« Ce n’est pas une méthode. C’est une démarche que nous proposons, une démarche conforme aux programmes. » Claudine Garcia-Debanc, Marie-Noëlle Roubaud et Mélissa Béchour, autrices du « Guide pour enseigner la grammaire. La grammaire pour écrire CE2 et cycle 3 » veulent aussi faire gagner du temps aux enseignants en associant apprentissage de la grammaire avec production d’écrits. « C’est un outil d’auto-formation » dont chaque professeur des écoles peut se saisir en fonction de son niveau de pratique. « Ce livre s’appuie sur les travaux de groupes de production de maîtres formateurs en contact permanent avec des enseignants débutants, mais aussi intervenant en formation continue depuis une quinzaine d’années. Il propose donc ce qui nous semblait manquer aux enseignants et enseignantes pour mettre en œuvre les enseignements grammaticaux et gagner du temps d’écriture sur les exercices de grammaire » explique Claudine.
Quel est l’enjeu de l’étude de la grammaire ?
Claudine Garcia-Debanc : Depuis longtemps, les programmes affichent que la grammaire doit permettre de lire et d’écrire. Pourtant, trop souvent, l’enseignement de la grammaire se limite à étiqueter en rangeant les mots dans des catégories. Selon nous, l’enjeu majeur est de fournir aux élèves des outils qui permettent à la fois de rédiger et d’orthographier correctement. Notre démarche essaie de répondre aux besoins pour écrire, aussi bien en grammaire de phrase sur les questions qui touchent à l’orthographe du français, qui est compliquée par rapport à celle des autres langues romanes, mais aussi sur les questions liées au texte – ponctuation, dialogues ou choix des temps verbaux.
Marie-Noëlle Roubaud : L’un des enjeux est de donner à l’élève la possibilité de faire des choix au moment d’écrire et qu’il prenne conscience des contraintes de forme dans la mise en mots. Il faut l’amener à prendre conscience de ces contraintes dans des situations de réception et de production. Les enjeux clés de l’enseignement de la grammaire sont d’articuler grammaire/écriture et de réemployer les notions grammaticales étudiées aussi bien à l’oral qu’à l’écrit.
Mélissa Béchour : Cela fait très longtemps que les chercheurs préconisent une démarche de raisonnement, un peu comme pour les situations problèmes, mais les enseignants et enseignantes peinent à l’appliquer sur le terrain. Enseigner la grammaire dans une démarche de raisonnement, c’est ce que nous proposons. Lorsqu’un enseignant met en place des activités d’étude de la langue, il faut que l’élève soit dans un raisonnement complexe, avec toutes les aides nécessaires.
Étudier la grammaire dans la perspective de l’écriture. Qu’est-ce que cela signifie ?
Claudine : La plupart des grammaires sont conçues pour lire ou analyser des textes en étiquetant des faits de langue. La grammaire pour écrire part des besoins des élèves. L’étude de la langue est traditionnellement cloisonnée entre quatre sous-domaines : orthographe, grammaire, conjugaison et lexique. Dans notre livre, nous montrons les liens entre ces domaines et le besoin de décloisonnement pour une meilleure entrée dans l’étude de la langue. Ainsi, au chapitre 5, quand on travaille sur les constructions des verbes, on travaille à la fois le lexique avec les différents sens de ces verbes et l’emploi des prépositions dans les COI.
Marie-Noëlle : En effet, notre guide permet de faire des liens. On a tenté de démontrer que la grammaire, le sens, la syntaxe, le lexique sont liés. Tout cela sert l’écriture. Enseigner la grammaire dans la perspective de l’écriture vise à remobiliser tous les savoirs construits pour le passage à l’écrit.
Mélissa : Être dans cette démarche permet de proposer aux enseignants et enseignantes de construire des séances d’apprentissage avec des écrits courts. On sait la difficulté qu’ils et elles rencontrent dans l’enseignement de la production d’écrits. Les programmes sont très riches, voire chargés. Être dans notre démarche – de l’enseignement de la grammaire dans une visée de production d’écrits – permet de rentabiliser le temps. Au lieu de faire des séances de grammaire ou de production d’écrits séparées, on peut les réunir. Cette démarche permet aussi de dégager clairement les critères de réussite en production d’écrits, ce qui n’est aisé pas pour les enseignants et enseignantes.
Claudine : je voudrais insister sur l’importance d’écrits brefs pour stabiliser les notions grammaticales ou les faire travailler. Par exemple, pour travailler sur les adjectifs, en appui sur un album de littérature de jeunesse, Rien n’est plus beau, d’Armelle Barnier et Vanessa Hié, publié chez Actes Sud, nous proposons de faire écrire aux élèves de courts textes à partir de divers adjectifs : Rien n’est plus/chaud/grand/jaune… La leçon de structuration sur l’identification de l’adjectif n’arrivera qu’ensuite.
Pourriez-vous nous présenter votre méthode ?
Claudine : Ce n’est pas une méthode. C’est une démarche que nous proposons, une démarche conforme aux programmes. Nous ne faisons que décliner ce qui est dans les programmes : écrits de travail individuels pour savoir ce que chaque élève connait de la notion qui va être travaillée, observation de corpus, problématisation, explicitation de régularités. Nous proposons des corpus avec des degrés de difficulté gradués, mais aussi des corpus plurilingues, avec l’idée que le détour par d’autres langues, qui peuvent être familiales ou enseignées à l’école, permet de s’interroger sur le fonctionnement de la langue française. On a fait le choix de ne pas mettre d’exercices dans le guide – on en trouve partout ailleurs – mais de proposer les activités que l’on ne trouve pas forcément ailleurs : observation de corpus de phrases ou d’extraits de littérature de jeunesse, rituels, situations d’écriture. La partie initiale « ce qu’il faut savoir » permet aux enseignants et enseignantes de trouver une synthèse sur la notion à enseigner ainsi que les résultats des recherches en didactique qui ont identifié les principaux obstacles rencontrés par les élèves. Ces connaissances permettent d’avoir un regard critique sur le choix des exercices. Nous proposons aussi des rituels, pour stabiliser les apprentissages, avec tout le matériel. Par exemple, en conjugaison, Mélissa a conçu de superbes plateaux de jeu de l’oie de la conjugaison prêts à l’emploi. On a aussi confiance en l’inventivité des collègues pour qu’ils aient d’autres idées de tremplin pour faire écrire leurs élèves.
Marie-Noëlle : On accompagne cette démarche réflexive, qui parcourt tout l’ouvrage. Les enseignants ne sont pas seuls, on les guide. On est vraiment dans une forme d’auto-formation. C’est un outil d’outil-formation.
Est-ce une méthode clé en mains ?
Claudine : Des ressources pédagogiques téléchargeables proposent les fiches élèves, le matériel à plastifier pour les rituels, les consignes d’écriture et les tâches pour une évaluation différenciée. Les chapitres comportent les corrigés des activités proposées ainsi que des exemples de fiches méthodes et d’affichages. D’une certaine manière, on peut considérer que le matériel proposé est clé en mains.
Mélissa : Mais ce n’est pas du « tout clé en mains ». Même s’il y a des fiches. C’est une démarche qui suppose un raisonnement, un tâtonnement… On ne sera pas forcément efficaces dès la première fois – c’était mon cas lors de mes premières années de maitre formateur. Lorsque l’on a rédigé ce livre, on voulait que chacun puisse y piocher ce qui l’intéresse, en fonction de son « niveau de pratique ».
Dans notre démarche, l’élève va se placer dans un raisonnement qui l’oblige à mettre en place des procédures, à les verbaliser et ensuite à s’entraîner sur ces procédures. À chaque fois, on a complexifié un peu la tâche en ajoutant des obstacles. Pour chaque notion importante – identifier un verbe, un nom, un sujet…, on a listé tous les obstacles afin que l’enseignante et l’enseignant proposent un enseignement progressif. Par exemple, en conjugaison, on va travailler les régularités les plus fréquentes. Et quand on travaillera sur les irrégularités, ce sera parce qu’elles sont, elles aussi, fréquentes. Cela fait quinze ans que nous travaillons sur cette démarche, on l’a conçue et améliorée au contact des enseignants que nous avions en formation. Et puis, on a fait des choix. Par exemple, pour le groupe sujet, on n’entre pas par le sens – par le « Qui est-ce qui ? », car les élèves les plus fragiles sont très vite coincés par cette entrée dès que le repérage du sujet se complexifie. On privilégie l’entrée syntaxique – encadrer par « c’est… qui », pronominaliser.
Marie-Noëlle : On a également tenu compte de nos propres recherches et c’est ainsi que dans le chapitre sur les temps verbaux sont travaillés conjointement le choix des temps verbaux et les marqueurs de temps. Cet ouvrage souligne tout au long l’articulation grammaire-sens-lexique-phrase-texte.
Propos recueillis par Lilia Ben Hamouda
Claudine Garcia-Debanc, Marie-Noelle Roubaud et Mélissa Béchour, Guide pour enseigner la grammaire. La grammaire pour écrire CE2 et cycle 3, Retz, ISBN 978-2-7256-4128-7