aux questions ». Valérie Durey enseigne en lycée professionnel. Et elle ne fait pas partie des professeurs qui s’autocensurent. En faisant travailler ses élèves sur la vie et la mort du caporal Ahmed Litim, elle montre aussi qu’on peut faire de l’histoire en lycée professionnel.
Construire le récit de vie d’un tirailleur colonial
À l’origine de ce projet, la volonté de la mairie de Marseille de débaptiser l’école Bugeaud de la ville en lui donnant le nom d’un des tirailleurs morts pour la libérer : Ahmed Litim.
Avec ses élèves de terminale vente du lycée Maurice Genevois de Marignane ; Valérie Durey a travaillé sur ce soldat. « On est parti de son livret militaire », nous a dit V Durey. « Il y avait des informations sur son physique, son lieu de naissance, sa carrière militaire, ses punitions aussi. On a reconstitué sa vie dans un récit à la première personne ».
En lycée professionnel, le même professeur enseigne le français et l’histoire-géographie. V Durey a pu faire travailler à la fois le récit, l’écriture et l’histoire. « Les élèves ont eu des sources à lire, souvent écrites à la plume. Ils se sont posé des questions d’historien. Pourquoi un jeune Algérien s’engage-t-il dans l’armée française ? C’est une question qui ouvre aussi sur la décolonisation qui est au programme. Ils ont appris ce qu’était l’armée coloniale qui a joué un rôle important en 1944. Ils ont appris son blanchiment. Ils ont aussi réfléchi à la volonté politique de remettre cet épisode en mémoire et de rendre hommage à ces jeunes jusque-là oubliés. Ils ont appris que l’histoire sert à quelque chose ».
Travailler sur des questions vives
Mais travailler sur une question aussi vive, n’est-ce pas prendre des risques en classe ? « Ce n’est pas prendre un risque », nous dit V Durey. « J’ai emmené mes élèves à Buchenwald. Je les fais travailler sur la guerre d’Algérie. Je connais mes élèves. J’attends toutes les questions, même celles qui sont provocantes et je les déconstruis. J’amène toujours de quoi s’interroger pour qu’ils soient en confiance dans le cours et pour qu’ils en tirent quelque chose. Je ne m’autocensure pas et j’en vois le bénéfice chez eux ».
« Tout peut être enseigné à condition qu’on accepte de répondre aux questions », ajoute V Durey. « C’est faire son métier d’enseignant ».
Deux moments forts
Au terme de leur recherche et de leur rédaction, les élèves ont eu deux moments forts. Ils ont présenté leur travail dans un colloque sur le monde arabe et la seconde guerre mondiale. « Ils ont été très impressionnés », nous confie V Durey. « On est aussi allé au cimetière. Nous avons vu le carré des soldats coloniaux. Ils ont vu qu’il y avait du monde. C’est dire aussi l’histoire que nous avons en commun. C’est important ».
Et un manque
Tirailleur colonial, Ahmed Litim est mort près de Notre Dame de la Gare à Marseille le 25 août 1944. Si sa vie est un peu mieux connue, il reste sans visage. Aucune photographie de lui n’a été retrouvée.
François Jarraud